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Ainsi cela fait un cercle, d'où bienheureux sont | trouve si propres, qu'on gâteroit le discours, il ceux qui sortent.

XVII.

Lorsque dans les choses de la nature, dont la connoissance ne nous est pas nécessaire, il y en a dont on ne sait pas la vérité, il n'est peutêtre pas mauvais qu'il y ait une erreur commune qui fixe l'esprit des hommes, comme, par exemple, la lune, à qui on attribue les changements de temps, les progrès des maladies, etc. Car c'est une des principales maladies de l'homme, que d'avoir une curiosité inquiète pour les choses qu'il ne peut savoir; et je ne sais si ce ne lui est point un moindre mal d'être dans l'erreur pour les choses de cette nature, que d'être dans cette curiosité inutile.

XVIII.

Si la foudre tomboit sur les lieux bas, les poëtes et ceux qui ne savent raisonner que sur les choses de cette nature, manqueroient de

preuves.

XIX.

L'esprit a son ordre, qui est par principes et démonstrations; le cœur en a un autre. On ne prouve pas qu'on doit être aimé, en exposant par ordre les causes de l'amour cela seroit ridicule.

JÉSUS-CHRIST et saint Paul ont bien plus suivi cet ordre du cœur, qui est celui de la charité, que celui de l'esprit; car leur but principal n'étoit pas d'instruire, mais d'échauffer. Saint Augustin de même. Cet ordre consiste principalement à la digression sur chaque point qui rapport à la fin, pour la montrer toujours.

XX.

a

Il y en a qui masquent toute la nature. Il n'y a point de roi parmi eux, mais un auguste monarque; point de Paris, mais une capitale du royaume. Il y a des endroits où il faut appeler Paris, Paris; et d'autres où il faut l'appeler capitale du royaume.

XXI.

Quand dans un discours on trouve des mots répétés, et qu'essayant de les corriger, on les

faut les laisser, c'en est la marque, et c'est la part de l'envie qui est aveugle, et qui ne sait pas que cette répétition n'est pas faute en cet endroit : car il n'y a point de règle générale.

XXII.

Ceux qui font des antithèses en forçant les mots sont comme ceux qui font de fausses fenêtres pour la symétrie. Leur règle n'est pas de parler juste, mais de faire des figures justes.

XXIII.

Une langue à l'égard d'une autre est un chiffre où les mots sont changés en mots, et non les lettres en lettres; ainsi une langue inconnue est déchiffrable.

XXIV.

Il y a un modèle d'agrément et de beauté, qui consiste en un certain rapport entre notre nature foible ou forte, telle qu'elle est, et la chose qui nous plaît. Tout ce qui est formé sur ce modèle nous agrée: maison, chanson, discours, vers, prose, femmes, oiseaux, rivières, arbres, chambres, habits. Tout ce qui n'est point sur ce modèle déplaît à ceux qui ont le goût bon.

XXV.

dire aussi beauté géométrique, et beauté médiComme on dit beauté poétique, on devroit cinale. Cependant on ne le dit point : et la raigéométrie et quel est l'objet de la médecine; son en est qu'on sait bien quel est l'objet de la mais on ne sait pas en quoi consiste l'agrément, qui est l'objet de la poésie. On ne sait ce que c'est que ce modèle naturel qu'il faut imiter; et, faute de cette connoissance, on a inventé de certains termes bizarres : siècle d'or, merveilles de nos jours, fatal laurier, bel astre, etc.; et on appelle ce jargon beauté poétique. Mais qui s'imaginera une femme vêtue sur ce modèle, verra une jolie demoiselle toute couverte de miroirs et de chaînes de laiton; et au lieu de la trouver agréable, il ne pourra s'empêcher d'en rire, parce qu'on sait mieux en quoi consiste l'agrément d'une femme que l'agrément des vers. Mais ceux qui ne s'y connoissent pas l'admireront peut-être en cet équipage; et il y a bien

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XXXI.

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Les astrologues, les alchimistes, etc., ont Quelle vanité que la peinture, qui attire l'ad- quelques principes ; mais ils en abusent. Or, l'a

bus des vérités doit être autant puni que l'introduction du mensonge.

XLI.

Je ne puis pardonner à Descartes : il auroit bien voulu, dans toute sa philosophie, pouvoir se passer de Dieu; mais il n'a pu s'empêcher de lui faire donner une chiquenaude pour mettre le monde en mouvement; après cela il n'a plus que faire de Dieu.

ARTICLE XI.

