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174 DU

CONTRAT

J'aurais ici bien 4

des réflexions à faire sur le simple droit de voter dans tout acte de souveraineté, droit que rien ne peut ôter aux citoyens ; et sur celui d'opiner, de proposer, de diviser, de discuter, que le gouvernement a toujours grand soin de ne laisser qu'à ses membres; mais cette importante matière demanderait un traité à part, et je ne puis tout dire dans celui-ci.

CHAPITRE

Des suffrages.

I I.

ON voit, par le chapitre précédent, que

manière dont se traitent les affaires générales, peut donner un indice assez sûr de l'état actuel des mœurs et de la santé du corps politique. Plus le concert règne dans les assemblées, c'est-à-dire, plus les avis s'approchent de l'unanimité, plus aussi la volonté générale est dominante ; mais les longs débats, les dissentions, le tumulte, annoncent l'ascendant des intérêts particuliers et le déclin de l'état.

Ceci paraît moins évident, quand deux ou plusieurs ordres entrent dans sa constitution, comme à Rome les patriciens et

les plébéïens, dont les querelles troublèrent souvent les comices, même dans les plus beaux jours de la république; mais cette exception est plus apparente que réelle ; car alors, par le vice inhérent au corps politique, on a, pour ainsi dire, deux états en un; ce qui n'est pas vrai dans deux ensemble, est vrai de chacun séparément. En effet, dans les temps même les plus orageux, les plébiscites du peuple, quand le sénat ne s'en mêlait pas, passaient toujours tranquillement à la grande pluralité des suffrages: les citoyens n'ayant qu'un intérêt, le peuple n'avait qu'une volonté.

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A l'autre extrémité du cercle, l'unanimité revient. C'est quand les citoyens tombés dans la servitude, n'ont plus ni liberté, ni volonté. Alors la crainte et la flatterie changent en acclamation les suffrages; on ne délibère plus, on adore ou l'on maudit. Telle était la vile manière d'opiner du sénat sous les empereurs. Quelquefois cela se faisait avec des précautions ridicules. Tacite observe que, sous Othon, les sénateurs, accablant Vitellius d'exécration, affectaient de faire en mêmetemps un bruit épouvantable, afin que, si par hazard il devenait le maître, il ne pût savoir ce que chacun d'eux avait dit.

De ces diverses considérations, naissent les maximes sur lesquelles on doit régler la manière de compter les voix et de comparer les avis, selon que la volonté générale est plus ou moins facile à connaître et l'état plus ou moins déclinant.

ture

Il n'y a qu'une seule loi qui, par sa naexige un consentement unanime. C'est le pacte social : car l'association civile est l'acte du monde le plus volontaire; tout homme étant né libre et maître de luimême, nul ne peut, sous quelque prétexte que ce puisse être, l'assujettir sans son aveu. Décider que le fils d'un esclave naît esclave, c'est décider qu'il ne naît pas homme.

Si donc, lors du pacte social, il s'y trouve des opposans, leur opposition n'invalide pas le contrat, elle empêche seulement qu'ils n'y soient compris; ce sont des étrangers parmi les citoyens. Quand l'état est institué, le consentement est dans la résidence; habiter le territoire, c'est se soumettre à la souveraineté (1).

(1) Ceci doit toujours s'entendre d'un état libre; car d'ailleurs, la famille, les biens, le défaut d'asyle, la nécessité, la

Hors ce contrat primitif, la voix du plus grand nombre oblige toujours tous les autres; c'est une suite du contrat même. Mais on demande comment un homme peut être libre, et forcé de se conformer à des volontés qui ne sont pas les siennes; comment les opposans sont-ils libes, et soumis des loix auxquelles ils n'ont pas consenti?

Ja réponds que la question est mal posée. Le citoyen consent à toutes les loix, mêmơ à celles qu'on passe malgré lui, et même à celles qui le punissent quand il ose en violer quelqu'une. La volonté constante de tous les membres de l'état, est la volonté générale; c'est par elle qu'ils sont citoyens et libres (1). Quand on propose une loi dans

violence, peuvent retenir un habitant dans le pays malgré lui, et alors son séjour seul ne suppose plus son consentement au contrat, ou la violation du contrat.

(1)A Gênes, on lit au-devant des prisons et sur les fers des galériens ce mot Libertas. Cette application de la devise est belle et juste. En effet, il n'y a que les malfaiteurs de tous états qui empêchent le citoyen d'être libre. Dans un pays où tous ces genslà seraient aux galères, on jouirait de la plus parfaite liberté.

l'assemblée du peuple, ce qu'on leur demande n'est pas précisément s'ils approuvent la proposition ou s'ils la rejettent, mais si elle est conforme, ou non, à la volonté générale, qui est la leur ; chacun, en donnant son suffrage dit son avis là-dessus.et du calcul des voix se tire la déclaration de la volonté générale. Quand donc l'avis contraire au mien l'emporte, cela ne prouve autre chose, sinon que je m'étais trompé, et que ce que j'estimais être la volonté générale ne l'était pas. Si mon avis particulier l'eût emporté, j'aurais fait autre chose que ce que j'avais voulu; c'est alors que je n'aurais pas été libre.

Ceci suppose, il est vrai, que tous les caractères de la volonté générale sont encore dans la pluralité : quand ils cessent d'y être, quelque parti qu'on prenne, il n'y a plus de liberté.

En montrant ci-devant comme on substituait des volontés particulières à la volonté générale dans les délibérations publiques, j'ai suffisamment indiqué les moyens praticables de prévenir cet abus; j'en parlerai encore ci-après. A l'égard du nombre proportionnel des suffrages pour déclarer cette volonté, j'ai aussi donné des principes sur

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