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tractions fréquentes : il a une profusion, le dirai-je? des torrents de louanges pour ce qu'a fait ou ce qu'a dit un homme placé et qui est en faveur, et pour tout autre une sécheresse de pulmonique; il a des formules de compliments différents pour l'entrée et pour la sortie à l'égard de ceux qu'il visite ou dont il est visité; et il n'y a personne de ceux qui se paient de mines et de façons de parler qui ne sorte d'avec lui fort satisfait. Il vise également à se faire des patrons et des créatures: il est médiateur, confident, entremetteur, il veut gouverner; il a une ferveur de novice pour toutes les petites pratiques de cour; il sait où il faut se placer pour être vu; il sait vous embrasser, prendre part à votre joie, vous faire coup sur coup des questions empressées sur votre santé, sur vos affaires; et, pendant que vous lui répondez, il perd le fil de sa curiosité, vous interrompt, entame un autre sujet; ou, s'il survient quelqu'un à qui il doive un discours tout différent, il sait, en achevant de vous congratuler, lui faire un compliment de condoléance; il pleure d'un œil, et il rit de l'autre. Se formant quelquefois sur les ministres ou sur le favori, il parle en public de choses frivoles, du vent, de la gelée : il se tait au contraire, et fait le mystérieux sur ce qu'il sait de plus important, et plus volontiers encore sur ce qu'il ne sait point.

Il y a un pays où les joies sont visibles, mais fausses, et les chagrins cachés, mais réels. Qui croiroit que l'empressement pour les spectacles, que les éclats et les applaudissements aux théâtres de Molière et d'Arlequin, les repas, la chasse, les ballets, les carrousels, couvrissent tant d'inquiétudes, de soins et de divers intérêts, tant de craintes et d'espérances, des passions si vives, et des affaires si sérieuses?

La vie de la cour est un jeu sérieux, mélancolique, qui applique : il faut arranger ses pièces et ses batteries, avoir un dessein, le suivre, parer celui de son adversaire, hasarder quelquefois, et jouer de caprice; et après toutes ses rêveries et toutes ses mesures on est échec, quelquefois mat. Souvent avec des pions qu'on ménage bien on va à dame, et l'on gagne la partie: le plus habile l'emporte, ou le plus heureux.

La cour.

Les roues, les ressorts, les mouvements, sont cachés; rien ne paroît d'une montre que son aiguille, qui insensiblement s'avance et achève son tour: image du courtisan d'autant plus parfaite, qu'après avoir fait assez de chemin, il revient souvent au même point d'où il est parti. Les deux tiers de ma vie sont écoulés ; pourquoi tant m'inquiéter sur ce qui m'en reste? La plus brillante fortune ne mérite point ni le tourment que je me donne, ni les petitesses où je me surprends, ni les humiliations, ni les hontes que j'essuie: trente années détruiront ces colosses de puissance qu'on ne voyoit bien qu'à force de lever la tête; nous disparoîtrons, moi qui suis si peu de chose, et ceux que je contemplois si avidement, et de qui j'espérois toute ma grandeur : le meilleur de tous les biens, s'il y a des biens, c'est le repos, la retraite, et un endroit qui soit son domaine. N** a pensé cela dans sa disgrace, et l'a oublié dans la périté.

pros

Un noble, s'il vit chez lui dans sa province, il vit libre, mais sans appui; s'il vit à la cour, il est protégé, mais il est esclave: cela se compense.

Xantippe, au fond de sa province, sous un vieux toit, et dans un mauvais lit, a rêvé pendant la nuit qu'il voyoit le prince, qu'il lui parloit, et qu'il en ressentoit une extrême joie: il a été triste à son réveil ; il a conté son songe, et il a dit : Quelles chimères ne tombent point dans l'esprit des hommes pendant qu'ils dorment! Xantippe a continué de vivre : il est venu à la cour, il a vu le prince, il lui a parlé; et il a été plus loin que son songe, il est favori.

