Page images
PDF
EPUB

bunaux, les moins nombreux acquièrent tôt ou tard la plus grande autorité; ne fùt-ce qu'à cause de la facilité d'expédier les affaires qui les y amènent naturellement.

D'ailleurs , que de choses difficiles à réunir ne suppose pas ce gouvernement? Premièrement, un état très - petit où le peuple soit facile à rassembler, et où chaque citoyen puisse aisément connaître tous les autres; secondement, une grande simplicité de moeurs qui prévienne la multitude d'affaires et les discussions épineu

s, ensuite beaucoup d'égalité dans les angs et dans les fortunes, sans quoi l'égalité ne saurait subsister long-temps dans les droits et l'autorité : enfin, peu ou point de luxe; car, ou le luxe est l'effet des richesses, ou il les rend nécessaires; il corrompt à-la-fois le riche et le pauvre, l'un par la possession, l'autre par la convoitise; il vend la patrie à la molesse, à la vanité; il ôte à l'état tous ses citoyens, pour les asservir les uns aux autres, et tous à l'opinion.

Voilà pourquoi un auteur célèbre a donné la vertu pour principe à la république ; car toutes ces conditions ne sauraient subsister sans la vertu; mais, faute d'avoir

G

fait les distinctions nécessaires, ce beau génie a manqué souvent de justesse, quelquefois de clarté, et n'a pas vu que l'autorité souveraine étant par-tout la même le même principe doit avoir lieu dans tout état bien constitué; plus ou moins, il est vrai, selon la forme du gouvernement.

[ocr errors]

Ajoutons qu'il n'y a pas de gouvernement si sujet aux guerres civiles et aux agitations intestines que le démocratique qu populaire, parce qu'il n'y en a aucun qui tende si fortement et si continuellement à changer de forme, ni qui demande plus de vigilance et de courage pour être maintenu dans la sienne. C'est sur-tout dans cette constitution que le citoyen doit s'armer de force et de constance, et dire chaque jour de sa vie au fond de son cœur, ce que disait un vertueux palatin ( 1 ) dans la diete de Pologne: Malo periculosam libertatem quam quietum servitium.

S'il y avait un peuple de Dieux, il se gouvernerait démocratiquement. Un gouvernement si parfait ne convient pas à des hommes.

(1) Le palatin de posnanie, père du roi de Pologne, dus de Lorraine.

[ocr errors]

CHAPITRE

De l'Aristocratie.

V.

N. ous avons ici deux personnes morales très distinctes, savoir, le gouvernement et le souverain; et par conséquent deux volontés générales, l'une, par rapport à tous les citoyens, l'autre, seulement pour les membres de l'administration. Ainsi, bien que le gouvernement puisse régler sa police interieure comme il lui plaît, il ne peut jamais parler au peuple qu'au nom du souverain, c'est-à-dire au nom du peuple même; ce qu'il ne faut jamais oublier.

Les premières sociétés se gouvernèrent aristocratiquement. Les chefs des familles délibéraient entr'eux des affaires publiques, Les jeunes gens cédaient sans peine à l'autorité de l'expérience. De-là, les noms de prêtres, d'anciens, de sénat, de gérontes, Les sauvages de l'Amérique septentrionale se gouvernent encore ainsi de nos jours, et sont très-bien gouvernés.'

Mais à mesure que l'inégalité d'institusion l'emporta sur l'inégalité naturelle, la

richesse ou la puissance (1) fut préférée à l'âge, et l'aristocratie devint élective. Enfin, la puissance transmise avec les biens du père aux enfans rendant les familles praticiennes, rendit le gouvernement héréditaire, et l'on vit des sénateurs de vingt

ans.

Il y a donc trois sortes d'aristocratie; naturelle, élective, héréditaire. La première ne convient qu'à des peuples simples; la troisième est le pire de tous les gouvernemens. La deuxième est le meilleur c'est l'aristocratie proprement dite.

Outre l'avantage de la distinction des deux pouvoirs, elle a celui du choix de ses membres car, dans le gouvernement populaire, tous les citoyens naissent magistrats, mais celui-ci les borne à un petit nombre, et ils ne le deviennent que par élection (2); moyen par lequel la probité,

(1) Il est clair que le mot OPTIMATES chez les anciens ne veut pas dire les meilleurs, mais les plus puissans.

(2) Il importe beaucoup de régler par des loix la forme de l'élection des magistrats; car en l'abandonnant à la volonté

les lumières, l'expérience, et toutes les autres raisons de préférence et d'estime publique, sont autant de nouveaux garans qu'on sera sagement gouverné.

De plus, les assemblées se font plus commodément, les affaires se discutent mieux, s'expédient avec plus d'ordre et de diligence; le crédit de l'état est mieux soutenu chez l'étranger par de vénérables sénateurs, que par une multitude inconnue ou méprisée.

En un mot, c'est l'ordre le meilleur et le plus naturel que les plus sages gouvernent la multitude, quand on est sûr qu'ils la gouverneront pour son profit et non pour le leur; il ne faut point multiplier en vain les ressorts, ni faire avec vingt mille hommes, ce que cent hommes choisis peuvent faire encore mieux. Mais il faut

du prince, on ne peut éviter de tomber dans l'aristocratie héréditaire, comme il est arrivé aux républiques de VENISE et BERNE. Aussi la première est - elle depuis long-temps un état dissout, mais la seconde se maintient par l'extrême sagesse de son sénat; c'est une exception bien honorable et bien dangereuse.

« PreviousContinue »