Sur Épictète et Montaigne'.

I.

« une comédie, tel qu'il plaît au maître de vous le donner. S'il vous le donne court, jouez-le court; s'il vous le donne long, jouez-le long: « soyez sur le théâtre autant de temps qu'il lui plaît ; paroissez-y riche ou pauvre, selon qu'il l'a ordonné. C'est votre fait de bien jouer le personnage qui vous est donné; mais de le <choisir, c'est le fait d'un autre. Ayez tous les jours devant les yeux la mort et les maux qui semblent les plus insupportables; et jamais vous ne penserez rien de bas, et ne desirerez <rien avec excès. »

(

Il montre en mille manières ce que l'homme doit faire. Il veut qu'il soit humble; qu'il cache ses bonnes résolutions, sur-tout dans les commencements, et qu'il les accomplisse en secret: rien ne les ruine davantage que de les produire. Il ne se lasse point de répéter que toute l'étude et le desir de l'homme doivent être de connoître la volonté de Dieu, et de la suivre.

(

Épictète est un des philosophes du monde qui ait le mieux connu les devoirs de l'homme. Il veut, avant toutes choses, qu'il regarde Dieu comme son principal objet; qu'il soit persuadé Telles étoient les lumières de ce grand esprit qu'il gouverne tout avec justice; qu'il se sou- qui a si bien connu les devoirs de l'homme : mette à lui de bon cœur ; et qu'il le suive volon- heureux s'il avoit aussi connu sa foiblesse ! Mais tairement en tout, comme ne faisant rien qu'avec après avoir si bien compris ce qu'on doit faire, une très grande sagesse : qu'ainsi cette disposi- il se perd dans la présomption de ce que l'on tion arrêtera toutes les plaintes et tous les mur-peut. Dieu, dit-il, a donné à tout homme les mures, et préparera son esprit à souffrir paisi<moyens de s'acquitter de toutes ses obligablement les événements les plus fâcheux.< Ne tions; ces moyens sont toujours en sa puis« dites jamais, dit-il, J'ai perdu cela; dites plu-sance; il ne faut chercher la félicité que par «tôt, Je l'ai rendu : mon fils est mort, je l'ai << rendu ma femme est morte, je l'ai rendue. « Ainsi des biens, et de tout le reste. Mais celui qui me l'ôte est un méchant homme, direz« vous pourquoi vous mettez-vous en peine « par qui celui qui vous l'a prêté vient le redemander? Pendant qu'il vous en permet l'usage, <ayez-en soin comme d'un bien qui appartient « à autrui, comme un voyageur fait dans une « hôtellerie. Vous ne devez pas, dit-il encore,« << desirer que les choses se fassent comme vous « le voulez ; mais vous devez vouloir qu'elles se «fassent comme elles se font. Souvenez-vous, ajoute-t-il, que vous êtes ici comme un ac«teur, et que vous jouez votre personnage dans

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1 Tout cet article sur Épictète et Montaigne est extrait d'un

dialogue de Pascal avec Sacy, extrait dans lequel on a conservé seulement les pensées de Pascal. Ceux qui voudront lire le dialogue même pourront consulter le père Desmolets, tome V de

la continuation des Mémoires d'histoire et de littérature, ou Acs Mémoires de Fontaine, tome H.

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les choses qui sont toujours en notre pouvoir, puisque Dieu nous les a données à cette fin: <«il faut voir ce qu'il y a en nous de libre. Les « biens, la vie, l'estime, ne sont pas en notre ( puissance, et ne mènent pas à Dieu; mais ( l'esprit ne peut être forcé de croire ce qu'il «sait être faux, ni la volonté d'aimer ce qu'elle sait qui la rend malheureuse : ces deux puissances sont donc pleinement libres, et par elles seules nous pouvons nous rendre parfaits, connoître Dieu parfaitement, l'aimer, << lui obéir, lui plaire, surmonter tous les vices, < acquérir toutes les vertus, et ainsi nous ren<dre saints et compagnons de Dieu. › Ces orgueilleux principes conduisent Épictète à d'aude la substance divine; que la douleur et la tres erreurs, comme, que l'ame est une portion mort ne sont pas des maux ; qu'on peut se tuer quand on est si persécuté qu'on peut croire que Dieu nous appelle, etc.

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II.