Qui est plus esclave qu'un courtisan assidu, si ce n'est un courtisan plus assidu?

L'esclave n'a qu'un maître; l'ambitieux en a autant qu'il y a de gens utiles à sa fortune.

Mille gens à peine connus font la foule au lever pour être vus du prince, qui n'en sauroit voir mille à-la-fois; et, s'il ne voit aujourd'hui que ceux qu'il vit hier et qu'il verra demain, combien de malheureux!

De tous ceux qui s'empressent auprès des grands et qui leur font la cour, un petit nombre les honore dans le cœur, un grand nombre les recherche par des vues d'ambition et d'intérêt, un plus grand nombre par une ridicule

vanité ou par une sotte impatience de se faire

voir.

Il y a de certaines familles qui, par les lois du monde, ou ce qu'on appelle de la bienséance, doivent être irréconciliables: les voilà réunies; et où la religion a échoué quand elle a voulu l'entreprendre, l'intérêt s'en joue, et le fait sans peine.

L'on parle d'une région1 où les vieillards sont galants, polis, et civils, les jeunes gens au contraire durs, féroces, sans mœurs ni politesse: ils se trouvent affranchis de la passion des femmes dans un âge où l'on commence ailleurs à la sentir; ils leur préfèrent des repas, des viandes, et des amours ridicules. Celui-là chez eux est sobre et modéré, qui ne s'enivre que de vin; l'usage trop fréquent qu'ils en ont fait le leur a rendu insipide. Ils cherchent à réveiller leur goût déja éteint par des eaux-de-vie, et par toutes les liqueurs les plus violentes: il ne manque à leur débauche que de boire de l'eau-forte. Les femmes du pays précipitent le déclin de leur beauté par des artifices qu'elles croient servir à les rendre belles: leur coutume est de peindre leurs lèvres, leurs joues, leurs sourcils, et leurs épaules, qu'elles étalent avec leur gorge, leurs bras, et leurs oreilles, comme si elles craignoient de cacher l'endroit par où elles pourroient plaire, ou de ne pas se montrer assez. Ceux qui habitent cette contrée ont une physionomie qui n'est pas nette, mais confuse, embarrassée dans une épaisseur de cheveux étrangers qu'ils préfèrent aux naturels, et dont ils font un long tissu pour couvrir leur tête; il descend à la moitié du corps, change les traits et empêche qu'on ne connoisse les hommes à leur visage. Ces peuples d'ailleurs ont leur dieu et leur roi : les grands de la nation s'assemblent tous les jours, à une certaine heure, dans un temple qu'ils nomment église. Il y a au fond de ce temple un autel consacré à leur dieu, où un prêtre célèbre des mystères qu'ils appellent saints, sacrés, et redoutables. Les grands forment un vaste cercle au pied de cet autel, et paroissent debout, le dos tourné directement aux prêtres et aux saints mystères, et les faces élevées vers leur roi, que l'on voit à genoux sur une tribune, et à qui ils semblent avoir tout

La cour.

l'esprit et tout le cœur appliqué. On ne laisse pas de voir dans cet usage une espèce de subordination: car ce peuple paroît adorer le prince, et le prince adorer Dieu. Les gens du pays le nomment ***1; il est à quelque quarante-huit degrés d'élévation du pôle, et à plus d'onze cents lieues de mer des Iroquois et des Hurons.

Qui considèrera que le visage du prince fait toute la félicité du courtisan, qu'il s'occupe et se remplit pendant toute sa vie de le voir et d'en être vu, comprendra un peu comment voir Dieu peut faire toute la gloire et tout le bonheur des saints.

Les grands seigneurs sont pleins d'égards pour les princes, c'est leur affaire; ils ont des inférieurs : les petits courtisans se relâchent sur ces devoirs, font les familiers, et vivent comme gens qui n'ont d'exemples à donner à personne.

