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c'est-à-dire qu'il met toute son application à | c'est une des principales raisons qui a fait récouvrir ses défauts, et aux autres, et à soi-même, volter contre l'Église une grande partie de l'Euet qu'il ne peut souffrir qu'on les lui fasse voir, rope. ni qu'on les voie.

C'est sans doute un mal que d'être plein de défauts; mais c'est encore un plus grand mal que d'en être plein, et de ne point vouloir les reconnoitre, puisque c'est y ajouter encore celui d'une illusion volontaire. Nous ne voulons pas que les autres nous trompent; nous ne trouvons pas juste qu'ils veuillent être estimés de nous plus qu'ils ne le méritent: il n'est donc pas juste aussi que nous les trompions, et que nous voulions qu'ils nous estiment plus que nous ne méritons.

Ainsi, lorsqu'ils ne nous découvrent que des imperfections et des vices que nous avons en effet, il est visible qu'ils ne nous font point de tort, puisque ce ne sont pas eux qui en sont cause; et qu'ils nous font un bien, puisqu'ils nous aident à nous délivrer d'un mal qui est l'ignorance de ces imperfections. Nous ne devons pas être fàchés qu'ils les connoissent, étant juste, et qu'ils nous connoissent pour ce que nous sommes, et qu'ils nous méprisent, si nous sommes méprisables.

Voilà les sentiments qui naîtroient d'un cœur qui seroit plein d'équité et de justice. Que devons-nous donc dire du nôtre, en y voyant une disposition toute contraire? Car n'est-il pas vrai que nous haïssons la vérité et ceux qui nous la disent, et que nous aimons qu'ils se trompent à notre avantage, et que nous voulons être estimés d'eux, autres que nous ne sommes en effet?

En voici une preuve qui me fait horreur. La religion catholique n'oblige pas à découvrir ses péchés indifféremment à tout le monde : elle souffre qu'on demeure caché à tous les autres hommes; mais elle en excepte un seul, à qui elle commande de découvrir le fond de son cœur, et de se faire voir tel qu'on est. Il n'y a que ce seul homme au monde qu'elle nous ordonne de désabuser, et elle l'oblige à un secret inviolable, qui fait que cette connoissance est dans lui comme si elle n'y étoit pas. Peut-on s'imaginer rien de plus charitable et de plus doux ? Et néanmoins la corruption de l'homme est telle, qu'il trouve encore de la dureté dans cette loi; et

Que le coeur de l'homme est injuste et déraisonnable, pour trouver mauvais qu'on l'oblige de faire à l'égard d'un homme ce qu'il seroit juste, en quelque sorte, qu'il fit à l'égard de tous les hommes! Car est-il juste que nous les trompions?

:

Il y a différents degrés dans cette aversion pour la vérité mais on peut dire qu'elle est dans tous en quelque degré, parcequ'elle est inséparable de l'amour-propre. C'est cette mauvaise délicatesse qui oblige ceux qui sont dans la nécessité de reprendre les autres de choisir tant de tours et de tempéraments pour éviter de les choquer. Il faut qu'ils diminuent nos défauts, qu'ils fassent semblant de les excuser, qu'ils y mêlent des louanges et des témoignages d'affection et d'estime. Avec tout cela, cette médecine ne laisse pas d'être amère à l'amour-propre. en prend le moins qu'il peut, et toujours avec dégoût, et souvent même avec un secret dépit contre ceux qui la lui présentent.

Il arrive de là que si on a quelque intérêt d'être aimé de nous, on s'éloigne de nous rendre un office qu'on sait nous être désagréable; on nous traite comme nous voulons être traités : nous haïssons la vérité, on nous la cache; nous voulons être flattés, on nous flatte; nous aimons à être trompés, on nous trompe.

C'est ce qui fait que chaque degré de bonne fortune qui nous élève dans le monde nous éloigne davantage de la vérité, parcequ'on appréhende plus de blesser ceux dont l'affection est plus utile et l'aversion plus dangereuse. Un prince sera la fable de toute l'Europe, et lui seul n'en saura rien. Je ne m'en étonne pas : dire la vérité est utile à celui à qui on la dit, mais désavantageux à ceux qui la disent, parcequ'ils se font hair. Or, ceux qui vivent avec les princes aiment mieux leurs intérêts que celui du prince qu'ils servent ; et ainsi ils n'ont garde de lui procurer un avantage en se nuisant à eux-mêmes.

