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il reproduit les mêmes maximes sans exceptions et ❘ térêt ne change pas. Les vices, au contraire, se désans restrictions': contradiction évidente, mais inévitable. La Rochefoucauld devoit, ou renoncer à son système, ou généraliser sa pensée : car, pour détruire un système, il suffit d'une exception.

Maintenant il faut choisir entre deux opinions : ou l'on restreint le sens de cette maxime à quelques cas particuliers, et alors elle ne renferme plus qu'une vérité commune dont il est inutile de nous occuper; ou l'on veut en faire une application générale, et alors c'est une calomnie qui tend à déshonorer le genre humain. Dans cette dernière hypothèse, il faudroit ainsi traduire la pensée : Tous les hommes sont des hypocrites ; rien n'est vrai que le vice. Poser ainsi la question, c'est la juger.

guisent suivant les circonstances; leur hypocrisie ne peut tromper qu'un moment, car ils ne s'attachent qu'à des intérêts passagers, et à mesure que ces inté rêts changent, l'ame se montre, et la vérité reste.

Ainsi disparoit, par la force des choses, l'espèce de confusion que La Rochefoucauld vouloit établir entre le vice et la vertu.

La fausse vertu est celle du publicain qui s'environne de faste et de mensonge; la véritable est celle du samaritain qui fait le bien par amour de l'humanité; et s'il existe une vertu supérieure, elle est le partage des humbles qui exercent la charité sur la terre en attachant leurs regards au ciel de pauvres filles renoncent au monde pour se consacrer à des œuvres de piété; ce monde qu'elles abandonnent doit ignorer jusqu'à leur sacrifice; elles ne seront vues que des malheureux. La contagion ravage l'Espagne : elles y courent', et s'enferment avec les pestiférés. Tous les maux qu'elles viennent soulager les menacent; déja elles exhalent l'odeur des cadavres ; on s'effraie, on fuit à leur approche; rien ne les occupe que les souffrances qu'elles soulagent; elles supportent avec calme d'horribles travaux...... des choses dont la seule pensée peut glacer les plus fermes courages et dénaturer même le cœur d'une mère! Pensez-vous que leur récompense soit de ce monde?

Mais comment une pareille maxime se trouve-t-elle à la tête d'un livre qui porte le titre de Réflexions ou sentences et maximes morales? Tous ces titres promettent, non une suite de sophismes propres à renverser tout principe, mais un développement des bonnes et saintes doctrines propres à faire aimer la vérité. Un titre plus convenable eût été celui-ci : Observations critiques sur les mœurs. Plus on étudie le tour d'esprit de La Rochefoucauld et le secret de sa composition, plus on est convaincu que le livre des Maximes est une critique du siècle, et non un traité de morale. Condé, Turenne, Richelieu, Mazarin, le cardinal de Retz, la duchesse de Longue-Seroit-ce la gloire ? leur nom même nous est inconnu! ville, Ninon, La Fayette, Sévigné, Anne d'Autriche, viennent tour à tour se présenter à lui, mais il ne les montre qu'en partie. Ni la reconnoissance, ni l'amour, ni la justice, ne peuvent lui arracher un éloge. Il semble que ces divers personnages se soient réfusés à laisser voir leurs vertus au peintre du vice. Ce livre est donc une satire du monde, et non un portrait de l'homme. Rien n'y est d'une application générale chaque maxime, au contraire, rappelle celui dont elle exprime les opinions ou les actions; et lorsque, toujours préoccupé de la corruption qui l'environne, l'auteur essaie de généraliser sa triste philosophie, nous lui échappons par les plus doux sentiments de la nature.

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car

Les richesses? elles ont fait vœu de pauvreté ! L'intérêt? oh oui! l'intérêt de l'humanité, celui du ciel, elles ne tiennent plus à la terre que par nos maux, c'est dans la mort qu'elles ont mis leur espérance.

et

Voilà la vertu telle que la fait la religion; mais La Rochefoucauld ne suit point notre ame dans ces hauteurs où elle se divinise. Il ne voit que la cour; ses maximes sont le fruit d'un temps de trouble et de discorde; elles s'appliquent aux hommes déshumanisés par les factions, et non aux sociétés bien ordonnées. Car si la plupart de nos vices naissent de la société, nous lui devons aussi la plupart de nos vertus; c'est le commerce des hommes qui nous inspire les beaux dévouements de la charité, et c'est la pensée de Dieu qui les rend sublimes.