Que manque-t-il de nos jours à la jeunesse? elle peut, et elle sait; ou du moins, quand elle sauroit autant qu'elle peut, elle ne seroit pas plus décisive.

Foibles hommes ! un grand dit de Timagène, votre ami, qu'il est un sot, et il se trompe; je ne demande pas que vous répliquiez qu'il est homme d'esprit; osez seulement penser qu'il n'est pas un sot.

De même il prononce d'Iphicrate qu'il manque de cœur : vous lui avez vu faire une belle action, rassurez-vous; je vous dispense de la raconter, pourvu qu'après ce que vous venez d'entendre vous vous souveniez encore de la lui avoir vu faire,

Qui sait parler aux rois, c'est peut-être où se termine toute la prudence et toute la souplesse du courtisan. Une parole échappe, et elle tombe de l'oreille du prince bien avant dans sa mémoire, et quelquefois jusque dans son cœur : il est impossible de la ravoir; tous les soins que l'on prend et toute l'adresse dont on use pour l'expliquer ou pour l'affoiblir servent à la graver plus profondément et à l'enfoncer davantage : si ce n'est que contre nous-mêmes que nous ayons parlé, outre que ce malheur n'est pas ordinaire, il y a encore un prompt remède, qui est

La Bruyère ayant parlé de la cour en style de relation, et comme d'un pays lointain et inconnu, il y a eu quelque sottise de la part des éditeurs modernes à écrire en toutes lettres le nom de Versailles : c'étoit d'un seul mot anéantir tout l'esprit du passage.

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de nous instruire par notre faute, et de souf- | stupidité et la fortune étoient deux choses infrir la peine de notre légèreté; mais si c'est compatibles, ou qu'il fût impossible d'être heucontre quelque autre, quel abattement! quel re- reux et sot tout à-la-fois, ils se croient de l'espentir! Y a-t-il une règle plus utile contre un prit, ils hasardent, que dis-je? ils ont la consi dangereux inconvénient que de parler des au- fiance de parler en toute rencontre, et sur tres au souverain, de leurs personnes, de leurs quelque matière qui puisse s'offrir, et sans nul ouvrages, de leurs actions, de leurs mœurs, discernement des personnes qui les écoutent : ou de leur conduite, du moins avec l'attention, ajouterai-je qu'ils épouvantent ou qu'ils donnent les précautions et les mesures dont on parle le dernier dégoût par leur fatuité et par leurs de soi? fadaises? il est vrai du moins qu'ils déshonorent sans ressource ceux qui ont quelque part au hasard de leur élévation.

Diseurs de bons mots, mauvais caractère: je le dirois, s'il n'avoit été dit. Ceux qui nuisent à la réputation ou à la fortune des autres, plutôt que de perdre un bon mot, méritent une peine infamante: cela n'a pas été dit, et je l'ose dire. 11 y un certain nombre de phrases toutes faites que l'on prend comme dans un magasin, et dont l'on se sert pour se féliciter les uns les autres sur les évènements. Bien qu'elles se disent souvent sans affection, et qu'elles soient reçues sans reconnoissance, il n'est pas permis avec cela de les omettre, parceque du moins elles sont l'image de ce qu'il y a au monde de meilleur, qui est l'amitié, et que les hommes, ne pouvant guère compter les uns sur les autres pour la réalité, semblent être convenus entre eux de se contenter des apparences.

et

Comment nommerai-je cette sorte de gens qui ne sont fins que pour les sots? je sais du moins que les habiles les confondent avec ceux qu'ils savent tromper.

C'est avoir fait un grand pas dans la finesse que de faire penser de soi que l'on n'est que médiocrement fin.

La finesse n'est ni une trop bonne ni une trop mauvaise qualité; elle flotte entre le vice et la vertu il n'y a point de rencontre où elle ne puisse, et peut-être où elle ne doive être suppléée par la prudence.