Montaigne, né dans un état chrétien, fait profession de la religion catholique, et en cela il n'a rien de particulier; mais comme il a voulu chercher une morale fondée sur la raison, sans les lumières de la foi, il prend ses principes dans cette supposition, et considère l'homme destitué de toute révélation. Il met donc toutes choses dans un doute si universel et si général, que l'homme doutant même s'il doute, son incertitude roule sur elle-même dans un cercle perpétuel et sans repos : s'opposant également à ceux qui disent que tout est incertain, et à ceux qui disent que tout ne l'est pas, parcequ'il ne veut rien assurer. C'est dans ce doute qui doute de soi, et dans cette ignorance qui s'ignore, que consiste l'essence de son opinion. Il ne peut l'exprimer par aucun terme positif : car s'il dit qu'il doute, il se trahit, en assurant au moins qu'il doute; ce qui étant formellement contre son intention, il est réduit à s'expliquer par interrogation; de sorte que ne voulant pas dire, Je ne sais, il dit, Que sais-je? De quoi il a fait sa devise, en la mettant sous les bassins d'une balance, lesquels pesant les contradictoires, se trouvent dans un parfait équilibre. En un mot, il est pur pyrrhonien. Tous ses discours, tous ses essais, roulent sur ce principe; et c'est la seule chose qu'il prétend bien établir. Il détruit insensiblement tout ce qui passe pour le plus certain parmi les hommes, non pas pour établir le contraire, avec une certitude de laquelle seule il est ennemi, mais pour faire voir seulement que, les apparences étant égales de part et d'autre, on ne sait où asseoir sa croyance.

Dans cet esprit, il se moque de toutes les assurances; il combat, par exemple, ceux qui ont pensé établir un grand remède contre les procès, par la multitude et la prétendue justesse des lois comme si on pouvoit couper la racine des doutes, d'où naissent les procès! comme s'il y avoit des digues qui pussent arrêter le torrent de l'incertitude, et captiver les conjectures! Il dit, à cette occasion, qu'il vaudroit autant soumettre sa cause au premier passant qu'à des juges armés de ce nombre d'ordonnances. Il n'a pas l'ambition de changer l'ordre

de l'état; il ne prétend pas que son avis soit meilleur, il n'en croit aucun bon. Il veut seulement prouver la vanité des opinions les plus reçues : montrant que l'exclusion de toutes lois diminueroit plutôt le nombre des différends, que cette multitude de lois, qui ne sert qu'à l'augmenter, parceque les difficultés croissent à mesure qu'on les pèse, les obscurités se multiplient par les commentaires ; et que le plus sûr moyen d'entendre le sens d'un discours, est de ne pas l'examiner, de le prendre sur la première apparence: car, si peu qu'on l'observe, toute sa clarté se dissipe. Sur ce modèle il juge à l'aventure de toutes les actions des hommes et des points de l'histoire, tantôt d'une manière, tantôt d'une autre; suivant librement sa première vue, et sans contraindre sa pensée sous les règles de la raison, qui n'a, selon lui, que de fausses mesures. Ravi de montrer, par son exemple, les contrariétés d'un même esprit dans ce génie tout libre, il lui est également bon de s'emporter ou non dans les disputes, ayant toujours, par l'un ou l'autre exemple, un moyen de faire voir la foiblesse des opinions: étant porté avec tant d'avantage dans ce doute universel, qu'il s'y fortifie également par son triomphe et par sa défaite.

C'est dans cette assiette, toute flottante et toute chancelante qu'elle est, qu'il combat avec une fermeté invincible les hérétiques de son temps, sur ce qu'ils assuroient connoître seuls le véritable sens de l'Écriture; et c'est de là encore qu'il foudroie l'impiété horrible de ceux qui osent dire que Dieu n'est point. Il les entreprend particulièrement dans l'apologie de Raimond de Sébonde; et, les trouvant dépouillés volontairement de toute révélation, et abandonnés à leur lumière naturelle, toute foi mise à part, il les interroge de quelle autorité ils entreprennent de juger de cet Étre souverain, qui est infini par sa propre définition: eux qui ne connoissent véritablement aucune des moindres choses de la nature! Il leur demande sur quels principes ils s'appuient, et il les presse de les lui montrer. Il examine tous ceux qu'ils peuvent produire; et il pénètre si avant, par le talent où il excelle, qu'il montre la vanité de tous ceux qui passent pour les plus éclairés et les plus fermes. Il demande si l'ame connoît quel

hommes? Nous n'en avons d'autres marques que l'uniformité des conséquences, qui n'est pas toujours un signe de celle des principes; car ceuxci peuvent bien être différents, et conduire néanmoins aux mêmes conclusions, chacun sachant que le vrai se conclut souvent du faux.