Le seul trait des sœurs de Saint-Camille suffit pour nous convaincre que la Providence règle l'histoire des hommes comme celle de la nature, et qu'il peut résulter de l'étude même des désordres et des maux de nos sociétés, une théologie aussi lumineuse que celle qui résulte de l'étude de l'harmonie des mondes!

Il faut encore conclure de ces observations, que l'auteur a peint les hommes d'une manière au moins

Les sœurs de Saint-Camille.

bien incomplète. Il est comme ces artistes qui sacrifient l'ensemble de leurs tableaux à un seul coup de lumière: on ne voit sortir de la toile qu'une figure éclatante; l'obscurité couvre le reste. Ainsi La Rochefoucauld nous éblouit en éclairant nos vices, et nous empêche de reconnoître la vertu qu'il a rejetée dans l'ombre. Sa plume, dont on a justement vanté l'élégance, est guidée souvent par les aperçus d'un esprit fin et délicat, mais elle ne l'est jamais par ce sentiment vif qui, en s'échappant du cœur, nous fait aimer la vertu, et qui suffiroit seul pour confondre les sophistes qui la nient.

III.

Quelque découverte que l'on ait faite dans le pays de l'amourpropre, il y reste encore bien des terres inconnues.

| c'est la puissance donnée au génie de régner sur le monde, c'est la puissance donnée au sage de régner sur lui-même. Nier cette puissance, c'est nier la vertu, c'est-à-dire la possibilité des sacrifices; c'est nier le repentir qui tourmente le coupable, et rejeter la sagesse, cette noble faculté qui nous montre dans l'homme un Dieu déchu, mais libre encore de reprendre son rang. Non seulement la conscience repousse ce système, mais il est en contradiction avec l'assentiment de tous les peuples de la terre. Tous attachent une gloire immense à triompher de l'amour, de l'ambition, de la haine, de la vengeance! tous élèvent le courage qui surmonte ces passions au-dessus de celui qui dédaigne la vie. Cette pensée du genre humain ne seroit-elle qu'une erreur? et les grands exemples de nos grands hommes, Fénelon condamnant ses propres ouvrages, Louis XIV rendant les sceaux au président Voisin, saint Louis maître de son ame, et ne lui permettant que des vertus, ne seroient-ils que des mensonges qu'il faudroit effacer de notre histoire?

C'est ici le premier mot du système que l'auteur va développer. Il a voulu chercher dans un vice le mobile de toutes nos actions; mais il est utile de remarquer que ce mobile unique ne lui suffisant pas, il s'est vu obligé d'appeler d'autres passions au secours de son système, et de confondre sans cesse l'orgueil, la vanité, l'intérêt et l'égoïsme, avec l'amour-propre. Non seulement cette confusion détruit l'unité de son principe, mais encore elle le conduit souvent à des résultats opposés à ce principe. Le mobile de nos actions cessant d'être vil, la vertu doit reprendre ses droits, et c'est ce qui arrive toutes les fois que l'auteur confond l'amour de soi avec l'intérêt ou l'égoïsme; car l'amour de soi n'est pas toujours un vice. Le législateur qui a le mieux connu la nature de l'homme, sa force et sa foiblesse, pose en principe qu'il faut aimer le prochain comme soimême, et Dieu par-dessus tout. Tant que nous ne dépassons pas cette proportion, nous sommes dans l'ordre; tant que nous ne nous faisons pas centre, nous sommes dans l'ordre ; tant que nous ne voulons notre bien-être qu'avec celui des autres, nous sommes dans l'ordre. L'amour de soi peut donc entrer dans une action vertueuse : ce n'est pas l'abnégation entière de ce sentiment qui fait la vertu, c'est sa juste proportion. Aimer le prochain comme soimême, voilà la vertu ; s'aimer plus que tous les autres, voilà le vice; aimer les autres plus que nous, c'est s'élever au-dessus de l'humanité, c'est être un sage, un saint, un héros, Socrate, Fénelon, saint Louis! (Voyez la note de la Maxime 262.)