La finesse est l'occasion prochaine de la fourberie; de l'une à l'autre le pas est glissant : le mensonge seul en fait la différence; si on l'ajoute à la finesse, c'est fourberie.

Avec les gens qui par finesse écoutent tout, et parlent peu, parlez encore moins; ou si vous parlez beaucoup, dites peu de chose.

Avec cinq ou six termes de l'art, et rien de plus, l'on se donne pour connoisseur en musique, en tableaux, en bâtiments, et en bonne chère : l'on croit avoir plus de plaisir qu'un autre à entendre, à voir, et à manger; l'on impose Vous dépendez, dans une affaire qui est juste à ses semblables, et l'on se trompe soi-même. et importante, du consentement de deux perLa cour n'est jamais dénuée d'un certain nom- sonnes. L'un vous dit : J'y donne les mains, bre de gens en qui l'usage du monde, la poli- pourvu qu'un tel y condescende; et ce tel y tesse ou la fortune, tiennent lieu d'esprit, condescend, et ne desire plus que d'ètre assuré suppléent au mérite. Ils savent entrer et sortir; des intentions de l'autre. Cependant rien n'ails se tirent de la conversation en ne s'y mêlant vance : les mois, les années, s'écoulent inutilepoint; ils plaisent à force de se taire, et se ren-ment. Je m'y perds, dites-vous, et je n'y comdent importants par un silence long-temps sou- prends rien; il ne s'agit que de faire qu'ils s'atenu, ou tout au plus par quelques monosylla- bouchent, et qu'ils se parlent. Je vous dis, moi, bes; ils paient de mines, d'une inflexion de que j'y vois clair, et que j'y comprends tout; ils voix, d'un geste, et d'un sourire: ils n'ont pas, se sont parlé. si je l'ose dire, deux pouces de profondeur; si vous les enfoncez, vous rencontrez le tuf.

Il y a des gens à qui la faveur arrive comme un accident; ils en sont les premiers surpris et consternés : ils se reconnoissent enfin, et se trouvent dignes de leur étoile; et comme si la

Il me semble que qui sollicite pour les autres a la confiance d'un homme qui demande justice, et qu'en parlant ou en agissant pour soimême on a l'embarras et la pudeur de celui qui demande grace.

Si l'on ne se précautionne à la cour contre

les piéges que l'on y tend sans cesse pour faire | tomber dans le ridicule, l'on est étonné, avec tout son esprit, de se trouver la dupe de plus sots que soi.

Il y a quelques rencontres dans la vie où la vérité et la simplicité sont le meilleur manége du monde.

Êtes-vous en faveur, tout manége est bon; vous ne faites point de fautes, tous les chemins vous mènent au terme autrement tout est faute, rien n'est utile, il n'y a point de sentier qui ne vous égare.

Un homme qui a vécu dans l'intrigue un certain temps ne peut plus s'en passer: toute autre vie pour lui est languissante.

Il faut avoir de l'esprit pour être homme de cabale: l'on peut cependant en avoir à un certain point que l'on est au-dessus de l'intrigue et de la cabale, et que l'on ne sauroit s'y assujettir; l'on va alors à une grande fortune ou à une haute réputation par d'autres chemins.

Il n'a point eu d'aventures; il a eu de beaux songes, il en a eu de mauvais ; que dis-je ? on ne rêve point comme il a vécu. Personne n'a tiré d'une destinée plus qu'il a fait; l'extrême et le médiocre lui sont connus : il a brillé, il a souffert, il a mené une vie commune ; rien ne lui est échappé. Il s'est fait valoir par des vertus qu'il assuroit fort sérieusement qui étoient en lui; il a dit de soi, J'ai de l'esprit, j'ai du courage; et tous ont dit après lui, Il a de l'esprit, il a du courage. Il a exercé dans l'une et l'autre fortune le génie du courtisan, qui a dit de lui plus de bien peut-être et plus de mal qu'il n'y en avoit. Le joli, l'aimable, le rare, le merveilleux, l'héroïque, ont été employés à son éloge; et tout le contraire a servi depuis pour le ravaler: caractère équivoque, mêlé, enveloppé ; une énigme, une question presque indécise.

