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pourrez, et vous agirez en vrai roi de concupiscence.

Ce que je vous dis ne va pas bien loin; et si vous en demeurez là, vous ne laisserez pas de vous perdre; mais au moins vous vous perdrez en honnête homme. Il y a des gens qui se damnent si sottement, par l'avarice, par la brutalité, par la débauche, par la violence, par les emportements, par les blasphèmes! Le moyen que je vous ouvre est sans doute plus honnête; mais c'est toujours une grande folie que de se damner et c'est pourquoi il ne faut pas en demeurer là. Il faut mépriser la concupiscence et sou royaume, et aspirer à ce royaume de charité où tous les sujets ne respirent que la charité, et ne desirent que les biens de la charité. D'autres que moi vous en diront le chemin; il me suffit de vous avoir détourné de ces voies brutales où je vois que plusieurs personnes de qualité se laissent emporter, faute de bien en connoître la véritable nature.

SECONDE PARTIE,

CONTENANT LES PENSÉES IMMÉDIATEMENT
RELATIVES A LA RELIGION.

ARTICLE PREMIER.

Contrariétés étonnantes qui se trouvent dans la nature de l'homme à l'égard de la vérité, du bonheur, et de plusieurs autres choses.

I.

sion et l'embarras de l'homme, lorsqu'il n'a point d'autre lumière que celle qu'il trouve dans sa nature.

Les principales raisons des pyrrhoniens sont que nous n'avons aucune certitude de la vérité des principes, hors la foi et la révélation, sinon en ce que nous les sentons naturellement en nous. Or ce sentiment naturel n'est pas une preuve convaincante de leur vérité, puisque, n'y ayant point de certitude hors la foi, si l'homme est créé par un Dieu bon, ou par un démon méchant, s'il a été de tout temps, ou s'il s'est fait par hasard, il est en doute si ces principes nous sont donnés, ou véritables, ou faux, ou incertains, selon notre origine. De plus, que personne n'a d'assurance hors la foi, s'il veille, ou s'il dort, vu que, durant le sommeil, on ne croit pas moins fermement veiller qu'en veillant effectivement. On croit voir les espaces, les figures, les mouvements; on sent couler le temps, on le mesure, et enfin on agit de même qu'éveillé. De sorte que, la moitié de la vie se passant en sommeil par notre propre aveu, où, quoi qu'il nous en paroisse, nous n'avons aucune idée du vrai, tous nos sentiments étant alors des illusions; qui sait si cette autre moitié de la vie où nous pensons veiller n'est pas un sommeil un peu différent du premier dont nous nous éveillons quand nous pensons dormir, comme on rêve souvent qu'on rêve en entassant songes sur songes?

Je laisse les discours que font les pyrrhoniens contre les impressions de la coutume, de l'éducation, des mœurs, des pays, et les autres choses semblables, qui entraînent la plus grande partie des hommes qui ne dogmatisent que sur ces vains fondements.

Rien n'est plus étrange dans la nature de l'homme que les contrariétés qu'on y découvre L'unique fort des dogmatistes, c'est qu'en à l'égard de toutes choses. Il est fait pour con- parlant de bonne foi et sincèrement, on ne peut noître la vérité; il la desire ardemment, il la douter des principes naturels. Nous connoischerche; et cependant, quand il tâche de la sons, disent-ils, la vérité, non seulement par saisir, il s'éblouit et se confond de telle sorte, raisonnement, mais aussi par sentiment, et par qu'il donne sujet de lui en disputer la posses- une intelligence vive et lumineuse; et c'est de sion. C'est ce qui a fait naître les deux sectes cette dernière sorte que nous connoissons les de pyrrhoniens et de dogmatistes, dont les uns premiers principes. C'est en vain que le raisonont voulu ravir à l'homme toute connoissance nement, qui n'y a point de part, essaie de les de la vérité, et les autres tâchent de la lui as- combattre. Les pyrrhoniens, qui n'ont que cela surer; mais chacun avec des raisons si peu pour objet, y travaillent inutilement. Nous savraisemblables, qu'elles augmentent la confu-vons que nous ne rêvons point, quelque impuis