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Et cependant, quelles que soient leur rapidité et notre inconstance, les passions, dit énergiquement Bossuet, ont une infinité qui se fâche de ne pouvoir être assouvie; ah! sans doute, cette infinité est comme l'instinct de l'ame, qui sent le besoin de s'attacher à quelque chose d'éternel. Ainsi la pensée de La Rochefoucauld nous révèle un bienfait de la nature: car, dans leur passage rapide, toutes les pasLa durée de nos passions ne dépend pas plus de nous, que la sions nous laissent mécontents d'elles et de nous, de

durée de notre vie.

V.

Si cela étoit juste, de quoi nous serviroit la volonté? La volonté des hommes fait leur caractère:

leurs plaisirs comme de leurs peines; et ce méconten

Sermon pour le troisième dimanche de l'Avent.

tement nous conduit peu à peu à la seule passion qui ses amis furent oubliés. Croyant montrer sa force puisse avoir de la durée, la vertu.

XVI.

Cette clémence, dont on fait une vertu, se pratique, tantôt par vanité, quelquefois par paresse, souvent par crainte, et presque toujours par tous les trois ensemble.

Voici une de ces maximes fondamentales qui prouvent la fausseté de tout le système. Le vice est ce qui fait le malheur des hommes, la vertu ce qui les rend heureux. Une maxime qui tend à détruire une vertu, pour y substituer un vice, est donc une

maxime fatale au bonheur des hommes; et une

maxime fatale au bonheur des hommes ne peut être

la vérité : le caractère de la vérité est d'élever l'ame, et non de l'avilir; de répandre la vie dans les sociétés humaines, et non d'y propager la destruction; de faire trembler les tyrans, et non de les encourager. Ces principes suffiroient sans doute pour condamner La Rochefoucauld, lors même que l'expérience ne seroit pas contre lui. En effet, que penser d'un système qui se trouve contredit par tout ce qu'il y a de beau et de sublime dans l'histoire des hommes? Y avoit-il donc un sentiment de crainte, de vanité ou de paresse dans l'ame de Henri IV, lorsque, se retirant devant le duc de Parme, il laissoit échapper la victoire, plutôt que de livrer Paris aux horreurs du pillage? « J'aime mieux n'avoir point de Paris, di« soit-il, que de l'avoir tout ruiné et tout dissipé par < la mort de tant de personnes. » Non, La Rochefoucauld n'avoit pas lu dans le cœur de Henri IV; il ne connoissoit pas la véritable clémence, celle qu'on adore dans Charles v, dans Louis XII, et même dans César, qu'on haïroit sans elle. La clémence est la bonté appliquée aux grandes choses; c'est un sentiment de générosité et d'amour envers nos ennemis, qui met les rois au rang des dieux : elle est, dit Plutarque, la partie divine de la vertu. Ainsi s'accordent ensemble, et les actions des grands hommes, et les maximes des vrais sages. Cette vertu existe parceque l'humanité en a besoin : elle existe parceque son absence seroit la perte du foible, et la malédiction des hautes fortunes.

dans sa générosité, elle ne montra que sa foiblesse dans son ingratitude. Les criminels furent justifiés '; on donnoit tout à qui savoit se faire craindre. En un mot, Richelieu avoit cessé de vivre, non de régner: on eût dit que lui-même, long-temps après sa mort, écrasoit encore ses ennemis, et se ressaisissoit du pouAnne d'Autriche, en comblant de faveurs les anvoir dans la personne de Mazarin, sa créature. Ainsi, ciens protégés de Richelieu, se montra clémente envers ses persécuteurs, mais de cette clémence dont parle La Rochefoucauld, qui se pratique par vanité, par paresse ou par crainte. La guerre de la Fronde fut la suite de tant d'injustices: Anne d'Autriche ne tarda pas à se convaincre que la fidélité des courtisans ne s'attache qu'aux récompenses, et c'est alors que La Rochefoucauld eut le triste honneur de temps parlent de ses intrigues avec la duchesse de Longueville, qui fut l'aventurière d'un parti dont le cardinal de Retz se fit l'enfant perdu 3. Après de tels évènements, doit-on s'étonner de trouver dans le Livre de La Rochefoucauld des traces de toutes les passions qu'il avoit allumées, et qui auroient perdu la France si Louis XIV ne fût venu remettre tout à sa place?

faire trembler sa souveraine. Tous les Mémoires du

XVIII.