La faveur met l'homme au-dessus de ses égaux ; et sa chute au-dessous.

Celui qui, un beau jour, sait renoncer fer

Avec un esprit sublime, une doctrine universelle, une probité à toutes épreuves, et un mé-mement ou à un grand nom, ou à une grande rite très accompli, n'appréhendez pas, ô Aristide, de tomber à la cour, ou de perdre la faveur des grands pendant tout le temps qu'ils

auront besoin de vous.

Qu'un favori s'observe de fort près; car, s'il me fait moins attendre dans son antichambre qu'à l'ordinaire, s'il a le visage plus ouvert, s'il fronce moins le sourcil, s'il m'écoute plus volontiers, et s'il me reconduit un peu plus loin, je penserai qu'il commence à tomber, et je penserai vrai.

autorité, ou à une grande fortune, se délivre en un moment de bien des peines, de bien des veilles, et quelquefois de bien des crimes.

Dans cent ans le monde subsistera encore en

son entier : ce sera le même théâtre et les mêmes décorations; ce ne seront plus les mêmes acteurs. Tout ce qui se réjouit sur une grace reçue, ou ce qui s'attriste et se désespère sur un refus, tous auront disparu de dessus la scène. Il s'avance déja sur le théâtre d'autres hommes qui vont jouer dans une même pièce les

ceux qui ne sont pas encore, un jour ne seront plus : de nouveaux acteurs ont pris leur place; quel fond à faire sur un personnage de comédie!

L'homme a bien peu de ressources dans soi-mêmes rôles : ils s'évanouiront à leur tour; et même, puisqu'il lui faut une disgrace ou une mortification pour le rendre plus humain, plus traitable, moins féroce, plus honnête homme. L'on contemple dans les cours de certaines gens, et l'on voit bien à leurs discours et à toute leur conduite qu'ils ne songent ni à leurs grands-pères, ni à leurs petits-fils : le présent est pour eux ; ils n'en jouissent pas, ils en abusent. Straton est né sous deux étoiles: malheureux, heureux dans le même degré. Sa vie est un roman : non, il lui manque le vraisemblable.

Ce n'est pas ici un caractère, c'est-à-dire la peinture d'une espèce d'hommes; c'est le portrait d'un individu, d'un homme à part; et cet homme est évidemment le duc de Lauzun, dont

Qui a vu la cour a vu du monde ce qui est le plus beau, le plus spécieux, et le plus orné : qui méprise la cour, après l'avoir vue, méprise le monde.

La ville dégoûte de la province; la cour détrompe de la ville, et guérit de la cour. Un esprit sain puise à la cour le goût de la solitude et de la retraite.

la destinée, le caractère et l'esprit offrirent tous les extrêmes. et réunirent tous les contraires, que La Bruyère a marqués dans cette peinture.

CHAPITRE IX.

Des grands.

La prévention du peuple en faveur des grands est si aveugle, et l'entètement pour leur geste, eur visage, leur ton de voix, et leurs manières, si général, que, s'ils s'avisoient d'ètre bons, cela iroit à l'idolatrie.

trêmes besoins ou d'y remédier, leur curiosité ne s'étend point jusque-là.

On demande si, en comparant ensemble les différentes conditions des hommes, leurs peines, leurs avantages, on n'y remarqueroit pas un mélange ou une espèce de compensation de bien et de mal qui établiroit entre elles l'égalité, ou qui feroit du moins que l'une ne seroit guère plus desirable que l'autre. Celui qui est puissant, riche, et à qui il ne manque rien, peut former cette question; mais il faut que ce soit un homme pauvre qui la décide.

