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RACINE.

dont vous étiez jaloux comme poëte. La seule Qu'appelez-vous, je vous prie, de grands chose qui m'ait étonné, c'est que votre Éminence ait favorisé des écrivains indignes de sa protection'.

hommes?

BOSSUET.

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Ajoutez que je n'ai point connu tout ce que

Est-il vrai que votre Éminence ait été jalouse vous valiez. Mon esprit étoit peut-être resserré, de mes écrits?

RICHELIEU.

Pourquoi ne l'aurois-je pas été? un ministre de peu d'esprit auroit pu être assez ébloui de sa puissance pour mépriser vos talents; mais, pour moi, je connoissois le prix du génie, et j'étois jaloux d'une gloire où la fortune n'avoit point de part. Avois-je donc tant de tort?

CORNEILLE.

Cette jalousie honoroit Corneille, et ne devoit pas nuire à la réputation de son protecteur; car vous daigniez l'être, et vous récompensiez, dit un auteur', comme ministre, ce même génie

1 Voltaire a dit dans son commentaire sur Corneille, au sujet du mot bienfaits, employé par l'auteur d'Horace dans l'Épitre dédicatoire de cette pièce au cardinal de Richelieu : « Ce mot bienfaits fait voir que le cardinal de Richelieu savoit récompenser en premier ministre, ce même talent qu'il avoit persécuté dans l'auteur du CID. » -Voltaire a encore dit quel que chose d'analogue dans le Temple du Goût. Voyez les Va

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comme le vôtre, dans les bornes de son talent. Vous n'aviez pas l'esprit de la cour, et moi, je n'avois pour les lettres qu'un goût défec

tueux 2.

riantes de ce poëme, t. X, p. 188, de l'édition de ses œuvres complètes en 66 vol., Paris, Renouard, 1819. B.

On peut citer parmi ces écrivains Des Marêts, Colletet, Faret et Chapelain. Il admit quelque temps le grand Corneille dans cette troupe; mais le mérite de Corneille se trouva incompatible avec ces poëtes, et il fut aussitôt exclus. Richelieu faisoit des vers, et ce fut même pour faire représenter la tragédie de Mirame, dont il avoit donné le sujet, et dans laquelle

il avoit fait plus de cinq cents vers, qu'il fit bâtir la salle du Pa

lais-Royal. B.

2 On veut absolument que le cardinal de Richelieu ait été jaloux des succès de Corneille: cela me paroit aussi vraisemblable que si Racine eût été jaloux des victoires du grand Condé.

Boileau est le premier qui ait accrédité cette opinion en disant : En vain contre le Cid un ministre se ligue,

Tout Paris, pour Chimène, a les yeux de Rodrigue.

On en conclut, ce qui n'étoit peut-être pas dans la pensée du poëte, que Richelieu n'avoit pu voir sans jalousie le triomphe de Corneille. Fontenelle a été plus loin que Boileau: il dit expressément que le cardinal fut aussi alarmé du succès prodigieux

DIALOGUE XIII.

RICHELIEU ET MAZARIN.

MAZARIN 1.

Est-il possible, mon illustre ami, que vous n'ayez jamais usé de tromperie dans votre ministère?

RICHELIEU.

Hé! croyez-vous vous-même, mon cher cardinal, qu'on puisse gouverner les hommes sans les tromper?

MAZARIN.

Je n'ai que trop montré, par ma conduite, que je ne le croyois pas; mais on m'en a fait un grand crime.

du cid que s'il eût vu les Espagnols aux portes de Paris. Cette exagération de la part du petit-neveu de Corneille s'est généralement répandue, et elle prête tant à la déclamation, elle est si favorable à la vanité des auteurs, qu'il est difficile d'en douter sans soulever une foule d'esprits qui la regardent comme une vérité historique. Cela ne m'empêchera pas d'en dire mon sentiment d'après l'opinion que j'ai conçue du cardinal de Richelieu et de l'esprit de son ministère, l'une des époques les plus intéressantes de notre histoire.