Ce malheur est sans doute plus grand et plus ordinaire dans les plus grandes fortunes; mais les moindres n'en sont pas exemptes, parcequ'il y a toujours quelque intérêt à se faire aimer des hommes. Ainsi la vie humaine n'est

qu'une illusion perpétuelle; on ne fait que s'entre-tromper et s'entre-flatter. Personne ne parle de nous en notre présence comme il en parle en notre absence. L'union qui est entre les hommes n'est fondée que sur cette mutuelle tromperie; et peu d'amitiés subsisteroient, si chacun savoit ce que son ami dit de lui lorsqu'il n'y est pas, quoiqu'il en parle alors sincèrement et sans passion.

L'homme n'est donc que déguisement, que mensonge et hypocrisie, et en soi-même, et à l'égard des autres. Il ne veut pas qu'on lui dise la vérité, il évite de la dire aux autres, et toutes ces dispositions, si éloignées de la justice et de la raison, ont une racine naturelle dans son

cœur.

ARTICLE VI.

Foiblesse de l'homme; incertitude de ses connoissances naturelles.

I.

Ce qui m'étonne le plus est de voir que tout le monde n'est pas étonné de sa foiblesse. On agit sérieusement, et chacun suit sa condition, non pas parcequ'il est bon en effet de la suivre, puisque la mode en est, mais comme si chacun savoit certainement où est la raison et la justice. On se trouve déçu à toute heure; et, par une plaisante humilité, on croit que c'est sa faute, et non pas celle de l'art qu'on se vante toujours d'avoir. Il est bon qu'il y ait beaucoup de ces gens-là au monde, afin de montrer que l'homme est bien capable des plus extravagantes opinions, puisqu'il est capable de croire qu'il n'est pas dans cette foiblesse naturelle et inévitable,

et qu'il est, au contraire, dans la sagesse natu

relle.

II.

La foiblesse de la raison de l'homme paroît bien davantage en ceux qui ne la connoissent pas qu'en ceux qui la connoissent. Si on est trop jeune, on ne juge pas bien. Si on est trop vieux, de même. Si on n'y songe pas assez, si on y songe trop, on s'entête, et l'on ne peut trouver la vérité. Si l'on considère son ouvrage incontinent après l'avoir fait, on en est encore tout prévenu. Si trop long-temps après, on n'y

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Cette maîtresse d'erreur, que l'on appelle fantaisie et opinion, est d'autant plus fourbe, qu'elle ne l'est pas toujours; car elle seroit règle infaillible de la vérité, si elle l'étoit infaillible du mensonge. Mais, étant le plus souvent fausse, elle ne donne aucune marque de sa qualité, marquant de même caractère le vrai et le faux.

Cette superbe puissance, ennemie de la raison, qui se plaît à la contrôler et à la dominer, pour montrer combien elle peut en toutes choses, a établi dans l'homme une seconde nature. Elle a ses heureux et ses malheureux ; ses sains, ses malades; ses riches, ses pauvres; ses fous et ses sages et rien ne nous dépite davantage que de voir qu'elle remplit ses hôtes d'une saraison: les habiles par imagination se plaisant tisfaction beaucoup plus pleine et entière que la tout autrement en eux-mêmes que les prudents dent les gens avec empire; ils disputent avec ne peuvent raisonnablement se plaire. Ils regarhardiesse et confiance; les autres avec crainte et défiance : et cette gaieté de visage leur donne tant les sages imaginaires ont de faveur auprès souvent l'avantage dans l'opinion des écoutants, de leurs juges de même nature! Elle ne peut rendre sages les fous; mais elle les rend contents, à l'envi de la raison, qui ne peut rendre ses amis que misérables. L'une les comble de gloire, l'autre les couvre de honte.

Qui dispense la réputation? qui donne le respect et la vénération aux personnes, aux ouvrages, aux grands, sinon l'opinion? Combien toutes les richesses de la terre sont-elles insuffisantes sans son consentement!

L'opinion dispose de tout; elle fait la beauté, la justice et le bonheur, qui est le tout du monde. Je voudrois de bon cœur voir le livre italien, dont je ne connois que le titre, qui vaut lui seul bien des livres, Della opinione, regina del mondo. J'y souscris sans le connoître, sauf le mal, s'il y en a.

