La nation souveraine ne peut exercer directement sa souveraineté. On peut considérer les élections, et surtout les élections pour l'assemblée nationale, comme un moment où la souveraineté se manifeste directement, sans délégation. Dans les États à referendum, comme la Suisse, la nation exerce, du moins en certains cas, ses droits directement. La grande assemblée nationale est, en Bulgarie, l'institution qui exerce la souveraineté par délégation de la nation. Une fois la grande assemblée constituée, la nation perd, comme disent les Allemands, sinon sa Rechtsfähigkeit, au moins sa Handelsfähigkeit. Elle ne perd pas la souveraineté, mais en aliène l'exercice. Nous avons parlé au commencement de cette étude de certains côtés faibles de l'organisation fondamentale. Il nous reste à analyser le chapitre XX de la constitution, qui règle tout ce qui concerne la grande assemblée nationale. L'article 140 dit que celle-ci peut être convoquée par le prince, par la régence ou par le conseil des ministres. Elle doit être convoquée par le prince lorsqu'il s'agit de questions concernant la cession ou l'échange d'une partie du territoire de la principauté, lorsqu'il y a lieu d'autoriser le prince à accepter la qualité de chef d'un autre État et lorsqu'il s'agit d'une revision de la constitution. Les décisions sur ces questions doivent être prises par les deux tiers au moins de tous les membres de l'assemblée. Celle-ci doit être convoquée par la régence seulement dans le cas d'une cession ou d'un échange de territoire. Pour nulle autre question, la régence ne peut faire appel à la grande assemblée. La convocation appartient au conseil des ministres pour l'élection d'un nouveau prince et pour le choix des régents. L'élection du prince se fait à la majorité des deux tiers des députés qui se trouvent en séance et celle des régents à la majorité de plus de la moitié (majorité absolue). La grande assemblée nationale se compose de députés élus directement par la nation en nombre double de celui qui est prévu pour l'assemblée ordinaire, c'est-à-dire deux députés pour chaque groupe de 20,000 habitants. Pour tout ce qui concerne l'ordre intérieur, la marche des travaux, les devoirs et droits des députés, sont applicables les dispositions de la constitution concernant l'assemblée nationale ordinaire. La grande assemblée nationale ne peut se prononcer que sur les questions pour lesquelles elle a été convoquée. Ses décisions sont définitives et indépendantes de la sanction princière. Une revision de la constitution que nous venons d'analyser s'impose. En résumant les critiques que nous avons faites au courant de notre étude, nous formulerons ici les points principaux sur lesquels la future grande assemblée nationale devra porter son attention : 1. Pour le conseil d'État. Lorsque nous avons parlé des lois, nous avons montré à quel sort pitoyable elles sont livrées après leur confection. L'histoire qui précède ce moment est plus lamentable. Il faut décidément un organe constant, un régulateur compétent qui tempère la fougue des représentants, les velléités des partisans. Nous sommes pour un conseil d'État qui, sans pouvoir rien décider, sera une haute institution régulatrice avec la mission de veiller à ce que les lois soient en harmonie les unes avec les autres, donner son opinion motivée sur tous les projets de loi, sanctionner les règlements, opiner sur les actes importants du pouvoir exécutif, veiller à la conservation de la constitution en émettant toujours son avis sur la nature des décisions des différents corps de l'État. Déjà à l'assemblée constitutive de 1871, il y eut d'inté ressants débats sur la création d'un sénat. Les défenseurs de ce dernier firent preuve d'une grande prévoyance, car presque toutes les fautes qu'ils voulurent prévenir par la création d'un sénat ont été commises. Mais nous pensons qu'un sénat n'est pas nécessaire. Un conseil d'État avec les modestes attributions consultatives que nous lui supposons ici garantira au régime actuel la stabilité désirable. 