Le souvenir des guerres civiles n'étoit pas encore effacé du cœur des François ; la paix étoit rétablie dans l'État, mais il étoit aisé de voir qu'il existoit dans les esprits une fermentation sourde qui auroit éclaté sous une administration moins énergique que celle du cardinal de Richelieu. Ce ministre avoit trop de lumières pour ne pas apercevoir cette agitation générale et les

conséquences qui pouvoient en résulter. Il prit une résolution digne de son génie, se mit à la tête de l'opinion publique pour la diriger, et fournit un aliment à l'activité des esprits. Ce fut alors qu'il fonda l'Académie Françoise, qu'il encouragea les lettres, les sciences et les arts, protégea ceux qui les cultivoient, les appela autour de lui, leur donna de la considération et fixa tous les regards sur la gloire littéraire et les travaux de la pensée. Cette impulsion donnée surpassa les espérances du cardinal. Les François, accoutumés aux querelles de religion, s'occupèrent alors de débats et de discussions littéraires. Un sonnet, un madrigal, attiroient l'attention de la cour et de la ville. A cette époque parut le premier chef-d'œuvre de Corneille; il excita un enthousiasme et une admiration générale. On ne s'en

tretenoit que du cid, on ne se lassoit point de le voir. Tout fut oublié pour le cid. Le ministre saisit cette occasion pour suivre son plan. Il fit faire la critique de cette tragédie, comme Alcibiade fit couper la queue de son chien afin que les Athéniens, occupés de cette bizarrerie, ne cherchassent point à contrarier ses vues politiques. Je ne vois dans la conduite du cardinal de Richelieu que beaucoup d'adresse et point du tout un sentiment d'envie, indigne d'un grand ministre. Observez de plus qu'à cette époque même Corneille jouissoit d'une pension que lui faisoit le cardinal. L'envie n'est pas si généreuse. Au reste, le mouvement imprimé aux esprits par la politique de Richelieu ne

s'est plus arrêté : il a élevé la France à un haut degré de gloire

littéraire, et c'est peut-être à cette conception politique que nous devons les chefs-d'œuvre qui ont illustré le règne de

Louis XIV et celui de son successeur. S.

• Mazarin ( Jules), né à Piscina dans l'Abruzze, le 14 juillet

1602, de la famille des Martinozzi, mourut le 9 mars 4664. B.

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invincible. Par-là vous avez surmonté tous les obstacles de votre carrière, et vous avez exécuté de grandes choses.

MAZARIN.

Je ne laisse pas de reconnoître que vous aviez un génie supérieur au mien. Je vous surpassois peut-être en subtilité et en finesse ; mais vous m'avez primé par la hauteur et par la vigoureuse hardiesse de votre ame.

RICHELIEU.

Nous avons bien fait l'un et l'autre ; mais la fortune nous a bien servis.

MAZARIN.

Cela est vrai, mais de moindres esprits n'auroient pas profité de leur fortune. La prospérité n'est qu'un écueil pour les ames foibles.

DIALOGUE XIV.

FÉNELON ET RICHELIEU.

FÉNELON.

Je n'ai qu'une seule chose à vous reprocher, votre ambition sans bornes et sans délicatesse.

RICHELIEU.

C'est cette ambition des grands hommes, aimable philosophe, qui fait la grandeur des États.

FÉNELON.

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Hé! qui vous a dit que ceux que vous me nommeriez n'avoient pas dans le cœur une ambition secrète qu'ils cachoient aux peuples? Les grandes affaires, l'autorité, élèvent les ames les plus foibles, et fécondent ce germe d'ambition que tous les hommes apportent au monde avec la vie. Vous, qui vous êtes montré si ami de la modération dans vos écrits, ne vouliezvous pas vous insinuer dans les esprits, faire

C'est elle aussi qui les détruit et qui les abyme prévaloir vos maximes? N'étiez-vous pas fâché qu'on les négligeât?

sans ressource.

RICHELIEU.

C'est-à-dire qu'elle fait toutes choses sur la terre. C'est elle qui domine par-tout et qui gouverne l'univers.

FÉNELON.

Dites plutôt que c'est l'activité et le courage.

RICHELIEU.

Oui, l'activité et le courage. Mais l'un et l'autre ne se trouvent guère qu'avec une grande ambition et avec l'amour de la gloire.