IV.

est indubitable que nous ne le serons jamais, si nous n'aspirons à une autre béatitude qu'à celle dont on peut jouir en cette vie.

VI.

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La chose la plus importante à la vie, c'est le choix d'un métier. Le hasard en dispose. La coutume fait les maçons, les soldats, les couvreurs. C'est un excellent couvreur, dit-on; et en parNotre imagination nous grossit si fort le temps lant des soldats: Ils sont bien fous, dit-on; et les autres, au contraire : Il n'y a rien de grand présent, à force d'y faire des réflexions contique la guerre ; le reste des hommes sont des co-nuelles, et amoindrit tellement l'éternité, manquins. A force d'ouïr louer en l'enfance ces mé- que d'y faire réflexion, que nous faisons de l'éternité un néant, et du néant une éternité; et tiers, et mépriser tous les autres, on choisit; car naturellement on aime la vertu, et l'on hait tout cela a ses racines si vives en nous, que l'imprudence. Ces mots nous émeuvent on ne toute notre raison ne peut nous en défendre. pèche que dans l'application; et la force de la coutume est si grande, que des pays entiers sont tous de maçons, d'autres tous de soldats. Sans doute que la nature n'est pas si uniforme. C'est donc la coutume qui fait cela, et qui entraine la nature; mais quelquefois aussi la nature la surmonte, et retient l'homme dans son instinct, malgré toute la coutume, bonne ou

mauvaise.

V.

Nous ne nous tenons jamais au présent. Nous anticipons l'avenir comme trop lent, et comme pour le håter; ou nous rappelons le passé, pour l'arrêter comme trop prompt: si imprudents, que nous errons dans les temps qui ne sont pas à nous, et ne pensons point au seul qui nous appartient; et si vains, que nous songeons à ceux qui ne sont point, et laissons échapper sans réflexion le seul qui subsiste. C'est que le présent d'ordinaire nous blesse. Nous le cachons à notre vue, parcequ'il nous afflige; et s'il nous est agréable, nous regrettons de le voir échapper. Nous tâchons de le soutenir par l'avenir, et nous pensons à disposer les choses qui ne sont pas en notre puissance, pour un temps où nous n'avons aucune assurance d'arriver.

Que chacun examine sa pensée, il la trouvera toujours occupée au passé et à l'avenir. Nous ne pensons presque point au présent ; et si nous y pensons, ce n'est que pour en prendre des lumières pour disposer l'avenir. Le présent n'est jamais notre but: le passé et le présent sont nos moyens ; le seul avenir est notre objet. Ainsi nous ne vivons jamais; mais nous espérons de vivre ; et nous disposant toujours à être heureux, il

VII.

Cromwell alloit ravager toute la chrétienté : la famille royale étoit perdue, et la sienne à jamais puissante, sans un petit grain de sable qui se mit dans son uretère. Rome même alloit trembler sous lui; mais ce petit gravier, qui n'étoit rien ailleurs, mis en cet endroit, le voilà mort, sa famille abaissée, et le roi rétabli.

VIII.

On ne voit presque rien de juste et d'injuste, qui ne change de qualité en changeant de climat. Trois degrés d'élévation du pôle renversent toute la jurisprudence. Un méridien décide de la vérité, ou peu d'années de possession3. Les lois fondamentales changent. Le droit a ses époques. Plaisante justice, qu'une rivière ou une montagne borne! Vérité au-deçà des Pyrénées, erreur au-delà.

IX.

4 Le larcin, l'inceste, le meurtre des enfants et des pères, tout a eu sa place entre les actions vertueuses. Se peut-il rien de plus plaisant qu'un homme ait droit de me tuer parcequ'il demeure au-delà de l'eau, et que son

uretère dans les anciennes, et j'ai cru devoir les suivre.

1 Quelques nouvelles éditions mettent ici uretre; mais on lit

2 C'est-à-dire, de qualité dans l'opinion des hommes, mais

non pas de nature en soi. Cette pensée est imitée de Montaigne.

3 Peut-être conviendroit-il de lire : Un méridien décide de la vérité. En peu d'années de possession, les lois fondamentales changent. (Édition de 1787.)