2. Justice. La constitution doit consacrer l'inamovibilité des juges, l'institution du jury, l'indépendance des tribunaux. 3. Législation. -L'article 47 doit être supprimé et remplacé par l'article 130 de la constitution belge qui dit : « La constitution ne peut être supendue en tout ou en partie. » De plus, en ce qui concerne les règlements, il faut donner aux tribunaux le droit d'examiner s'ils sont conformes aux lois (art. 107 de la constitution belge). 4. Pouvoir législatif. -La Chambre des députés doit pouvoir se réunir de plein droit, si le prince ne fait pas la convocation dans les délais fixés par la constitution. 5. Revision. Le pouvoir princier doit rester absolument étranger à l'œuvre de la revision de la constitution. NOTICE. LA QUESTION DE LANGUE DANS LES RELATIONS DIPLOMATIQUES. Alphonse Rivier expose en termes clairs la question de la langue employée dans les négociations et les écrits diplomatiques. «Chaque État, dit-il, dans les communications orales ou écrites qu'il fait à d'autres États, a naturellement le droit de se servir de la langue qu'il vent, et, avant tout, de sa propre langue. Chaque État, d'autre part, doit désirer d'être compris. De là, d'ancienne date des accords exprès ou tacites concernant la langue employée dans les communications d'État à État, dans les négociations, dans les entrevues, enfin dans les traités (1). » Aux premiers temps de la société internationale, le latin apparaît comme langue des relations diplomatiques; toutefois, d'assez bonne heure, les idiomes locaux revendiquent leur part. Dans les documents officiels se constatent de significatives manifestations. Au XIII et au XIVe siècle, le français est employé fréquemment hors de France; ainsi dans les principautés d'Orient et dans les ordres de l'Hôpital et des Teutoniques; en 1404, des ambassadeurs anglais reconnaissent qu'il est la langue des traités, mais demandent au grand conseil de France qu'il leur soit répondu en latin (2). « Au xv° siècle, écrit René de Mauldela-Clavière, le français était la langue des pays secondaires de la France, des ducs d'Orléans, des ducs de Bourgogne, des ducs de Bretagne, des consuls d'Avignon. A la fin du xve siècle, il est la langue des cours de Savoie et des Pays Bas (3). Au commencement du xvr siècle, un rival apparaît, c'est l'espagnol; mais à la même époque, tout accord rédigé en italien, en anglais, en allemand porte encore un caractère intérieur. « Deux langues seulement, dit le publiciste que nous venons de citer (sauf en Espagne où l'on tient à l'espagnol), sont (1) A. RIVIER, Principes du droit des gens, t. II, p. 19. (2) JUSSERAND, Histoire littéraire du peuple anglais. Des origines à la renaissance, p. 241. (3) R. DE MAULDE-LA-CLAVIÈRE, La diplomatie au temps de Machiavel, t. II, p. 79. admises et employées dans la rédaction des pactes vraiment internationaux le latin pour les notaires apostoliques et par suite l'école qui se rattache à la chancellerie romaine; le français. L'Angleterre, l'Allemagne usent sans cesse du français, surtout dans les traités avec la France et les Pays-Bas. Toutefois, l'Angleterre revient à l'usage du latin pour ses traités avec la France (1). » Au début du XVIIe siècle, dans son livre intitulé: El Enbaxador, Jean-Antoine de Vera y Figueroa prônait, du moins pour l'audience de réception, l'usage de langue maternelle. « Tout cela, écrivait-il, doit se dire dans la langue naturelle de l'ambassadeur, parce que l'on ne saurait si bien savoir une langue étrangère comme sa langue maternelle; d'ailleurs, il est de la grandeur d'un prince que sa langue se répande partout. » Au xvi° siècle, la prépondérance de la langue française fut hors de doute elle n'était point la langue officielle, mais elle était la langue usuelle. Un historien observe qu'au congrès de Nimègue de 1676, « il n'y avait point de maison d'ambassadeurs où elle ne fût presque aussi