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cun des points de vue principaux auxquels s'est placé l'esprit humain a sa vérité relative; peut-être est-il possible de construire une théorie nouvelle du droit, à la fois naturaliste et idéaliste, assez compréhensive pour réconcilier les systèmes adverses en ce qu'ils ont de scientifique. Ce n'est pas un choix plus ou moins arbitraire entre les systèmes et une sorte d'éclectisme que nous nous proposons de réaliser c'est une synthèse rationnelle où tous les éléments positifs de chaque système auront leur place, et où ils seront reliés par une théorie aussi compréhensive qu'il est possible. En limitant à leur juste valeur et à leur légitime domaine les vérités relatives des systèmes, on leur enlève leur caractére exclusif et négatif; on les rend du même coup harmoniques et conciliables. »

L'auteur dégage d'une courte et substantielle étude historique trois conceptions philosophiques du droit: les deux premières, réalistes de tendance, fondent le droit, l'une sur la force ou la puissance, et l'autre sur l'intérêt; la troisième, plus idéaliste, fonde le droit sur l'idée de liberté, d'égalité et de fraternité universelle. Ensuite, après avoir passé ces différentes conceptions au crible de sa critique serrée, le savant auteur résume sa conclusion en ces termes :

« Pour nous, nous avons accepté à la fois, en leurs principes positifs, les trois doctrines de la puissance, de l'intérêt, du droit, et nous les avons superposées dans leur ordre hiérarchique, de manière à former une sorte de construction dont les assises multiples se supportent l'une l'autre depuis la base jusqu'au sommet. Les fondements les plus matėriels de l'édifice nous ont été fournis par la théorie de la puissance supérieure, soit physique, soit intellectuelle sans la force rien n'est possible, et tout ce qui a la réalité a aussi la force. A ce point de vue, le droit est le maximum de pouvoir individuel compatible avec le maximum de force sociale. Mais l'organisation des forces ne se comprend pas sans celle des intérêts, et là se place la philosophie utilitaire, pour laquelle le droit est le maximum de pouvoir individuel compatible avec le maximum d'intérêt social. La philosophie utilitaire elle-même a deux formes, l'une trop individualiste et atomiste, qui considére la société comme un agrégat d'individus dont chacun cherche son intérêt, l'autre plus biologique et évolutionniste, qui considère la société comme un organisme vivant soumis aux lois universelles de l'évolution. Le point de vue biologique et évolutionniste nous a paru beaucoup plus élevé que celui de Hobbes et même de Bentham. La conciliation des forces et des intérêts était d'ailleurs facile ce sont choses qui se complètent, ou plutôt c'est la même chose sous deux aspects, l'un extérieur, l'autre intérieur. Plus difficile est la conciliation de l'idée pure du droit avec les deux autres principes elle nous aurait même semblé impossible, comme elle le paraît aux écoles historique, dialectique et positiviste, si nous n'avions pas assigné à ces principes divers des domaines divers. Selon nous,

comme on l'a vu, le domaine du droit proprement dit est l'idéal, le domaine des forces et de l'intérêt est la réalité : c'est par de pures idées, les plus hautes qu'on puisse concevoir, celles de liberté individuelle et de société universelle, que l'édifice entier s'achève. La force et l'intérêt sans le droit, ce serait la vie sans idéal; le droit sans la force et sans l'intérêt, ce serait l'idéal sans vie. Mais en fait l'idéal est lui-même une force, puisqu'il meut l'humanité et, en une certaine mesure, peut mouvoir le monde même; il est un intérêt, puisqu'il est le besoin incessant de la pensée et le perpétuel objet du désir. Par cela même il est un des facteurs de l'évolution humaine, un des moteurs de l'organisme social, un des ressorts les plus importants de la vie consciente. Ainsi la théorie que nous proposons rapproche les autres : dans sa partie positive, elle est à la fois un naturalisme et un idéalisme, elle conserve sans exception tous les faits, elle conserve même toutes les idées en tant que telles, mais elle s'efforce de rapprocher peu à peu les faits et les idées, jusqu'à ce terme idéal de l'évolution universelle où leur séparation serait réduite à néant, où la force suprême et l'intérêt suprême coïncideraient avec la liberté. » G. C.

67.

Rechtsphilosophie und Rechtswissenschaft, par JACQUES STERN, docteur en droit et assesseur de justice à Berlin. In-8° de 47 pages. Berlin, J. Guttentag, 1904.