Enfin Montaigne examine profondément les sciences; la géométrie, dont il tâche de montrer l'incertitude dans ses axiomes et dans les termes qu'elle ne définit point, comme d'étendue, de mouvement, etc.; la physique et la médecine, qu'il déprime en une infinité de façons; l'histoire, la politique, la morale, la jurisprudence, etc. De sorte que, sans la révélation, nous pourrions croire, selon lui, que la vie est un songe dont nous ne nous éveillons qu'à la mort, et pendant lequel nous avons aussi peu les principes du vrai que durant le sommeil naturel. C'est ainsi qu'il gourmande si fortement et si cruellement la raison dénuée de la foi, que, lui faisant douter si elle est raison

que chose; si elle se connoît elle-même; si elle est substance ou accident, corps ou esprit; ce que c'est que chacune de ces choses; et s'il n'y a rien qui ne soit de l'un de ces ordres; si elle connoît son propre corps; si elle sait ce que c'est que matière; comment elle peut raisonner, si elle est matière; et comment elle peut être unie à un corps particulier, et en ressentir les passions, si elle est spirituelle. Quand a-t-elle commencé d'être? avec ou devant le corps? finit-elle avec lui, ou non? ne se trompe-t-elle jamais? sait-elle quand elle erre? vu que l'essence de la méprise consiste à la méconnoître. Il demande encore si les animaux raisonnent, pensent, parlent : qui peut décider ce que c'est que le temps, l'espace, l'étendue, le mouvement, l'unité, toutes choses qui nous environnent, et entièrement inexplicables; ce que c'est que santé, maladie, mort, vie, bien, mal, justice, péché, dont nous parlons à toute heure ; si nous avons en nous des principes du vrai; et si ceux que nous croyons, et qu'on ap-nable, et si les animaux le sont ou non, ou plus pelle axiomes, ou notions communes à tous les ou moins que l'homme, il la fait descendre de hommes, sont conformes à la vérité essentielle. l'excellence qu'elle s'est attribuée, et la met, Puisque nous ne savons que par la seule foi par grace, en parallèle avec les bêtes, sans lui qu'un Etre tout bon nous les a données véri- permettre de sortir de cet ordre, jusqu'à ce tables, en nous créant pour connoître la vérité, qu'elle soit instruite, par son Créateur même, qui saura, sans cette lumière de la foi, si, étant de son rang qu'elle ignore: la menaçant, si formées à l'aventure, nos notions ne sont pas elle gronde, de la mettre au-dessous de toutes, incertaines, ou si, étant formées par un être ce qui lui paroît aussi facile que le contraire; faux et méchant, il ne nous les a pas données et ne lui donnant pouvoir d'agir cependant que fausses pour nous séduire? Montrant par-là que pour reconnoître sa foiblesse avec une humilité Dieu et le vrai sont inséparables, et que si l'un sincère, au lieu de s'élever par une sotte vaest ou n'est pas, s'il est certain ou incertain, nité. On ne peut voir, sans joie, dans cet aul'autre est nécessairement de même. Qui sait si teur, la superbe raison si invinciblement froisle sens commun, que nous prenons ordinaire-sée par ses propres armes, et cette révolte si ment pour juge du vrai, a été destiné à cette fonction par celui qui l'a créé? qui sait ce que c'est que vérité? et comment peut-on s'assurer de l'avoir sans la connoître? qui sait même ce que c'est qu'un être, puisqu'il est impossible de le définir, qu'il n'y a rien de plus général, et qu'il faudroit, pour l'expliquer, se servir de l'Étre même, en disant, c'est telle ou telle chose? Puis donc que nous ne savons ce que c'est qu'ame, corps, temps, espace, mouvement, vérité, bien, ni même l'être, ni expliquer l'idée que nous nous en formons, comment nous assurerons-nous qu'elle est la même dans tous les

sanglante de l'homme contre l'homme, laquelle, de la société avec Dieu où il s'élevoit par les maximes de sa foible raison, le précipite dans la condition des bêtes; et on aimeroit de tout son cœur le ministre d'une si grande vengeance, si, étant humble disciple de l'Église par la foi, il eût suivi les règles de la morale, en portant les hommes, qu'il avoit si utilement humiliés, à ne pas irriter par de nouveaux crimes celui qui peut seul les tirer de ceux qu'il les a convaincus de ne pas pouvoir seulement connoître. Mais il agit au contraire en païen: voyons sa morale.

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