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‹ personne qui voulût s'intéresser aux affaires publiques, si nous abandonnions ces hommes (5). Il aime à se déclarer patron des gens les plus méprisables (6), et à se rendre aux tribunaux pour y soutenir de mauvaises affaires (7). S'il juge un procès, il prend dans un mauvais sens tout ce que disent les parties. En général (8) l'affection pour les scélérats est sœur de la scélératesse même, et rien n'est plus vrai que le proverbe : « On recherche toujours son ‹ semblable. »

NOTES.

(1) Ce chapitre et le suivant n'ont été découverts que dans le siècle dernier. On en connoissoit cependant les titres du temps de Casaubon et de La Bruyère; et j'ai conservé la traduction que ce dernier en a donnée dans

son Discours sur Théophraste.

(2) Je pense qu'il faut sous-entendre, « Et qui ont eu « l'adresse de se soustraire à l'effet des lois. » (Voyez le chapitre xvin du Voyage du jeune Anacharsis.)

(3) J'ai cherché à remplir par ces mots une lacune qui se trouve dans le manuscrit ; il me paroît qu'il est question d'un homme auquel on veut confier quelques fonc tions politiques.

(4) J'ai traduit comme si le participe grec étoit au passif; sans cette correction, le sens seroit : « Car je surveille <«< ceux qui veulent lui faire du tort. » Le changement que je propose est nécessaire pour faire une transition à la phrase suivante.

(5) M. Coray a observé que ces traits ont un rapport particulier avec l'orateur Aristogiton et son protecteur Philocrate. (Voyez le plaidoyer de Démosthène contre le premier.) Mais je n'ai point pu adopter toutes les conséquences que cet éditeur en tire pour le sens de notre auteur.

(6) Les simples domiciliés d'Athènes, non citoyens, avoient besoin d'un patron, parmi les citoyens, qui ré;pondit de leur conduite. (Voyez le Voyage du jeune Anacharsis, chap. vI.)

(7) Tous les citoyens d'Athènes pouvoient être appelés à la fonction de juges par le sort; et ils devoient être souvent dans ce cas, puisque le nombre des juges des

différents tribunaux s'élevoit à six mille. (Voyez Ana

charsis, chap. xvi. )

CHAPITRE XXX.

Du gain sordide.

L'homme qui aime le gain sordide emploie les moyens les plus vils pour gagner ou pour épargner de l'argent (1). Il est capable d'épargner le pain dans ses repas; d'emprunter de l'argent à un étranger descendu chez lui (2); de dire, en servant à table, qu'il est juste que celui qui distribue reçoive une portion double, et de se la donner sur-le-champ. S'il vend du vin, il y mêlera de l'eau, même pour son ami. Il ne va au spectacle avec ses enfants que lorsqu'il y a une représentation gratuite. S'il est membre d'une ambassade, il laisse chez lui la somme que la ville lui a assignée pour les frais du voyage, et emprunte de l'argent à ses collègues : en chemin il charge son esclave d'un fardeau au-dessus de ses forces, et le nourrit moins bien que les autres arrivé au lieu de sa destination, il se fait donner sa part des présents d'hospitalité pour la vendre. Pour se frotter d'huile au bain, il dira à son esclave: Celle que tu m'as achetée est rance; et il se servira de celle d'un autre. Si quelqu'un de sa maison trouve une petite monnoie de cuivre dans la rue, il en demandera sa part, en disant: Mercure est commun. Quand il donne son habit à blanchir, il en emprunte un autre d'un ami, et le porte jusqu'à ce qu'on le lui redemande, etc. Il distribue lui-même les provisions aux gens de sa maison avec une mesure trop petite (5), et dont le fond est bombé en dedans; encore a-t-il soin d'égaliser le dessus. Il se fait céder par ses amis, et comme si c'étoit pour lui, des choses qu'il revend ensuite avec profit. S'il a une dette de trente mines à payer, il manquera toujours quelques drachmes à la somme. Si ses enfants ont été indisposés et ont passé quelques jours du mois sans aller à l'école, il diminue le salaire du maître à proportion; et pendant le mois d'anthestérion il ne les y envoie payer pas du tout, pour ne pas être obligé de un mois dont une grande partie se passe en spectacles (4). S'il retire une contribution d'un es

(8) Cette dernière phrase me paroît avoir été ajoutée clave (5), il en exige un dédommagement pour par un glossateur.

la perte qu'éprouve la monnoie de cuivre. Quand son chargé d'affaires lui rend ses comptes (6)... Quand il donne un repas à sa curie, il demande,

tres de cet ouvrage, à la suite du chapitre x1, où on les trouvera traduits par La Bruyère, et éclaircis par des notes

(2) Par droit d'hospitalité. (Voyez chap. ix, note 7.)

sur le service commun, une portion pour ses
enfants, et note les moitiés des raves qui sont
restées sur la table, afin que les esclaves qui les qu'il seroit inutile de répéter ici.
desservent ne puissent pas les prendre. S'il voya-
ge avec des personnes de sa connoissance, il se
sert de leurs esclaves, et loue pendant ce temps
le sien, sans mettre en commun le prix qu'il en
reçoit. Bien plus, si l'on arrange un pique-nique
dans sa maison, il soustrait une partie du bois,
des lentilles, du vinaigre, du sel, et de l'huile
pour la lampe, qu'on a déposés chez lui (7). Si
quelqu'un de ses amis se marie ou marie sa fille,
il quitte la ville pour quelque temps, afin de
pou-
voir se dispenser d'envoyer un présent de noces.
Il aime beaucoup aussi à emprunter aux person-
nes de sa connoissance des objets qu'on ne re-
demande point, ou qu'on ne recevroit même pas
s'ils étoient rendus (8).