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sance où nous soyons de le prouver par raison. Cette impuissance ne conclut autre chose que la foiblesse de notre raison, mais non pas l'incertitude de toutes nos connoissances, comme ils le prétendent: car la connoissance des premiers principes, comme, par exemple, qu'il y a espace, temps, mouvement, nombre, matière, est aussi ferme qu'aucune de celles que nos raisonnements nous donnent. Et c'est sur ces connoissances d'intelligence et de sentiment qu'il faut que la raison s'appuie, et qu'elle fonde tout son discours. Je sens qu'il y a trois dimensions dans l'espace, et que les nombres sont infinis ; et la raison démontre ensuite qu'il n'y a point deux nombres carrés, dont l'un soit double de l'autre. Les principes se sentent; les propositions se concluent ; le tout avec certitude, quoique par différentes voies. Et il est aussi ridicule que la raison demande au sentiment et à l'intelligence des preuves de ces premiers principes pour y consentir, qu'il seroit ridicule que l'intelligence demandat à la raison un sentiment de toutes les propositions qu'elle démontre. Cette impuissance ne peut donc servir qu'à humilier la raison qui voudroit juger de tout, mais non pas à combattre notre certitude, comme s'il n'y avoit que la raison capable de nous instruire. Plût à Dieu que nous n'en eussions au contraire jamais besoin, et que nous connussions toutes choses par instinct et par sentiment! Mais la nature nous a refusé ce bien, et elle ne nous a donné que très peu de connoissances de cette sorte: toutes les autres ne peuvent être acquises que par le raisonne

ment.

Voilà donc la guerre ouverte entre les hommes. Il faut que chacun prenne parti, et se range nécessairement, ou au dogmatisme, ou au pyrrhonisme; car qui penseroit demeurer neutre seroit pyrrhonien par excellence: cette neutralité est l'essence du pyrrhonisme; qui n'est pas contre eux est excellemment pour eax. Que fera donc l'homme en cet état? Doutera-t-il de tout? doutera-t-il s'il veille, si on le pince, si on le brûle? doutera-t-il s'il doute? doutera-t-il s'il est? On ne sauroit en venir là; et je mets en fait qu'il n'y a jamais eu de pyrrhonien effectif et parfait. La nature soutient la raison impuissante, et l'empêche d'extrava

|guer jusqu'à ce point. Dira-t-il, au contraire, qu'il possède certainement la vérité, lui qui, si peu qu'on le pousse, ne peut en montrer aucun titre, et est forcé de lâcher prise?

Qui démêlera cet embrouillement? La nature confond les pyrrhoniens, et la raison confond les dogmatistes. Que deviendrez-vous donc, ô homme! qui cherchez votre véritable condition par votre raison naturelle? Vous ne pouvez fuir une de ces sectes, ni subsister dans aucune. Voilà ce qu'est l'homme à l'égard de la vérité.

Considérons-le maintenant à l'égard de la félicité qu'il recherche avec tant d'ardeur en toutes ses actions; car tous les hommes desirent d'être heureux : cela est sans exception. Quelque différents moyens qu'ils y emploient, ils tendent tous à ce but. Ce qui fait que l'un va à la guerre, et que l'autre n'y va pas, c'est ce même desir qui est dans tous les deux, accompagné de différentes vues. La volonté ne fait jamais la moindre démarche que vers cet objet. C'est le motif de toutes les actions de tous les hommes, jusqu'à ceux qui se tuent et qui se pendent. Et cependant, depuis un si grand nombre d'années, jamais personne, sans la foi, n'est arrivé à ce point, où tous tendent continuellement. Tous se plaignent, princes, sujets; nobles, roturiers; vieillards, jeunes; forts, foibles; savants, ignorants; sains, malades, de tout pays, de tout temps, de tous âges et de toutes conditions.

Une épreuve si longue, si continuelle et si uniforme devroit bien nous convaincre de l'impuissance où nous sommes d'arriver au bien par nos efforts: mais l'exemple ne nous instruit point. Il n'est jamais si parfaitement semblable, qu'il n'y ait quelque délicate différence; et c'est là que nous attendons que notre espérance ne sera pas déçue en cette occasion comme en l'autre. Ainsi le présent ne nous satisfaisant jamais, l'espérance nous pipe; et de malheur en malheur, nous mène jusqu'à la mort, qui en est le comble éternel.

