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HÉCUBE à ULYSSE, qui vient de lui dé clarer l'arrêt prononcé par les Grecs contre

Polyxène.

SOUVIENS-TOI de ce jour, où d'une voix tremblante,

En pressant mes genoux d'une main suppliante,
Pâle et défiguré par l'effroi de la mort,
A ma seule pitié tu remettais ton sort.
Je reçus ta prière, et j'épargnai ta vie ;
Je te fis échapper d'une terre ennemie.
Tu dois à mes boutés ce jour qui luit pour toi;
Et tu peux à ce point être ingrat envers moi!
Ulysse outrage ainsi ma fortune abattue!

S'il vit, c'est par moi seule, et c'est lui qui me tue!
Il m'arrache ma fille! ah, cruel! et pourquoi?
Quel dieu vous a dicté cette exécrable loi ?
Quel dieu peut condamner une fille innocente?
Si le ciel a besoin d'une offrande sanglante,
Vous a-t-il donc prescrit d'arroser ses autels,
Non du sang des taureaux, mais du sang des mortels?
Est-ce Achille aujourd'hui qui veut une victime?
Si ses mânes vengeurs s'arment contre le crime,
O Grecs! sacrifiez à l'ombre d'un héros

L'auteur de son trépas, l'auteur de tous nos maux;
Sacrifiez Hélène, odieuse furie,

Et non moins qu'aux Troyens fatale à sa patrie.
Si d'une offrande illustre Achille est si flatté,
S'il veut voir sur sa tombe immoler la beauté,

Discours.

2

Hélène, à qui les dieux l'ont donnée en partage,
Remporte encor sur nous ce funeste avantage.
Hélène est plus coupable et plus belle à la fois.
O vous à qui j'adresse une débile voix,
Vous que j'ai vu jadis, dans un jour de détresse,
Prosterné devant moi, supplier ma vieillesse,
Que l'équité vous parle, et soit juge entre nous.
Faites ici pour moi ce que j'ai fait pour vous.
J'ai plaint votre infortune, et vous voyez la nôtre;
Vous pressiez cette main, et je presse la vôtre.
Hécube est à vos pieds: Hécube est mère, hélas!
Hélas! n'arrachez point ma fille de mes bras;
Ne versez point son sang; c'est assez de carnage :
Mes revers sont affreux : ma fille les soulage,
Console mes vieux ans, adoucit mes douleurs,
Et me fait quelquefois oublier mes malheurs.
Ah! ne me l'ôtez pas, ne me privez point d'elle.
La victoire jamais ne doit être cruelle.
Quel vainqueur peut compter sur un bonheur constant?
Je suis des coups du sort un exemple éclatant.
Je régnais, j'étais mère, et je me crus heureuse.
Ma fortune a passé comme une ombre trompeuse.
Un jour a tout détruit, et je ne suis plus rien.
Prenez pitié de moi, laissez-moi mon seul bien.
Parlez à tous ces chefs, et que votre sagesse
De tant de cruautés fasse rougir la Grèce.
Les femmes, les enfans, dans l'horreur des combats,
N'ont point été frappés du fer de vos soldats.

Est-ce au pied des autels que, souillant votre gloire,
Vous répandrez le sang qu'épargna la victoire ?
Eh quoi! pour des captifs désarmés et soumis
Serez-vous plus cruels que pour vos ennemis?
Parlez, et révoquez l'arrêt de l'injustice;
La Grèce vous écoute, et doit en croire Ulysse.
LE MÊME. Traduit d'Euripide.

POLYXÈNE à ULYSSE, et à sa mère qui exhorte sa fille à le fléchir par ses larmes.

ULYSSE, je le vois, vous craignez ma prière.
Votre main fuit la mienne, et votre front sévère,
Votre regard baissé se détourne de moi.
Rassurez-vous; des Grecs je remplirai la loi.`
De la nécessité je subirai l'empire.

On ordonne ma mort, et mon cœur la désire.
J'aurais trop à rougir si, devant un vainqueur,
Trop d'amour de la vie eût abaissé mon cœur.
Pourquoi vivrais-je encor? j'ai vu régner mon père;
Polyxène, l'espoir et l'orgueil d'une mère,
Croissait dans son palais pour le plus beau destin,
Pour voir un jour des rois se disputer sa main,
Pour aller embellir une cour fortunée,
Qu'aurait enorgueillie un superbe hyménée ;
Et dans mes jours de gloire et de prospérité,
Je n'enviais aux dieux que l'immortalité.

Je suis esclave, hélas! ce nom plein d'infamie,
Ce nom seul me suffit pour détester la vie.
Attendrai-je qu'ici, pour combler mes revers,
Un maître à prix d'argent me donnant d'autres fers,
Livre la sœur d'Hector aux plus vils ministères,
Aux travaux destinés à des mains mercenaires;
Et qu'un esclave impur, m'obtenant malgré moi,
Vienne souiller mon lit où dut entrer un roi ?
Non, j'aime mieux la mort que cet excès d'injure;
J'aime mieux aux enfers descendre libre et pure.
A qui perd tout espoir, il reste le trépas.
Ulysse, je vous suis : n'arrêtez point mes pas:
Ma mère, laisse-moi marcher au sacrifice :
Oui, laissez-moi mourir avant qu'on m'avilisse.
Le malheur, il est vrai, peut frapper tout mortel ;
Moins il est attendu, plus il semble cruel:
Mais qui peut à l'opprobre abandonner sa vie?
Ah! le plus grand des maux, sans doute, est l'infamie.

Le Méme. Ibid.

DISCOURS

A MADAME DE LA SABLIÈRE.

DÉSORMAIS que ma Muse, aussi bien que mes jours,
Touchent de leur déclin l'inévitable cours;

Et que de ma raison le flambeau va s'éteindre;
Irai-je en consumer les restes à me plaindre,
Et prodigue d'un temps par la Parque attendu,
Le perdre à regretter celui que j'ai perdu?
Si le ciel me réserve encor quelque étincelle
Du feu dont je brillais en ma saison nouvelle,
Je la dois employer; suffisamment instruit
Que le plus beau couchant est voisin de la nuit.
Le Temps marche toujours; ni force ni prière,
Sacrifices ni vœux n'alongent sa carrière:
Il faudrait ménager ce qu'on va nous ravir;
Mais qui vois-je que vous sagement s'en servir?
Si quelques-uns l'ont fait, je ne suis pas du nombre.
Des solides plaisirs je n'ai suivi que l'ombre;
J'ai toujours abusé du plus cher de nos biens.
Les pensers amusans, les vagues entretiens,

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