(3) J'ai traduit ici d'après la leçon du manuscrit du Vatican; mais, d'après les règles de la critique, il faut préférer celle des autres manuscrits dans le chapitre xi: car

ce sont les mots ou les tournures les plus vulgaires qui s'introduisent dans le texte par l'erreur des copistes.

NOTES.

(1) J'ai été obligé de paraphraser cette définition, qui, dans l'original, répète les mots dont le nom que Théophraste a donné à ce Caractère est composé, et qui est certainement altéré par les copistes.

Plusieurs traits de ce caractère ont été placés, par l'abréviateur qui nous a transmis les quinze premiers chapi

(4) Les anthestéries, qui avoient donné lé nom à ce mois, étoient des fêtes consacrées à Bacchus.

(5) Auquel il a permis de travailler pour son propre compte, ou qu'il a loué, ainsi qu'il étoit d'usage à Athènes, comme on le voit entre autres par la suite mème de ce chapitre.

(6) Cette phrase est défectueuse dans l'original; MM. Belin de Ballu et Coray l'ont jointe à la précédente par le mots : « Il en fait autant, etc. »

(7) C'est ainsi que ce passage difficile a été entendu par M. Coray d'après M. Schneider, il faudroit traduire : « Il <met en compte le bois, les raves, etc., qu'il a fournis. » (Voyez la note 7 du chap. x.)

(8) J'ai traduit cette dernière phrase d'après les corrections des deux savants éditeurs Coray et Schneider.

FIN DES CARACTÈRES DE THEOPHRASTE.

OEUVRES

COMPLÈTES

DE VAUVENARGUES,

ACCOMPAGNÉES DES NOTES

DE VOLTAIRE, MORELLET, FORTIA, SUARD, BRIÈRE.

OEUVRES

COMPLÈTES

DE VAUVENARGUES.

NOTICE

SUR LA VIE ET LES ÉCRITS.

DE VAUVENARGUES,

Luc de Clapiers, marquis de Vauvenargues, issu❘ d'une noble et ancienne famille de Provence, naquit à Aix le 6 août 1715, époque de la mort de Louis XIV.

Le beau siècle qui venoit de finir avoit produit, dans presque tous les genres de littérature, des modèles qui n'ont point été égalés; mais il avoit répandu en même temps, dans les esprits, des germes de goût et d'émulation qui n'ont pas été stériles.

La destinée des hommes de génie qui ouvrent une carrière, est d'y entrer sans guide et de laisser loin derrière eux ceux qui tentent de suivre leurs traces: et telle fut la gloire de Corneille, de Molière, de Racine, de La Fontaine, de Bossuet, de La Bruyère; mais le siècle qui a produit Fontenelle, Voltaire, Montesquieu, Buffon, Rousseau, le siècle qui a perfectionné et assuré la marche de la langue françoise, qui a répandu la lumière sur tous les objets des connoissances humaines, n'a rien à envier aux plus belles époques de la littérature; ce siècle même seroit digne de s'associer à la célébrité de celui qui l'a précédé, par le seul avantage d'avoir su mieux sentir et mieux apprécier toute la supériorité des grands écrivains auxquels il n'a pu donner de rivaux. Racine, Molière, La Fontaine, souvent méconnus par leurs contemporains, ont trouvé dans la génération suivante des appréciateurs plus sensibles et plus justes; et c'est dans l'admiration réfléchie des hommes

éclairés du dix-huitième siècle que le dix-septième a reçu le complément de sa gloire.

Il est dans la nature des choses qu'une époque de goût succède à une époque de génie, et malheureusement cela n'arrive pas toujours. Ce qui est plus rare encore, c'est que le même âge réunisse au perfectionnement du goût les créations du génie. Cette réunion caractérisera le mérite du dix-huitième siècle aux yeux de la postérité, lorsqu'un misérable esprit de parti, né de circonstances extraordinaires, et soutenu par les plus vils motifs, aura cessé de répandre des nuages sur une vérité incontestable pour tous les bons esprits.

Quelques écrivains restreignent beaucoup trop le sens du mot génie, quoiqu'ils n'y aient aucune prétention, ou plutôt parcequ'ils n'y ont aucun droit. Pour moi, je pense que toute production de l'esprit qui offre des idées nouvelles sous une forme intéressante; tout ce qui porte, dans la pensée comme dans l'expression, un caractère de force et d'originalité, est l'œuvre du génie; et, sous ce rapport, je ne crains pas de regarder Vauvenargues comme un homme de génie, quoiqu'il ne puisse pas être mis au premier rang des génies créateurs et des talents originaux.

Il est bien certain qu'il ne dut qu'à la nature le talent qu'il a montré dans ses ouvrages. L'emploi qu'il fit de ses premières années sembloit plus propre à l'éloigner des études littéraires qu'à y préparer son esprit et son goût. Une constitution foible et une santé souvent altérée nuisirent au succès des premières instructions qu'il reçut. Elevé dans un collége, il y montra peu d'ardeur pour l'étude, et n'en remporta qu'une connoissance très superficielle de la langue latine. Appelé de bonne heure au service par sa naissance et le vœu de ses parents, les goûts

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