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Elle sera ton juge, et le juge des rois

Qui de ce prix infâme ont payé tes exploits...
Mais que sert aux mourans la vérité tardive,
Si jusqu'au sein des morts jamais sa voix n'arrive ;
Et si, pour l'innocent et pour le criminel,
Règne autour de la tombe un silence éternel.?

Un Dieu, sans doute, un Dieu punit et récompense; Et pourquoi l'un des prix que ce Dieu nous dispense, N'est-il pas le plaisir, et si pur et si doux,

De savoir quels regrets nous laissons après nous ?
Quoi! des larmes d'un fils privera-t-il un père ?
Des larmes d'un époux, l'épouse la plus chère?
Un roi, des voeux d'un peuple heureux par ses bienfaits?
Un héros, du triomphe ou des fruits de la paix?
Il a mis dans nos cœurs ce désir de revivre :

Ah! sans doute il permet que la vertu s'y livre.
L'homme est faible; et la gloire, en lui tendant la main,
Du devoir, sous ses pas, adoucit le chemin,
Lui fait fouler aux pieds les serpens de l'envie,
L'arme, contre la mort, du mépris de la vie.
Mais s'il se voit privé de cet heureux appui,
Quel monument durable attendez-vous de lui?
Naître, vivre et mourir, sont un instant qui passe;
Et, qu'une âme timide en mesure l'espace,

Aux bornes d'un instant tout sera limité:
Rien de grand, sans l'espoir de l'immortalité.

Trompeuse illusion! préjugé populaire !

Me répond tristement un sage atrabilaire :

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L'homme crédule et vain se prend à ces appâts; L'homme habile et puissant les sème sur nos pas; Les tyrans, aux héros ont jeté cette amorce. . . . . . Les tyrans? éprouvons leur courage et leur force, Et voyons si pour eux tout doit s'anéantir.

Qu'un Tibère, un Commode, entende retentir,
Jusqu'à son lit de mort, cet affreux cri de joie :
«Qu'il meure, et des vautours que son corps soit la proie!
>> Qu'il meure dans l'opprobre! et, rebut des tombeaux,
» Qu'il soit traîné, meurtri, déchiré par lambeaux » !
Il frémit. Mais pour lui qu'auraient-ils de terrible,
Ces vautours appelés à cette fête horrible,

Si son âme, exhalée avec un long soupir,
D'un sommeil éternel espérait s'assoupir?

Il craint, non les vautours affamés de pâture,

Mais cette longue horreur qu'il laisse à la nature;

Et le pressentiment de la postérité

Venge déjà sur lui tout un siècle irrité.

Dans une heure, il verra sa dépouille insultée ; Dans mille aus, sa mémoire en tout lieu détestée ; Tandis que Marc-Aurèle entendra l'avenir,

Par d'éloquentes voix, à jamais le bénir.

Ah! laissons aux méchans cette crainte accablante; Laissons cette espérance utile et consolante A l'ami qui, pleurant l'ami qu'il a perdu, Se flatte au moins encor qu'il en est entendu. Et pour qui ce besoin n'est-il pas invincible, De penser que des morts tout n'est pas insensible?

Est-ce une froide cendre, un marbre inanimé,
Que je presse en pleurant sur un objet aimé?
Et si rien n'est ému dans cette urne glacée,
Pourquoi si tendrement la tiendrais-je embrassée ?
Je ne sens point un cœur sous le mien palpitant;
On ne me répond point; mais peut-être on m'entend.
Il me semble, aux accens de ma bouche plaintive,
Qu'une ombre qui m'échappe est au moins attentive,
Qu'invisible et présente, elle voit mes douleurs,
Recueille mes soupirs, et jouit de mes pleurs.

lui.

La nature a mêlé ce charme involontaire Aux regrets d'un époux errant et solitaire, Aux regrets d'un amant que consume l'ennui : Une ombre seule au monde est encor tout pour Dans le calme des bois, au sein des nuits funèbres, Il l'appelle: il croit donc qu'au milieu des ténèbres Près de lui, pour l'entendre, elle vient quelquefois Dans la grotte où l'écho s'attendrit à sa voix ; Ah! du moins dans son âme elle se plaît à lire. Mais des vives douleurs n'est-ce pas un délire? On le dit; et bientôt soi-même on se dément. Qui de nous, dans le calme et le recueillement, Seul, au fond de ce temple, où de nos grands modèles S'offrent à nos regards les images fidèles, N'a pas senti son âme entr'eux se balancer, Et vers le plus chéri, doucement s'élancer? O toi, dont les écrits, où la bonté respire, Donnent à la vertu tant de charme et d'empire,

Discours.

3

Fénélon, quand mes yeux attachés sur tes yeux
Se mouillent devant toi de pleurs délicieux,
Et que mon cœur ému, cherchant à se répandre,
T'adresse le tribut le plus vrai, le plus tendre,
Le tribut de l'amour, et ce culte si doux
Que l'ange de la paix recevrait parmi nous, 1
Suis-je insensé? parlé-je à la toile, à l'argile ?
Je parle à cet esprit qui fend, d'une aile agile,
Les champs de la lumière, et, comme elle épandu,
Sur ces murs quelquefois tient son vol suspendu.
Au plaisir d'être aimé s'il est sensible encore,
Le Lycée est un temple où sans cesse on l'adore :
Il doit s'y plaire. Et toi, dont les travaux divers
Out, durant soixante ans, étonné l'univers,
L'aurais-tu déposée au terme de la vie,
Cette gloire qui fit le tourment de l'envie;
Et d'un monde par toi si long-temps éclairé,
Ton indigne tombeau t'aurait-il séparé?

Quoi! tandis que tes vers enchantent nos oreilles,
Que nos plus doux plaisirs sont le fruit de tes veilles,
Que, d'une voix enfin, tous les cœurs attendris,
Du grand art d'émouvoir te décernent le prix,
Qu'instruits par tes leçons, des rois couverts de gloire
T'accompagnent en pompe au temple de Mémoire,
Et sur un monument à jamais affermi,

Vont graver de leur main le nom de leur ami;
Tu ne l'entendrais pas, ce concert de louange,
Ce cri des nations qui t'honore et te venge!

Vous qui deviez former des accords si touchans,
Suspendez votre lyre, interrompez vos chants,
Enfans du Pinde: au sein d'une nuit vaste et sombre
Vos sons perdus jamais n'iront flatter son ombre,
Aux pleurs des malheureux, aux éloges des rois,
Voltaire est insensible; il n'entend plus nos voix.
Elle fut donc bien vaine, hélas! cette espérance
De consoler son ombre et d'acquitter la France,
Lorsque par l'univers notre zèle avoué

Promit la palme à qui l'aurait le mieux loué !
Et toi, Molière, et toi, lorsqu'un siècle plus juste,
Au buste de Voltaire associant ton buste (1),
Consacre parmi nous ton génie et le sien,
Est-il vrai que pour toi la gloire n'est plus rien;
Et qu'en vain mis au rang des mortels les plus sages,
Tu ne sauras jamais, sur les sombres rivages,
Combien de tes affronts ta patrie a gémi,
Combien de tes succès l'imposture a frémi ?
Ah! le lâche envieux et le fourbe hypocrite
Peuvent donc avec joie insulter le mérite!
Vivant, il est en proie à ses diffamateurs ;
Mort, il n'a plus d'amis ni de consolateurs.
Aux traits de l'impudence et de la calomnie
Le ciel aura livré la vertu, le génie ;

(1) Le buste de Voltaire et celui de Molière étaient en regard dans la salle de l'assemblée.

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