4 Presque tout ce paragraphe est tiré ou imité de Montaigne, Voyez ses ESSAIS. Liv. II, ch. 12, etc.

prince a querelle avec le mien, quoique je n'en | des hommes, il faut souvent les piper; et un aie aucune avec lui1?

Il y a sans doute des lois naturelles; mais cette belle raison corrompue a tout corrompu: Nihil amplius nostri est; quod nostrum dicimus, artis est; ex senatusconsultis et plebiscitis crimina exercentur; ut olim vitiis, sic nunc legibus labo

ramus.

autre, bon politique : Cum veritatem qua liberetur ignoret, expedit quod fallatur. Il ne faut pas qu'il sente la vérité de l'usurpation : elle a été introduite autrefois sans raison; il faut la faire regarder comme authentique, éternelle, et en cacher le commencement, si on ne veut qu'elle prenne bientôt fin.

X.

De cette confusion arrive que l'un dit que l'essence de la justice est l'autorité du législateur; l'autre, la commodité du souverain; l'auLe plus grand philosophe du monde, sur tre, la coutume présente, et c'est le plus sûr: une planche plus large qu'il ne faut pour marrien, suivant la seule raison, n'est juste de soi; cher à son ordinaire, s'il y a au-dessous un tout branle avec le temps; la coutume fait toute précipice, quoique sa raison le convainque de l'équité, par cela seul qu'elle est reçue; c'est le sa sûreté, son imagination prévaudra. Plusieurs fondement mystique de son autorité. Qui la ra- ne sauroient en soutenir la pensée sans pâlir et mène à son principe, l'anéantit; rien n'est sisuer. Je ne veux pas en rapporter tous les effets. fautif que ces lois qui redressent les fautes; qui leur obéit parcequ'elles sont justes, obéit à la justice qu'il imagine, mais non pas à l'essence de la loi elle est toute ramassée en soi; elle est loi, et rien davantage. Qui voudra en examiner le motif, le trouvera si foible et si léger, que, s'il n'est accoutumé à contempler les prodiges de l'imagination humaine, il admirera qu'un siècle lui ait tant acquis de pompe et de révérence. L'art de bouleverser les états, est

:

d'ébranler les coutumes établies, en sondant

Qui ne sait qu'il y en a à qui la vue des chats, des rats, l'écrasement d'un charbon, emportent la raison hors des gonds?

XI.

vieillesse vénérable impose le respect à tout un Ne diriez-vous pas que ce magistrat, dont la peuple, se gouverne par une raison pure et sublime, et qu'il juge des choses par leur nature, sans s'arrêter aux vaines circonstances, qui ne blessent que l'imagination des foibles? Voyez

tice. Le voilà prêt à écouter avec une gravité exemplaire. Si l'avocat vient à paroître, et que la nature lui ait donné une voix enrouée et un tour de visage bizarre, que son barbier l'ait mal rasé, et si le hasard l'a encore barbouillé, je parie la perte de la gravité du magistrat.

jusque dans leur source pour y faire remarquer leur défaut d'autorité et de justice. Il faut, dit-le entrer dans la place où il doit rendre la juson, recourir aux lois fondamentales et primitives de l'état, qu'une coutume injuste a abolies; et c'est un jeu sûr pour tout perdre : rien ne sera juste à cette balance. Cependant le peuple prête aisément l'oreille à ces discours : il secoue le joug dès qu'il le reconnoît ; et les grands en profitent à sa ruine, et à celle de ces curieux examinateurs des coutumes reçues. Mais, un défaut contraire, les hommes croient quelquefois pouvoir faire avec justice tout ce qui n'est pas sans exemple 3. C'est pourquoi le plus sage des législateurs disoit que, pour le bien

Voyez part. 1, art. 9, § 3.

par

Dans l'édition de 1779, on lit ici, pour marquer; dans d'autres plus modernes, pour y remarquer : mais les anciennes et celle de 1787 portent pour y faire remarquer; ce qui me paroît être le sens de l'auteur.

XII.