La modération est une crainte de tomber dans l'envie et dans

le mépris que méritent ceux qui s'enivrent de leur bonheur ; c'est

une vaine ostentation de la force de notre esprit ; et enfin la modération des hommes dans leur plus haute élévation, est un desir de paroître plus grands que leur fortune.

Nouvelle preuve que La Rochefoucauld avoit puisé ses maximes dans son siècle, et non dans la morale du genre humain. Ce qu'il dit ici de la modération, est un trait du caractère de Mazarin, qui, selon madame de Motteville, « affectoit d'être gai quand ses << affaires alloient mal, pour montrer qu'il ne s'éton<< noit point dans le péril; et froid quand elles alloient << bien, pour faire voir qu'il ne s'emportoit pas dans « la prospérité. » On n'admettra donc pas, comme une maxime générale, cette critique particulière. Nous avons dit que La Rochefoucauld se contente l'indifférence de Mazarin : on savoit trop que cette Sans doute personne n'étoit dupe de la gaieté ou de trop souvent de peindre son siècle, et de réduire en maximes ce qui se passoit en lui et autour de lui. hypocrisie étoit le voile de son ingratitude et de son Cette remarque trouve ici son application, car la lorsque avant de boire la ciguë il se tourna vers son ambition; mais le monde entier crut à Phocion, pensée sur la clémence n'est autre chose que l'expres-fils et lui dit : « Je te commande et te prie de ne sion de la politique d'Anne d'Autriche. La Rochefoucauld lui avoit tout sacrifié, jusqu'à la faveur du cardinal de Richelieu '. Devenue régente, elle ne laissa tomber ses graces que sur ceux qu'elle haïssoit;

1 Mémoires de La Rochefoucauld, première partie, page 32.

« porter point rancune pour ma mort aux Athé

Mémoires du cardinal de Retz, tome I. page 93.

2 Mémoires de madame de Motleville, tome 1, page 440. 3 Mémoires du cardinal de Retz, tome I, page 299.

4 Mémoires de madame de Motteville, tome II, page 43.

<< niens. » La vie entière du héros attestoit la vérité de ces paroles.

XX.

XXIII.

Peu de gens connoissent la mort; on ne la souffre pas ordinairement par résolution, mais par stupidité et par couture; et la plupart des hommes meurent parcequ'on ne peut s'empê

La constance des sages n'est que l'art de renfermer leur agita- cher de mourir. tion dans leur cœur.

Ainsi la sagesse n'est encore que de l'hypocrisie! Remarquez que cette définition de la constance est une suite de la Maxime 48, et ne peut, comme elle, s'appliquer qu'à Richelieu ou à Mazarin. Voyez d'ailleurs quels seroient ses résultats. Ne faudroit-il pas en conclure que la sagesse est funeste à l'humanité, puisque, sans nous ôter les maux, elle nous priveroit des consolations? La constance du vrai sage est l'art d'opposer aux agitations de la vie une force qui les détruise; c'est un amour de la vertu qui ne peut être ébranlé ni par la crainte, ni par l'espérance. Mais il est une autre vertu supérieure à celle des sages: c'est la résignation du chrétien, vertu qui met à la place de nos souffrances un sentiment d'amour pour celui qui les envoie; vertu pleine de vigueur, qui écarte toutes les incertitudes, car elle ne s'appuie plus sur nous, mais sur Dieu, et, transportant nos desirs de la terre au ciel, elle nous console des douleurs qui passent par l'espérance d'une joie qui ne passera jamais. Epictète étoit pénétré de tout ce que cette morale a de plus sublime, lorsqu'il disoit, en s'adressant aux dieux : « J'ai été malade <«< parceque vous l'avez voulu, et je l'ai voulu de « même ; j'ai été pauvre parceque vous l'avez voulu, « et j'ai été content de ma pauvreté; j'ai été dans « la bassesse parceque vous l'avez voulu, et je n'ai « jamais desiré d'en sortir. » Pensées touchantes, qui ne peuvent s'échapper que d'une ame paisible, et qui n'arrivent à la nôtre que pour la remplir de courage et d'amour. Si la constance des sages n'étoit que l'art de renfermer leurs agitations dans leur cœur, Épictète auroit eu l'enfer dans le sien. Peu d'hommes furent aussi malheureux, et c'est du sein de ses misères qu'il poussa ce cri sublime: « Je suis « Épictète, esclave, estropié, un autre Irus en pau« vreté et en misère, et cependant aimé des dieux ! »

XXII.