commune que leur langue naturelle ». Presque tous les mémoires, dit-il, étaient rédigés en français. » En 1738, dans son Discours sur l'art de négocier, Antoine Pecquet recommande l'étude des langues étrangères. Quoique, écrit-il, notre langue soit devenue en quelque sorte celle de toute l'Europe, il y a cependant encore beaucoup de gens qui ne la parlent pas ou, du moins, qui la parlent difficilement. Néanmoins, les traités importants étaient rédigés en latin. Un écrivain observe que les articles provisoires signés à Rastadt en 1714 furent rédigés en français, et que le traité définitif du 7 septembre de la même année fut rédigé en latin; il ajoute qu'en 1735 le traité provisoire conclu entre Charles VI et Louis XV fut également rédigé en français, mais que, cette fois, les droits du latin furent réservés (2). La clause de réserve, c'est-à-dire un article de non præjudicando par lequel les deux parties se prémunissent réciproquement contre les conséquences à tirer, figura à partir de cette époque en de nombreuses conventions internationales. Ainsi, pour citer un exemple déjà ancien, un article du traité de Paris, conclu en 1763, entre l'Espagne, la France, la Grande-Bretagne et le Portugal, disposa que la langue française, employée dans (1) R. DE MAULDE-LA-CLAVIÈRE, ouvrage cité, t. III, p. 194. (2) EOBALD TOZE, Kleinere Schriften historischen und statistischen Inhalts, 1791, p. 591 et suivantes : Von der Allgemeinheit der französischen Sprache. tous les exemplaires du traité, ne formerait pas un exemple pouvant porter préjudice à aucune des nations contractantes. La théorie et la pratique actuelle sont exposées par Pradier-Fodéré : En vertu du principe de l'égalité des États, chaque gouvernement est en droit de se servir exclusivement et de demander qu'on se serve avec lui d'une langue déterminée quelconque, soit celle de son pays, soit celle d'un pays étranger, dans ses relations avec les autres États, soit par écrit, soit verbales. Ordinairement, lorsque les pays ont des idiomes différents et que leurs gouvernements ne s'accordent pas sur l'usage d'une langue, chacun d'eux se sert dans ses expéditions de sa propre langue ou d'une langue quelconque en ajoutant une traduction dans la langue de l'autre gouvernement ou dans une tierce langue (1). « La confection de plusieurs instruments originaux, ajoute le savant jurisconsulte, lorsque chaque puissance intéressée persiste à employer sa langue propre pour les négociations les rend plus difficiles, enlève à la lettre des conventions la clarté et la précision qui sont si désirables... Aussi, pour éviter les inconvénients, les États ont-ils volontiers adopté dans le passé une langue tierce (). De nos jours encore le français est souvent employé et on peut citer parmi les traités conclus dans la seconde moitié du XIXe siècle le traité de Paris de 1856, le traité de Berlin de 1878, l'acte général de la conférence de Berlin de 1885, les conventions et les déclarations de la conférence de la Haye de 1899. Despagnet note une utile précaution: Pour éviter les difficultés avec les peuples barbares dont la langue est mal connue, et dont la bonne foi peut être douteuse, on stipule souvent que le seul texte qui fera autorité sera le texte rédigé dans la langue du pays civilisé ou celle d'une puissance tierce, par exemple de la France (3). » Dans la convention pour le règlement pacifique des conflits internationaux adoptée par la conférence de la Haye de 1899 figure un article aux termes duquel le tribunal arbitral décide du choix des langues dont il fera usage et dont l'emploi sera autorisé devant lui ». Dans les négociations du traité signé le 5 septembre 1905 entre le Japon et la Russie, la discussion s'est faite en quatre langues : le russe, (1) P. PRADIER-FODÉRÉ, Traité international public européen et américain, t. II, p. 455. (2) Ibid., t. II. p. 560. (3) F. DESPAGNET, Cours de droit international public, Troisième édition, 1905, p. 533. |