C'est une chose étrange, qu'il n'y a rien dans la nature qui n'ait été capable de tenir la place de la fin et du bonheur de l'homme, astres, éléments, plantes, animaux, insectes, maladies, guerres, vices, crimes, etc. L'homme

étant déchu de son état naturel, il n'y a rien à | passions a fait que ceux qui ont voulu avoir la

quoi il n'ait été capable de se porter. Depuis qu'il a perdu le vrai bien, tout également peut lui paroître tel, jusqu'à sa destruction propre, toute contraire qu'elle est à la raison et à la nature tout ensemble.

paix se sont partagés en deux sectes. Les uns ont voulu renoncer aux passions et devenir dieux : les autres ont voulu renoncer à la raison, et devenir bêtes. Mais ils ne l'ont pas pu, ni les uns, ni les autres; et la raison demeure toujours, qui accuse la bassesse et l'injustice des passions, et trouble le repos de ceux qui s'y abandonnent; et les passions sont toujours vivantes dans ceux mêmes qui veulent y renoncer.

III.

Voilà ce que peut l'homme par lui-même et par ses propres efforts à l'égard du vrai et du bien. Nous avons une impuissance à prouver, invincible à tout le dogmatisme: nous avons une idée de la vérité, invincible à tout le pyrrhonisme. Nous souhaitons la vérité, et ne trou

Les uns ont cherché la félicité dans l'autorité, les autres dans les curiosités et dans les sciences, les autres dans les voluptés. Ces trois concupiscences ont fait trois sectes; et ceux qu'on appelle philosophes n'ont fait effectivement que suivre une des trois. Ceux qui en ont le plus approché ont considéré qu'il est nécessaire que le bien universel, que tous les hommes desirent, et où tous doivent avoir part, ne soit dans aucune des choses particulières qui ne peuvent être possédées que par un seul, et qui, étant partagées, affligent plus leur possesseur par le manque de la partie qu'il n'avons en nous qu'incertitude. Nous cherchons le pas, qu'elles ne le contentent par la jouissance de celle qui lui appartient. Ils ont compris que le vrai bien devoit être tel, que tous pussent le posséder à-la-fois sans diminution et sans envie, et que personne ne pût le perdre contre son gré. Ils l'ont compris; mais ils n'ont pu le trouver et au lieu d'un bien solide et effectif, ils n'ont embrassé que l'image creuse d'une vertu fantastique.

Notre instinct nous fait sentir qu'il faut chercher notre bonheur dans nous. Nos passions nous poussent au dehors, quand même les objets ne s'offriroient pas pour les exciter. Les objets du dehors nous tentent d'eux-mêmes et nous appellent, quand même nous n'y pensons pas. Ainsi les philosophes ont beau dire: Rentrez en vous-même, vous y trouverez votre bien, on ne les croit pas; et ceux qui les croient sont les plus vides et les plus sots. Car qu'y a-t-il de plus ridicule et de plus vain que ce que proposent les stoïciens, et de plus faux que tous leurs raisonnements? Ils concluent qu'on peut toujours ce qu'on peut quelquefois; et que, puisque le desir de la gloire fait bien faire quelque chose à ceux qu'il possède, les autres le pourront bien aussi. Ce sont des mouvements fiévreux, que la santé ne peut imiter.

bonheur, et ne trouvons que misère. Nous sommes incapables de ne pas souhaiter la vérité et le bonheur, et nous sommes incapables et de certitude et de bonheur. Ce desir nous est laissé, tant pour nous punir que pour nous faire sentir d'où nous sommes tombés.

IV.

Si l'homme n'est pas fait pour Dieu, pourquoi n'est-il heureux qu'en Dieu? Si l'homme est fait pour Dieu, pourquoi est-il si contraire

à Dieu ?

V.

L'homme ne sait à quel rang se mettre. Il est visiblement égaré, et sent en lui des restes d'un état heureux, dont il est déchu, et qu'il ne peut recouvrer. Il le cherche par-tout avec inquiétude et sans succès dans des ténèbres impénétrables.

C'est la source des combats des philosophes, dont les uns ont pris à tâche d'élever l'homme en découvrant ses grandeurs, et les autres de l'abaisser en représentant ses misères. Ce qu'il y a de plus étrange, c'est que chaque parti se sert des raisons de l'autre pour établir son opinion; car la misère de l'homme se conclut de sa grandeur, et sa grandeur se conclut de sa misère. Ainsi les uns ont d'autant mieux conclu la La guerre intérieure de la raison contre les misère, qu'ils en ont pris pour preuve la gran

II.

deur; et les autres ont conclu la grandeur avec | montre, puisque cette obscurité où ils sont, et d'autant plus de force, qu'ils l'ont tirée de la qu'ils objectent à l'Église, ne fait qu'établir misère même. Tout ce que les uns ont pu dire une des choses qu'elle soutient, sans toucher à pour montrer la grandeur n'a servi que d'un ar- l'autre, et confirme sa doctrine, bien loin de la gument aux autres pour conclure la misère, ruiner? puisque c'est être d'autant plus misérable, qu'on est tombé de plus haut: et les autres au contraire. Ils se sont élevés les uns sur les autres par un cercle sans fin : étant certain qu'à mesure que les hommes ont plus de lumière, ils découvrent de plus en plus en l'homme de la misère et de la grandeur. En un mot, l'homme connoît qu'il est misérable : il est donc misérable, puisqu'il le connoît; mais il est bien grand, puisqu'il connoît qu'il est misérable.