La crainte de la mort n'est, si l'on peut s'exprimer ainsi, qu'un sentiment physique, un instinct nécessaire à notre conservation. C'est une sentinelle commise à la garde de l'être matériel, et qui se retire à mesure que la morale nous éclaire, ou que notre intelligence s'agrandit. L'homme laissé à luimême n'éviteroit aucun mal; les animaux partagent cet instinct avec l'homme, l'ame n'y est pour rien: ou plutôt c'est de l'ame seule que nous apprenons, contre le témoignage de tous nos sens, que la mort est le plus grand des biens, jusque-là que le malheureux l'appelle, que le héros la brave, que le chrétien la bénit. La mort n'est pas notre affaire, c'est celle de la nature; pour ne la pas craindre, loin d'en détourner la vue, il suffit de l'envisager et de la comprendre. (Voyez les notes des Maximes 26 et 504.)

XXVI.

Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement, Les anciens redoutoient la mort, ne pouvant ni la comprendre, ni consentir à paroître la craindre! Ils l'embrassèrent avec mépris, et ce mépris fit leur grandeur. Politique, mœurs, philosophie, tout fut dirigé dans ce but. Socrate seul, en méditant sur la mission de l'homme, pressentit que la mort devoit renfermer le prix de la vertu. Il mit sa confiance en Dieu, et, le cœur pénétré de ce sentiment nouveau, il s'endormit sur la terre pour se réveiller dans le ciel. Mais la foi du chrétien a pénétré plus avant dans ces abimes. Ce n'est point assez pour lui de regarder la mort fixement, il la contemple avec joie, il l'attend avec amour. Tous ses mystères lui sont dévoilés : elle n'accroît pas ses peines, elle les dissipe; elle ne trouble pas ses espérances, elle les accomplit; elle ne lui ôte pas la vie, elle la lui donne. Ainsi le passé comme le présent, la fin des sages les plus illustres comme celle des chrétiens les plus obscurs, démentent cette pensée calomnieuse. Caton en eût rougi,

La philosophie triomphe aisément des maux passés et des Bayard ne l'eût pas comprise. Et vous, pieuses vicmaux à venir; mais les maux présents triomphent d'elle.

Anaxarque, Diogène, Épictète, Socrate, apprirent au monde que la philosophie est supérieure à la misère, à l'esclavage, à la douleur, à la mort. La Rochefoucauld prétendoit-il nier ces grands exemples, ou les renverser par une maxime? ( Voyez la note de la Maxime 20.)

times de notre révolution, qu'auriez-vous dit de ce langage, vous qu'on vit prier pour vos assassins, et qui, au moment de quitter la terre, ne répandiez des pleurs que sur nos maux! (Voyez la note de la Maxime 504.)

XXVIII.

La jalousie est, en quelque manière, juste et raisonnable, puisqu'elle ne tend qu'à conserver un bien qui nous appartient ou que nous croyons nous appartenir: au lieu que l'envie est une fureur qui ne peut souffrir le bien des autres.

Ici comme dans une foule d'autres Maximes, l'au teur n'envisage qu'un des côtés de la passion qu'il veut excuser. Il n'y a point de coupable qui n'ait ses raisons. Dans les ames communes, la jalousie ne développe que bassesses, méfiances, soupçons ; dans les ames vigoureuses, ses fruits sont la fureur et le crime. Chacun en supporte le poids suivant sa force; mais l'avilissement est pour tous. Quant à l'envie, passion obscure, lâche, honteuse d'elle-même, elle ne souffre pas toujours du bien des autres, mais seulement de n'être pas aussi bien que les autres. Charron l'a supérieurement définie, lorsqu'il a dit : C'est un regret du bien que les autres possèdent, et qui tourne ce bien à notre mal.