Ceci est une intéressante brochure, dans laquelle l'auteur s'attache à démontrer l'utilité de la philosophie du droit, en dégageant la notion d'un droit naturel qui existerait à côté du droit positif. Ce droit naturel n'est pas, selon M. Stern, un système juridique complet et immuable construit de toutes pièces d'un ensemble de normes formulées a priori; mais ce droit naturel est, à ses yeux, le droit de la raison et embrasse toute conception du droit qui se forme indépendamment des préceptes juridiques positifs.

G. C.

68. Bernhard Windscheid's Gesammelte Reden und Abhandlungen, par PAUL OERTMANN, professeur de droit à Erlangen. In-8° de XXXVI et 434 pages. Leipzig, Duncker et Humblot, 1904.

Douze ans après la mort de Windscheid, voici paraître un recueil de ses discours et dissertations. A première vue, on pourrait être tenté de voir dans la tardiveté de cette publication un signe d'ingratitude ou tout au moins d'indifférence; mais à mon sens on se tromperait fort en raisonnant ainsi, et je crois plutôt que la publication de M. le professeur Oertmann rend clairement témoignage de l'influence persistante de

Windscheid sur la génération actuelle des civilistes allemands. Par son lumineux enseignement et par son admirable manuel de pandectes, dont la première édition remonte à 1862-1870, Windscheid a véritablement pėtri l'esprit juridique allemand. En outre, par la part prépondérante qu'il prit à la rédaction du premier projet de code civil allemand, il fit entrer ses conceptions dans le domaine de la réalisation, au point qu'un critique éminent de ce projet se permit de le qualifier de «< petit Windscheid ». Dans ces circonstances on conçoit sans peine que l'œuvre de Windscheid soit entrée dans le sang des juristes allemands d'aujourd'hui, d'autant plus qu'elle reste toujours, nonobstant la mort de Windscheid et la promulgation du Bürgerliches Gesetzbuch, l'assise fondamentale de l'étude du droit privé en Allemagne. Lorsque ses amis le félicitaient de l'énorme succès de son manuel de pandectes, Windscheid, dans sa grande modestie, leur répondait : « Mon livre ne vivra que jusqu'à ce qu'un livre meilleur vienne prendre sa place, et ceci ne peut tarder å se produire. » Cependant, voici plus de quarante ans que ces paroles furent prononcées et il ne semble pas que la science allemande ait déjà produit le livre qui s'imposerait au point d'éclipser le célèbre Lehrbuch des Pandektenrechts; d'autant qu'un disciple fidèle prit soin d'approprier celui-ci au nouvel état des choses, après la promulgation du code du 18 août 1896 (').

Le volume édité par M. le professeur Oertmann débute par une notice. biographique, dans laquelle il nous plaît de relever un trait vraiment caractéristique de la droiture morale de notre vieux maître lorsqu'en 1847, à l'âge de 30 ans, il fut nommé professeur à l'université de Bonn, il crut de son devoir d'informer le curateur de l'université que, affranchi des dogmes de la religion catholique, il s'en tenait exclusivement à la conception d'une éthique ou religion universelle, demandant si, dans ces conditions, il convenait aux autorités académiques de le donner pour maître à la jeunesse. Le curateur de l'université, qui n'était autre que le célébre jurisconsulte Bethmann-Hollweg, catholique sincère et fervent, fit à la démarche de Windscheid une réponse qui fait autant honneur à son auteur qu'à son destinataire un aveu spontané aussi honorable, écrivait le curateur, attestait une maturité morale et une sincérité de conviction qu'il était souhaitable de voir se transmettre du jeune maître à ses jeunes auditeurs. Jusqu'à la fin de son existence, Windscheid resta d'ailleurs préoccupé de la question religieuse, et en 1890 il se convertit au protestantisme, lequel se conciliait mieux avec sa conception d'une religion universelle et avec la liberté des recherches scientifiques. A l'exception d'un discours prononcé à Leipzig le 21 février 1879, à l'occasion du centenaire de la naissance de Savigny, discours qui n'avait jamais été publié, - le recueil de M. Oertmann n'est qu'une

(1) Voir Revue, 1900, p. 458; 1901,
p. 463.

réédition de discours et de dissertations, dont l'éditeur a respecté scrupuleusement le texte, se bornant à mettre parfois à jour les renvois et les notes. Il va sans dire qu'une publication de ce genre ne peut contenir les monographies de longue haleine de Windscheid, telles que la nullité des actes juridiques dans le code Napoléon (1847), die Lehre der Voraussetzung (1850), l'actio du droit civil romain (1856). Mais on est heureux de trouver dans le volume de M. Oertmann maintes courtes dissertations, qui n'ont rien perdu de leur intérêt et qu'il était devenu quasi-impossible de se procurer, telle par exemple la discussion de la question de savoir si la condition accomplie a ou n'a pas un effet rétroactif. A côté de l'étude des effets de la condition, on retrouve dans le recueil les dissertations sur l'obligation corréale, sur la succession particulière dans l'obligation, sur l'hérédité jacente, sur la déclaration de volonté, etc... Enfin, les discours de Windscheid ne le cédent pas en intérêt à ses dissertations juridiques, car ils reflètent plus clairement l'état d'âme de ce grand jurisconsulte, qui fut aussi un grand cœur.

