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parlé ci-devant; sont propres à prévenir ou différer ce malheur, sur-tout quand elles n'ont pas besoin de convocation formelle; car alors le prince ne saurait les empêcher, sans se déclarer ouvertement infracteur des loix et ennemi de l'état.

L'ouverture de ces assemblées, qui n'ont pour objet que le maintien du traité social, doit toujours se faire par deux proportions qu'on ne puisse jamais supprimer, et qui passent séparément par les suffrages.

La première: s'il plaît au souverain de conserver la présente forme de gouverne

ment.

:

La seconde s'il plaît au peuple d'en laisser l'administration à ceux qui en sont actuellement chargés.

Je suppose ici ce que je crois avoir démontré; savoir, qu'il n'y a dans l'état aucune loi fondamentale qui ne se puisse révoquer, non pas même le pacte social; car si tous les citoyens s'assemblaient pour rompre ce pacte d'un commun accord, on ne peut douter qu'il ne fût très-légitimement rompu. Grotius pense même que chacun peut renoncer à l'état dont il est

K

membre, et reprendre sa liberté naturelle et ses biens, en sortanr du pays (1). Or il serait absurde que tous les citoyens réunis ne pussent pas ce que peut sépa rément chacun d'eux.

Fin du troisième Livre.

LIVRE I V.

CHAPITRE PREMIER.

Que la volonté générale est indestructible.

TAN ANT que plusieurs hommes réunis se considèrent comme un seul corps, ils n'ont qu'une volonté qui se rapporte à la commune conservation et au bien-être général. Alors tous les ressorts de l'état sont vigoureux et simples, ses maximes sont claires

(1) Bien entendu qu'on ne quitte pas pour éluder son devoir et se dispenser de servir sa patrie au moment où elle a besoin de nous. La fuite alors serait criminelle et punissable; ce ne serait plus retraite, mais désertion.

et lumineuses, il n'a point d'intérêts embrouillés, contradictoires; le bien commun se montre par- tout avec évidence, et ne demande que du bon sens pour être apperçu. La paix, l'union, l'égalité, sont ennemies des subtilités politiques. Les hommes droits et simples sont difficiles à tromper à cause de leur simplicité : les leurres, les prétextes rafinės ne leur en imposent point; ils ne sont pas même assez fins pour être dupes. Quand on voit chez le plus heureux peuple du monde des troupes de paysans régler les

affaires d'état sous un chêne, et le conduire toujours sagement, peut-on s'empêcher de mépriser les rafinemens des autres nations, qui se rendent illustres et méprisables avec tant d'art et de mystères?

Un état ainsi gouverné a besoin de trèspeu de loix à mesure qu'il devient nécessaire d'en promulguer de nouvelles : cette nécessité se voit universellement. Le premier qui les fait dire ce que propose ne que tous ont déjà senti, et il n'est question ni de brigues, ni d'éloquence , pour passer en loi ce que chacun a déjà résolu de faire, si tôt qu'il sera sûr que les autres le feront comme lui.

Ce qui trompe les raisonneurs, c

faire

,c'est que

ne voyant que des états mal constitués dès leur origine, ils sont frappés de l'impossibilité d'y maintenir une semblable police. Ils rient d'imaginer toutes les sottises qu'un fourbe adroit, un parleur insinuant, pourrait persuader au peuple de Paris ou de Londres. Ils ne savent pas que Cromwel eût été mis aux sonnettes par le peuple de Berne, et le duc de Beaufort à la discipline par les Génevois.

Mais quand le noeud social commence à se relâcher, et l'état à s'affaiblir; quand les intérêts particuliers commencent à se faire sentir, et les petites sociétés à insinuer sur la grande, l'intérêt commun s'altère et trouve des opposans, l'unanimité ne règne plus dans les loix; la volonté géné rale n'est plus la volonté de tous; il s'élève des contradictions, des débats ; et le meilleur avis ne passe point sans disputes.

Enfin, quand l'état, près de sa ruine, ne subsiste plus que par une forme illusoire et vaine, que le lien social est rompu dans tous les cœurs, que le plus vil intérêt se pare effrontément du nom sacré du bien public; alors la volonté générale devient muette; tous, guidés par des motifs secrets, n'opinent pas plus comme citoyens, que

pas

si l'état n'eût jamais existé, et l'on fait ser faussement, sous le nom de loix, des décrets iniques qui n'ont pour but que l'intérêt particulier.

S'ensuit-il de-là que la volonté générale soit anéantie ou corrompue? Non; elle est toujours constante, inaltérable et pure; mais elle est subordonnée à d'autres qui l'emportent sur elle. Chacun détachant son intérêt de l'intérêt commun, voit bien qu'il ne peut l'en séparer tout-à-fait; mais sa part du mal public ne lui paraît rien, auprès du bien exclusif qu'il prétend s'approprier. Ce bien particulier excepté, il veut le bien général pour son propre intérêt, tout aussi fortement qu'un autre. Même en vendant son suffrage à prix d'argent, il n'éteint pas la volonté générale; il l'élude. La faute qu'il commet est de changer l'état de la question, et de répondre autre chose que ce qu'on lui demande : en sorte qu'au lieu de dire, par son suffrage, it est avantageux à l'état, il dit, est avantageux à tel homme, ou à tel parti, que tel ou tel avis passe. Ainsi, la loi de l'ordre public dans les assemblées n'est pas tant d'y maintenir la volonté générale, que de faire qu'elle soit interrogée et qu'elle réponde toujours.

il

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