L'esprit du plus grand homme du monde n'est pas si indépendant, qu'il ne soit sujet à être troublé par le moindre tintamarre qui se fait autour de lui. Il ne faut pas le bruit d'un canon pour empêcher ses pensées : il ne faut que le bruit d'une girouette ou d'une poulie. Ne vous étonnez pas s'il ne raisonne pas bien à présent ; une mouche bourdonne à ses oreilles : c'en est assez pour le rendre incapable de bon conseil. Si vous

3 Cette phrase, qui est dans l'édition de 1787, ne se trouve nivoulez qu'il puisse trouver la vérité, chassez cet

dans celle de 1779, ni dans les nouvelles : j'ai cru devoir la

conserver.

animal qui tient sa raison en échec, et trouble

cette puissante intelligence qui gouverne les capables de nous amuser les charmes de la

villes et les royaumes.

XIII.

La volonté est un des principaux organes de la croyance: non qu'elle forme la croyance; mais parceque les choses paroissent vraies ou fausses, selon la face par où on les regarde. La volonté, qui se plaît à l'une plus qu'à l'autre, détourne l'esprit de considérer les qualités de celle qu'elle n'aime pas : et ainsi l'esprit, marchant d'une pièce avec la volonté, s'arrête à regarder la face qu'elle aime, et en jugeant par ce qu'il y voit, il règle insensiblement sa croyance suivant l'inclination de la volonté.

XIV.

Nous avons un autre principe d'erreur, savoir, les maladies. Elles nous gâtent le jugement et le sens. Et si les grandes l'altèrent sensiblement, je ne doute point que les petites n'y fassent impression à proportion.

Notre propre intérêt est encore un merveilleux instrument pour nous crever agréablement les yeux. L'affection ou la haine change la justice. En effet, combien un avocat, bien payé par avance, trouve-t-il plus juste la cause qu'il plaide! Mais, par une autre bizarrerie de l'esprit humain, j'en sais qui, pour ne pas tomber dans cet amour-propre, ont été les plus injustes du monde à contre-biais. Le moyen sûr de perdre une affaire toute juste étoit de la leur faire recommander par leurs proches parents.

XV.

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nouveauté ont le même pouvoir. De là viennent toutes les disputes des hommes qui se reprochent, ou de suivre les fausses impressions de leur enfance, ou de courir témérairement après les nouvelles.

Qui tient le juste milieu? Qu'il paroisse, et qu'il le prouve. Il n'y a principe, quelque naturel qu'il puisse être, même depuis l'enfance, qu'on ne fasse passer pour une fausse impression, soit de l'instruction, soit des sens. Parceque, dit on, vous avez cru dès l'enfance qu'un coffre étoit vide lorsque vous n'y voyiez rien, vous avez cru le vide possible; c'est une illusion de vos sens, fortifiée par la coutume, qu'il faut que la science corrige. Et les autres disent au contraire : Parcequ'on vous a dit dans l'école qu'il n'y a point de vide, on a corrompu votre sens commun qui le comprenoit si nettement avant cette mauvaise impression qu'il faut corriger en recourant à votre première nature. Qui a donc trompé, les sens, ou l'instruction?

XVIII.

Toutes les occupations des hommes sont à avoir du bien; et le titre par lequel ils le possèdent n'est, dans son origine, que la fantaisie de ceux qui ont fait les lois. Ils n'ont aussi aucune force pour le posséder sûrement : mille accidents le leur ravissent. Il en est de même de la science : la maladie nous l'ôte.

XIX.

Qu'est-ce que nos principes naturels, sinon L'imagination grossit souvent les plus petits nos principes accoutumés ? Dans les enfants, objets par une estimation fantastique, jusqu'à ceux qu'ils ont reçus de la coutume de leurs en remplir notre ame; et, par une insolence té-pères, comme la chasse dans les animaux. méraire, elle amoindrit les plus grands jusqu'à

notre mesure.

XVI.

La justice et la vérité sont deux pointes si subtiles, que nos instruments sont trop émoussés pour y toucher exactement. S'ils y arrivent, ils en écachent la pointe, et appuient tout autour, plus sur le faux que sur le vrai.

XVII.

Une différente coutume donnera d'autres principes naturels. Cela se voit par expérience; et s'il y en a d'ineffaçables à la coutume, il y en a aussi de la coutume ineffaçables à la nature. Cela dépend de la disposition.

Les pères craignent que l'amour naturel des enfants ne s'efface. Quelle est donc cette nature sujette à être effacée? La coutume est une seconde nature qui détruit la première. L'auteur fait ici allusion à une pensée de Montaigne qu'il

Les impressions anciennes ne sont pas seules rappelle plus loin. Voyez part. 1, art. 8, § 10.

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