FÉNELON.

FÉNELON.

Il est vrai que j'étois zélé pour mes maximes; mais parceque je les croyois justes, et non parcequ'elles étoient miennes.

RICHELIEU.

Il est aisé, mon cher ami, de se faire illusion là-dessus. Si vous aviez eu un esprit foible, vous auriez laissé le soin à tout autre de redresser le genre humain mais, parceque vous étiez né avec de la vertu et de l'activité, vous vouliez assujettir les hommes à votre génie particulier.

Eh quoi! votre Éminence croiroit-elle que la Croyez-moi, c'est là de l'ambition.

FÉNELON.

Cela peut bien être. Mais cette ambition qui va en tout au bien des peuples, est bien différente de celle qui rapporte tout à soi et que j'ai combattue.

RICHELIEU.

mon esprit et par mon courage; je me sentois l'ame élevée.

BRUTUS.

Vous cultiviez avec cela quelque talent? car vous n'ignoriez pas qu'on ne s'avance point par la magnanimité, lorsqu'on n'est pas à portée de

Ai-je prétendu le contraire, mon aimable la développer dans les grandes affaires.

ami? L'ambition est l'ame du monde; mais il faut qu'elle soit accompagnée de vertus, d'humanité, de prudence et de grandes vues, pour faire le bonheur des peuples et assurer la gloire

de ceux qui gouvernent.

DIALOGUE XV.

BRUTUS ET UN JEUNE ROMAIN.

LE JEUNE HOMME.

LE JEUNE HOMME.

Je connoissois un peu le cœur humain ; j'aide l'esprit des autres. Par-là on peut aller à tout. mois l'intrigue; j'espérois de me rendre maître

BRUTUS.

Oui, lorsqu'on est avancé dans la carrière et connu des grands. Mais qu'aviez-vous fait pour vous mettre en passe et vous faire connoître? Vous distinguiez-vous à la guerre?

LE JEUNE HOMME.

Je me présentois froidement à tous les dan

Ombre illustre, daignez m'aimer. Vous avez été mon modèle tant que j'ai vécu : j'étois ambitieux comme vous, je m'efforçois de suivre vos autres vertus. La fortune m'a été contraire; j'ai trompé sa haine ; je me suis dérobé à sa ri-gers, et je remplissois mes devoirs; mais j'avois peu de goût pour les détails de mon métier. Je croyois que j'aurois bien fait dans les grands emplois; mais je négligeois de me faire une réputation dans les petits.

gueur en me tuant.

BRUTUS.

Vous avez pris ce parti-là bien jeune, mon ami. Ne vous restoit-il plus de ressources dans le monde?

LE JEUNE HOMME.

J'ai cru qu'il ne m'en restoit d'autre que le hasard, et je n'ai pas daigné l'attendre.

BRUTUS.

A quel titre demandiez-vous de la fortune? Étiez-vous né d'un sang illustre?

LE JEUNE HOMME.

J'étois né dans l'obscurité; je voulois m'ennoblir par la vertu et par la gloire.

BRUTUS.

Quels moyens aviez-vous choisis pour vous élever? car, sans doute, vous n'aviez pas un desir vague de faire fortune sans vous attacher à un objet particulier?

LE JEUNE HOMME.

BRUTUS.

Et vous flattiez-vous qu'on devineroit ce talent que vous aviez pour les grandes choses, si vous ne l'annonciez dans les petites?

LE JEUNE HOMME.

Je ne m'en flattois que trop, ombre illustre; car je n'avois nulle expérience de la vie, et on ne m'avoit point instruit du monde. Je n'avois pas été élevé pour la fortune.

BRUTUS.

Aviez-vous du moins cultivé votre esprit pour l'éloquence?

LE JEUNE HOMME.

Je la cultivois autant que les occupations de la guerre le pouvoient permettre; j'aimois les lettres et la poésie; mais tout cela étoit inutile sous l'empire de Tibère, qui n'aimoit que la po

Je croyois pouvoir espérer de m'avancer par litique, et qui méprisoit les arts dans sa vieillesse.

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