Il ne laisse pas d'y avoir comme un charme attaché à chacune des différentes conditions, et qui y demeure jusqu'à ce que la misère l'en ait

Si vous êtes né vicieux, ô Théagène', je vous plains; si vous le devenez par foiblesse pour ceux qui ont intérêt que vous le soyez, qui ont juré entre eux de vous corrompre, et qui se vantent déja de pouvoir réussir, souffrez que je vous méprise. Mais si vous êtes sage, tempérant, modeste, civil, généreux, reconnois-ôté. Ainsi les grands se plaisent dans l'excès, et sant, laborieux, d'un rang d'ailleurs et d'une naissance à donner des exemples plutôt qu'à les prendre d'autrui, et à faire les règles plutôt qu'à les recevoir, convenez avec cette sorte de gens de suivre par complaisance leurs déréglements, leurs vices et leur folie, quand ils auront, par la déférence qu'ils vous doivent, exercé toutes les vertus que vous chérissez ironie forte, mais utile, très propre à mettre vos mœurs en sûreté, à renverser tous leurs projets, et à les jeter dans le parti de continuer d'être ce qu'ils sont, et de vous laisser tel que Vous êtes.

L'avantage des grands sur les autres hommes est immense par un endroit. Je leur cède leur bonne chère, leurs riches ameublements, leurs chiens, leurs chevaux, leurs singes, leurs nains, leurs fous, et leurs flatteurs; mais je leur envie le bonheur d'avoir à leur service des gens qui les égalent par le cœur et par l'esprit, et qui les passent quelquefois.

Les grands se piquent d'ouvrir une allée dans une forêt, de soutenir des terres par de longues murailles, de dorer des plafonds, de faire venir dix pouces d'eau, de meubler une orangerie; mais de rendre un cœur content, de combler une ame de joie, de prévenir d'ex

Le nom de Théagène est traduit dans les clefs par celui du grand-prieur de Vendôme. Il est certain que ces mots, d'un

ang et d'une naissance à donner des exemples plutôt qu'à les prendre d'autrui, s'appliquent assez bien à ce petit-fils légitimé d'Henri IV. Malheureusement les mots de déréglement, de vices et de folie conviennent encore mieux à la vie plus que voluptueuse que ce prince et ses familiers menoient au Temple.

les petits aiment la modération ; ceux-là ont le goût de dominer et de commander, et ceux-ci sentent du plaisir et même de la vanité à les servir et à leur obéir : les grands sont entourés, salués, respectés; les petits entourent, saluent, se prosternent, et tous sont contents.

Il coûte si peu aux grands à ne donner que des paroles, et leur condition les dispense si fort de tenir les belles promesses qu'ils vous ont faites, que c'est modestie à eux de ne promettre pas encore plus largement.

Il est vieux et usé, dit un grand; il s'est crevé à me suivre : qu'en faire? Un autre, plus jeune, enlève ses espérances, et obtient le poste qu'on ne refuse à ce malheureux que parcequ'il l'a trop mérité.

Je ne sais, dites-vous avec un air froid et dédaigneux, Philante a du mérite, de l'esprit, de l'agrément, de l'exactitude sur son devoir, de la fidélité et de l'attachement pour son maitre, et il en est médiocrement considéré ; il ne plait pas, il n'est pas goûté: expliquez-vous; est-ce Philante, ou le grand qu'il sert, que vous condamnez?

Il est souvent plus utile de quitter les grands de s'en plaindre.

que

Qui peut dire pourquoi quelques uns ont le gros lot, ou quelques autres la faveur des grands?

Les grands sont si heureux, qu'ils n'essuient pas même, dans toute leur vie, l'inconvénient de regretter la perte de leurs meilleurs serviteurs ou des personnes illustres' dans leur

Louis XIV apprit la mort de Louvois sans en témoigner au

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