Quelle chimère est-ce donc que l'homme! Quelle nouveauté, quel chaos, quel sujet de contradiction! Juge de toutes choses, imbécile ver de terre, dépositaire du vrai, amas d'incertitude, gloire et rebut de l'univers : s'il se vante, je l'abaisse ; s'il s'abaisse, je le vante; et le contredis toujours, jusqu'à ce qu'il comprenne qu'il est un monstre incompréhensible.

ARTICLE II.

Nécessité d'étudier la religion.

Que ceux qui combattent la religion apprennent au moins quelle elle est, avant que de la combattre. Si cette religion se vantoit d'avoir une vue claire de Dieu, et de la posséder à découvert et sans voile, ce seroit la combattre que de dire qu'on ne voit rien dans le monde qui le montre avec cette évidence. Mais puisqu'elle dit, au contraire, que les hommes sont dans les ténèbres et dans l'éloignement de Dieu; qu'il s'est caché à leur connoissance; et que c'est même le nom qu'il se donne dans les Écritures, Deus absconditus : et enfin si elle travaille également à établir ces deux choses que Dieu a mis des marques sensibles dans l'Église pour se faire reconnoître à ceux qui le chercheroient sincèrement ; et qu'il les a couvertes néanmoins de telle sorte, qu'il ne sera aperçu que de ceux qui le cherchent de tout leur cœur: quel avantage peuvent-ils tirer, lorsque, dans la négligence où ils font profession d'être de chercher la vérité, ils crient que rien ne la leur

Il faudroit, pour la combattre, qu'ils criassent qu'ils ont fait tous leurs efforts pour la chercher par-tout, et même dans ce que "Église propose pour s'en instruire, mais sans aucune satisfaction. S'ils parloient de la sorte, ils combattroient, à la vérité, une de ses prétentions. Mais j'espère montrer ici qu'il n'y a point de personne raisonnable qui puisse parler de la sorte; et j'ose même dire que jamais personne ne l'a fait. On sait assez de quelle manière agissent ceux qui sont dans cet esprit. Ils croient avoir fait de grands efforts pour s'instruire, lorsqu'ils ont employé quelques heures à la lecture de l'Écriture, et qu'ils ont interrogé quelque ecclésiastique sur les vérités de la foi. Après cela, ils se vantent d'avoir cherché sans succès dans les livres et parmi les hommes. Mais, en vérité, je ne puis m'empêcher de leur dire ce que j'ai dit souvent, que cette négligence n'est pas supportable. Il ne s'agit pas ici de l'intérêt léger de quelque personne étrangère; il s'agit de nous-mêmes et de

notre tout.

L'immortalité de l'ame est une chose qui nous importe si fort, et qui nous touche si profondément, qu'il faut avoir perdu tout sentiment pour être dans l'indifférence de savoir ce qui en est. Toutes nos actions et toutes nos pensées doivent prendre des routes si différentes, selon qu'il y aura des biens éternels à espérer, ou non, qu'il est impossible de faire une démarche avec sens et jugement qu'en la réglant par la vue de ce point, qui doit être notre premier objet.

Ainsi notre premier intérêt et notre premier devoir est de nous éclaircir sur ce sujet, d'où dépend toute notre conduite. Et c'est pourquoi, parmi ceux qui n'en sont pas persuadés, je fais une extrême différence entre ceux qui travaillent de toutes leurs forces à s'en instruire, et ceux qui vivent sans s'en mettre en peine et sans y penser.