XXIX.

XXXV.

L'orgueil est égal dans tous les hommes, et il n'y a de différence qu'aux moyens et à la manière de le mettre au jour.

L'orgueil n'étant qu'une fausse mesure de nousmêmes, il est évident que cette mesure a plus ou moins d'étendue suivant notre caractère ou nos passions. Soutenir que l'orgueil est égal dans tous les hommes, c'est donc soutenir qu'Alexandre et saint Louis avoient le même caractère et les mêmes passions; c'est ne mettre nulle différence entre Pradon, qui se plaignoit de l'injustice du public soulevé contre ses pièces, et Racine, qui, frappé de la froideur de ce même public pour Athalie, emporta dans la tombe la douloureuse pensée qu'il s'étoit trompé; enfin, c'est nier la modestie, vertu des amnes délicates, et qui sert de voile aux autres vertus.

XXXVII.

L'orgueil a plus de part que la bonté aux remontrances que nous faisons à ceux qui commettent des fautes, et nous ne les reprenons pas tant pour les en corriger, que pour leur persuader

Le mal que nous faisons ne nous attire pas tant de persécution que nous en sommes exempts. et de haine que nos bonnes qualités.

Il est deux manières de considérer cette Maxime : comme maxime générale, et comme maxime d'exception. La première proposition seroit une absurdité. La Rochefoucauld n'a pas pu dire que, dans le commerce habituel de la vie, la sincérité, l'innocence, la générosité, la modestie, nous attirent la haine et la persécution; tandis que la colère, l'injustice, la violence, la mauvaise foi, nous donnent des amis. En se bornant donc à la seconde proposition, il faut avouer que les grandes qualités irritent quelquefois les méchants, et qu'elles excitent la persécution; mais dire qu'elles appellent la haine, c'est calomnier le genre humain. Socrate et Fénelon furent persécutés, ils ne furent point hais; ou plutôt jamais ils n'inspirèrent autant d'amour qu'au moment où ils recueilloient le prix de leurs vertus, l'un dans une prison, l'autre dans l'exil. Si vous êtes méchants, les hommes vous haissent; si vous êtes bons, ils vous persécutent. Heureusement le choix est facile entre ces deux extrémités, car on peut supporter l'injustice des hommes, mais leur haine est un supplice qui ne nous laisse ni consolation ni refuge. (V. la note de la Maxime 238.)

XXXIV.

Si nous n'avions point d'orgueil, nous ne nous plaindrions pas de celui des autres.

Pensée plus brillante que solide. L'absence de l'orgueil ne nous rend point insensible; on peut done, sans avoir de l'orgueil, être blessé de celui des autres.

Il y a au moins de grandes exceptions à cette règle; et La Rochefoucauld ne pensoit pas sans doute en faire l'application aux leçons paternelles et aux conseils de l'amitié. Avertir et être averti, dit Cicéron, c'est le propre de l'amitié. Au reste, l'auteur en convient lui-même dans une autre pensée qu'il est difficile de mettre d'accord avec celle-ci.

<< Le plus grand effet de l'amitié, dit-il, n'est pas « de montrer nos défauts à un ami, c'est de lui faire « voir les siens. » (Maxime 440.)

XXXVIII.

Nous promettons selon nos espérances, et nous tenons selon nos craintes.

Nouveau trait du caractère de Mazarin. Sans reconnoissance pour les services passés, il ne laissoit tomber les graces de la cour que sur ceux qui avoient l'audace de s'en faire craindre. L'art de promettre fut pour lui l'art de régner. Prodigue seulement d'espérance, flatteur de ses propres courtisans, il amusoit leur vanité, laissant entrevoir dans l'avenir des faveurs considérables pour se dispenser d'en accorder de légères. La Rochefoucauld fut victime de ses promesses hypocrites; mais il ne pensoit pas, sans doute, que lire dans le cœur de Mazarin c'étoit lire dans le cœur de tous les hommes.

On trouve dans les Fragments historiques de Racine, une explication ingénieuse de cette politique de Mazarin : nous la citons comme le complément de la pensée de La Rochefoucauld.

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