G. C.

69. Der Besitz bei der Erbschaftsklage des römischen Rechtes, par A. STARKE, docteur en droit. In-8° de x et 106 pages. Berlin, Struppe & Wincker, 1905.

A quel point de vue et dans quelle mesure la possession était-elle prise en considération par le droit romain dans le débat judiciaire relatif à une hérédité? Cette question, envisagée exclusivement dans le dernier état du droit romain, est traitée par la plupart des commentateurs dogmatiques du corpus juris civilis. Mais M. Starke a estimé avec raison qu'il ne serait peut-être pas inutile de soumettre cette question à une étude historique complète. En prenant pour point de départ l'antique legis actio sacramento in rem, l'auteur montre que, dans le débat judiciaire relatif au droit d'hérédité, le rôle de la possession, d'abord insignifiant, s'est accru par la suite grâce aux interdits et particulièrement à l'interdictum quorum bonorum, et il signale en outre comment cette importance croissante de l'élément possession eut pour effet de modifier la procédure. Il faut savoir gré à M. Starke de nous fournir une aussi consciencieuse contribution à l'histoire de la pétition d'hérédité.

G. C.

70. Die Gesetze Hammurabis in Umschrift und Uebersetzung, par HUGO WINCKLER. In-8° de XXXII et 116 pages. Leipzig, J.-C. Hinrichs, 1904.

Nous avons eu l'occasion naguère de signaler à l'attention des lecteurs. de la Revue quelques publications consacrées à la mémorable découverte

du code babylonien d'Hammourabi (1). En voici une nouvelle, destinée, dans la pensée de son auteur, à favoriser la divulgation du code babylonien au delà du cercle trop restreint des spécialistes. M. Winckler a réussi à atteindre ce louable but, tout en conservant pourtant à sa publication un caractère très scientifique. Après une introduction contenant d'intéressantes observations historiques et critiques sur le document même, l'auteur nous donne la transcription du texte avec, en regard, la traduction allemande. Il ajoute en supplément, pour les rapprocher du code d'Hammourabi, deux autres documents, à savoir quelques dispositions du droit de famille sumérien et un fragment de loi babylonienne conservé au British Museum. Enfin, le livre se termine par un bon vocabulaire qui permet aux non-initiés eux-mêmes de pénétrer le mystère du texte original.

G. C.

71. Das Recht des modernen Staates. Tome premier: Allgemeine Staatslehre, par GEORG JELLINEK, professeur à l'université de Heidelberg, deuxième édition. In-8° de xxxI et 797 pages. Häring, 1905.

Berlin,

72. System der subjektiven öffentlichen Rechte, par GEORG JELLINEK, professeur à l'université de Heidelberg, deuxième édition. In-8° de XII et 366 pages. — Tübingen, J.-C.-B. Mohr (Paul Siebeck), 1905.

On sait le grand succès, tant à l'étranger qu'en Allemagne même, des livres de M. le professeur Jellinek. En faut-il une meilleure preuve que la publication d'une traduction russe et d'une traduction française du premier des deux ouvrages dont nous venons de transcrire le titre? Ce livre contient une étude historique et critique vraiment complète de la conception de l'État dans notre civilisation occidentale. L'introduction nous présente de judicieuses observations sur la mission, la méthode et l'histoire de la science de l'Etat, ainsi que sur la place qui revient à cette science parmi toutes les sciences. Puis, dans une série de chapitres, tous d'une lecture également attrayante, l'auteur fait l'exposé historique et critique de tous les grands problèmes que soulève la notion de l'Etat : l'origine du nom de l'État et l'évolution de la conception même de l'État, la justification de l'État et son but, sa naissance et sa disparition, les principaux types historiques de l'État, les rapports entre l'État et le droit, la structure du droit public, la condition juridique des divers éléments de l'État, les attributs de la souveraineté, les constitutions, les organes de l'État, la notion de la représentation et les organes représen

(1) Revue, année 1904, p. 101 et 304.

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