Je ne puis avoir que de la compassion pour ceux qui gémissent sincèrement dans ce doute,

qui le regardent comme le dernier des malheurs, et qui, n'épargnant rien pour en sortir, font de cette recherche leur principale et leur plus sérieuse occupation. Mais pour ceux qui passent leur vie sans penser à cette dernière fin de la vie, et qui, par cette seule raison qu'ils ne trouvent pas en eux-mêmes des lumières qui les persuadent, négligent d'en chercher ailleurs, et d'examiner à fond si cette opinion est de celles que le peuple reçoit par une simplicité crédule, ou de celles qui, quoique obscures d'elles-mêmes, ont néanmoins un fondement très solide; je les considère d'une manière toute différente. Cette négligence en une affaire où il s'agit d'eux-mêmes, de leur éternité, de leur tout, m'irrite plus qu'elle ne m'attendrit; elle m'étonne et m'épouvante; c'est un monstre pour moi. Je ne dis pas ceci par le zèle pieux d'une dévotion spirituelle. Je prétends, au contraire, que l'amour-propre, que l'intérêt humain, que la plus simple lumière de la raison doit nous donner ces sentiments. Il ne faut voir pour cela que ce que voient les personnes les moins éclairées.

Il ne faut pas avoir l'ame fort élevée pour comprendre qu'il n'y a point ici de satisfaction véritable et solide; que tous nos plaisirs ne sont que vanité; que nos maux sont infiniş; et qu'enfin la mort, qui nous menace à chaque instant, doit nous mettre dans peu d'années, et peutêtre en peu de jours, dans un état éternel de bonheur, ou de malheur, ou d'anéantissement. Entre nous et le ciel, l'enfer ou le néant, il n'y a donc que la vie, qui est la chose du monde la plus fragile; et le ciel n'étant pas certainement pour ceux qui doutent si leur ame est immortelle, ils n'ont à attendre que l'enfer, ou le

néant.

Il n'y a rien de plus réel que cela, ni de plus terrible. Faisons tant que nous voudrons les braves, voilà la fin qui attend la plus belle vie du monde.

C'est en vain qu'ils détournent leur pensée de cette éternité qui les attend, comme s'ils pouvoient l'anéantir en n'y pensant point. Elle subsiste malgré eux, elle s'avance; et la mort, qui doit l'ouvrir, les mettra infailliblement, dans peu de temps, dans l'horrible nécessité d'être éternellement ou anéantis, ou malheureux.

Voilà un doute d'une terrible conséquence; et c'est déja assurément un très grand mal que d'être dans ce doute; mais c'est au moins un devoir indispensable de chercher quand on y est. Ainsi celui qui doute et qui ne cherche pas est tout ensemble, et bien injuste, et bien malheureux. Que s'il est avec cela tranquille et satisfait, qu'il en fasse profession, et enfin qu'il en fasse vanité, et que ce soit de cet état mème qu'il fasse le sujet de sa joie et de sa vanité, je n'ai point de termes pour qualifier une si extravagante créature.

Où peut-on prendre ces sentiments? Quel sujet de joie trouve-t-on à n'attendre plus que des misères sans ressource? Quel sujet de vanité de se voir dans des obscurités impénétrables? Quelle consolation de n'attendre jamais de consolateur?

Ce repos dans cette ignorance est une chose monstrueuse, et dont il faut faire sentir l'extravagance et la stupidité à ceux qui y passent leur vie, en leur représentant ce qui se passe en eux-mêmes pour les confondre par la vue de leur folie car voici comment raisonnent les hommes, quand ils choisissent de vivre dans cette ignorance de ce qu'ils sont, et sans en rechercher d'éclaircissement.

Je ne sais qui m'a mis au monde, ni ce que c'est que le monde, ni que moi-même. Je suis dans une ignorance terrible de toutes choses. Je ne sais ce que c'est que mon corps, que mes sens, que mon ame : et cette partie même de moi qui pense ce que je dis, et qui fait réflexion sur tout et sur elle-même, ne se connoît non plus que le reste. Je vois ces effroyables espaces de l'univers qui m'enferment, et je me trouve attaché à un coin de cette vaste étendue, sans savoir pourquoi je suis plutôt placé en ce lieu qu'en un autre, ni pourquoi ce peu de temps qui m'est donné à vivre m'est assigné à ce point plutôt qu'à un autre de toute l'éternité qui m'a précédé, et de toute celle qui me suit. Je ne vois que des infinités de toutes parts, qui m'engloutissent comme un atome, et comme une ombre qui ne dure qu'un instant sans retour. Tout ce que je connois, c'est que je dois bientôt mourir; mais ce que j'ignore le plus, c'est cette mort même que je ne saurois éviter.

Comme je ne sais d'où je viens, aussi ne sais

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