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Des jeux de son printemps sa vieillesse est jalouse;
D'un regard tendre encore il fixe son épouse:
Ainsi, dans le passé retrouvant ses plaisirs,
Son cœur jouit encore, et vit de souvenirs.
Quand son corps se détruit, et cède à sa faiblesse,
Son âme, qui s'éteint, et par degrés s'affaisse,
Voit sans regret la vie, et sans crainte la mort.
Le juste, à son déclin, ne meurt point; il s'endort.
Sa cendre, que renferme un simple mausolée,
Reçoit des vœux, des pleurs, et n'est point isolée;
Et la pieuse erreur qui charme notre deuil
Triomphe de la mort, et survit au cercueil.
C'est ainsi que l'Égypte à la Parque inflexible
Opposa des tombeaux la masse indestructible:
Artémise rendit son époux immortel;
La tombe des Césars fut changée en autel;
La nuit, de nos amis nous offrit les images,
Et les fils de Fingal peuplèrent les nuages.

L'erreur qui des mortels entoure le berceau
Accompagne leur vie, et les suit au tombeau;
Elle est de nos pensers l'objet et le principe,
Et le bonheur s'enfuit quand l'erreur se dissipe.
Mais que dis-je ? En traçant ces rêves mensongers,
Ces projets importans et leurs motifs légers,
Ces vains amusemens où se perd notre vie,
Noble et sainte amitié, faut-il que je t'oublie ?
Non, je n'en puis douter, ô doux présent des cieux!
Tu n'es point une erreur, et tu nous rends heureux..

Tes plaisirs, toujours purs, sont exempts de chimères,
Tes devoirs rigoureux, et tes chaînes légères.
Des autres passions l'attrait toujours vainqueur,
Sans pouvoir le remplir, tourmente notre cœur.
L'amour allume en nous une fièvre brûlante;
Le besoin de la gloire est une erreur brillante;
L'ambition se livre à d'imprudens efforts,
Et l'avarice est pauvre au milieu des trésors.
Mais toi, divin penchant, tu n'as point de faiblesses;
Loin de ces faux plaisirs, de ces vaines richesses,
Dont l'homme est plus souvent ébloui qu'enivré,
La vertu veille au seuil de ton temple sacré.
C'est là que nos erreurs s'envolent comme un songe,
Et que la vérité remplace le mensonge.

Lorsque, par l'injustice et les maux écrasé,
De ses illusions l'homme est désabusé,

En horreur à lui-même, aux autres inutile,
Las du séjour des champs, excédé de la ville,
Mort avant d'expirer, il languit oublié,

S'il ne trouve un asile au sein de l'amitié.

A ses soins consolans toujours le malheur cède; Comme elle y prend sa source, elle en est le remède; Et, dans l'adversité notre cœur affermi,

Brave les coups du sort, s'il possède un ami.

PETITOT.

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L'HOMME DE LETTRES.

NOBLES enfans des arts, vous que la gloire en flamme,
Qui, soigneux d'agrandir, de féconder votre âme,
Ajoutez en silence à ses trésors divers,

Pour la produire un jour aux yeux de l'univers ;
Qui d'entre vous n'aspire à cet honneur suprême
De servir les mortels en s'éclairant soi-même ?
Laissez-moi contempler vos devoirs, vos destins,
Tous les droits que sur vous le ciel donne aux humains.
Ce sont vos sentimens que ma bouche répète;
Ils méritaient sans doute un plus digne interprète.
ᎪᏂ ! que ne puis-je au moins, retraçaút leur grandeur,
Les peindre à tous les yeux, comme ils sont dans mon cœur!
Quelle est de ces rivaux l'ambition sublime?

Dans leurs travaux heureux quel espoir les anime?
C'est ce noble désir d'éclairer nos esprits,

De porter la vertu dans nos cœurs attendris.
Mais ce droit n'appartient qu'au mortel qu'elle inspire:
Lui seul peut sur notre âme exercer cet empire;
Lui seul dans notre sein lance des traits brûlans.
L'école des vertus est celle des talens :

Plus l'âme est courageuse et plus elle est sensible:
L'esprit reçoit de l'âme une force invincible:

Chaque vertu nouvelle ajoute à sa vigueur.
Courez à votre ami qu'opprime le malheur;
Par des soins généreux réveillez son courage,
Et des vertus ensuite allez tracer l'image :

Je les vois, respirant sous vos hardis pinceaux,
D'un charme inexprimable animer vos tableaux.
Vertu, sans vous aimer, quel mortel peut vous peindre?
S'il en existe un seul, ô Dieu! qu'il est à plaindre !
Sans cesse, en contemplant vos traits majestueux,
Devant son propre ouvrage il baissera les yeux;
En s'immortalisant, il flétrit sa mémoire,
Et consacre sa honte aux fastes de la gloire.
Mais de ces sentimens qui peut vous animer?
Dans votre âme à jamais comment les imprimer?
Sera-ce en les portant dans un monde frivole?
A d'absurdes égards il faut qu'on les immole.
Pourriez-vous soutenir, sans dégrader vos mœurs,
Le choc des préjugés, des vices, des erreurs,
Dont la foule, en tout temps, vous assiége et vous presse?
Fuyez qu'attendez-vous ? une vaine richesse?

Ce vil présent du sort serait trop acheté :
Vos cœurs perdraient, hélas! leur sensibilité,
Cette austère hauteur, ce courage inflexible
Qui porte un jugement sévère, incorruptible,
A l'homme, aux actions marque leur juste prix,
Et par la vérité subjugue les esprits.

Quel est ce malheureux qui, d'un encens coupable,
Fatigue lâchement un mortel méprisable?

Ose-t-il dispenser, de ses vénales mains,

Ce trésor précieux, l'estime des humains?

Mes amis, jurons tous, dans ce temple où nous sommes (i
De ne point avilir l'art de parler aux hommes;
De faire devant nous marcher la vérité;
De ne mentir jamais à la postérité;

De pouvoir dire un jour à cet arbitre auguste:
Jugez sur notre foi, votre arrêt sera juste.
C'est alors que l'on peut, par d'utiles écrits,
Des mortels incertains diriger les esprits.

Opinion, nos goûts, nos mœurs sont ton ouvrage :
Dieu t'a soumis le monde, et te soumet au sage;
Du fond de sa retraite il t'impose des lois:
Tu marchais au hasard ; il te guide à son choix :
Avec la vérité sa voix d'intelligence

Fonde, affermit, combat, renverse ta puissance.
Grands hommes, c'est à vous d'exercer son pouvoir:
Notre cœur appartient à qui sait l'émouvoir;
Vous avez de l'erreur détruit la tyrannie:
L'univers a changé devant votre génie.
Souvent, à notre insu, votre âme vit en nous
Et la raison d'un seul est la raison de tous.
Laissez frémir la haine, et l'erreur et l'envie;
Détruire un préjugé, c'est servir sa patrie:
La Vérité défend le trône et les autels,

Et la fille des cieux ne peut nuire aux mortels.

(1) L'académie française, pour laquelle cet ouvrage fut composé en 1765.

Discours.

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