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pas le cas pour les adolescents. La commission n'a pas voulu exposer la conférence de Berne à un échec, mais considérant l'urgence de la suppression du travail de nuit des jeunes ouvriers », elle a invité son bureau < à saisir les sections de cette question et à la mettre en tête de son ordre du jour pour la prochaine réunion de l'association ». La commission a aussi rédigé un questionnaire, afin de diriger les travaux des sections nationales.

Il est à prévoir que cette question rencontrera une certaine opposition, notamment en ce qui concerne les industries à feu continu. C'est ainsi que l'on a déjà objecté que le remplacement des jeunes ouvriers par des adultes augmentera les prix de production, ensuite, que, dans certaines industries, telles que la verrerie, il serait presque impossible de se passer d'eux, les adolescents seuls possédant l'agilité nécessaire pour accomplir certains travaux ; enfin, qu'il y a lieu de tenir compte de l'apprentissage qui, pour être efficace, exige la présence des jeunes ouvriers à la fabrique, même la nuit.

La quatrième commission s'occupa des rapports de la législation protectrice des travailleurs avec le travail à domicile. L'étude de cette question s'impose, car un grand nombre de patrons recourent de plus en plus au travail à domicile pour échapper aux dispositions légales applicables aux ateliers. La commission décida que les sections nationales seraient chargées de préparer des enquêtes monographiques sur l'influence que les lois protectrices des travailleurs ont eu sur le développement du travail à domicile, surtout en ce qui concerne les femmes et les adolescents, ainsi que sur les abus que présente ce genre de travail, tant au point de vue de la durée du travail que de l'hygiène des ateliers.

La cinquième section eut à étudier le problème de l'application des lois nationales aux ouvriers étrangers. La loi allemande sur les accidents, de 1884, a la première fait une différence entre les nationaux et les étrangers. Des lois postérieures ont, dans d'autres pays, adopté le même point de vue. D'après la législation allemande ('), la rente de l'ouvrier étranger reste suspendue pendant tout le temps où il s'absente du territoire allemand. Il peut aussi, s'il quitte le pays sans esprit de retour, obtenir, pour solde, un capital égal à trois annuités. La loi française va plus loin, car elle impose ce remboursement à l'étranger. Quant aux ayants cause, ils n'ont droit à aucune indemnité, pas plus dans la loi

(') Les lois d'assurance contre les accidents du travail, en Allemagne, ont été modifiées par la loi du 30 juin 1900. Un texte unique en a été publié, comprenant les articles maintenus et les articles modifiés ou nouveaux.

française que dans la loi allemande, si, au moment de l'accident, ils ne résidaient pas dans le pays.

M. Feigenwetter (Bâle) présenta un rapport dans lequel il démontra que les étrangers doivent avoir les mêmes droits que les nationaux. Il estimait que l'indemnité n'est pas de l'assistance, mais qu'elle découle du contrat de travail, et que, par suite, l'assurance rentre dans le domaine du droit privé. Il y a deux sortes de droits découlant du contrat de travail, ceux qui en résultent et qui sont de droit privé et ceux qui résultent de la loi. Ces derniers sont d'ordre public, de droit public, mais il en résulte cependant des droits de nature privée. Par suite, les principes restrictifs des législations d'assurance blessent les principes du droit des gens inscrits dans les traités entre les nations, qui disent que les étrangers sont, au point de vue de leur droit privé et de leur droit d'exercer leur activité, assimilés aux nationaux (').

Les délégués allemands ne purent accepter cette conception de législation sociale. M. Caspar, délégué de l'empire allemand, déclara qu'il ne pourrait se rallier à un texte qui exprimerait une opinion semblable. D'autres, tels que MM. Millerand et R. Jay, firent remarquer que la distinction entre droit public et droit privé était trop fuyante pour servir de base à une résolution. Finalement, la commission se mit d'accord pour voter le texte suivant: Pour les droits garantis à l'ouvrier et à ses ayants cause par les législations d'assurance et de responsabilité professionnelles, il n'y a lieu d'établir aucune différence entre les bénéficiaires d'après leur nationalité, leur domicile ou leur résidence. La loi applicable doit être celle du lieu de l'entreprise pour laquelle travaille l'ouvrier. Les sections nationales ont été chargées de présenter un rapport sur les moyens d'application de ce principe avant la prochaine assemblée générale.

VIII. LA CONFÉRENCE INTERNATIONALE DE BERNE (1905).

La Conférence internationale de Berne se réunit du 8 au 17 mai 1905 (2). Une cinquantaine de délégués y assistaient, représentant tous les gou

(1) ALFASSA, article cité.

(2) La Conférence internationale à Berne pour la protection ouvrière (Revue du travail, de Belgique, 1905). ALFASSA, La législation internationale du travail. La conférence diplomatique à Berne (Bulletin de la Société d'encouragement pour l'industrie nationale, 1905).

vernements d'Europe à l'exception de la Russie, qui n'avait pas été invitée, et de la Grèce, de la Roumanie et de la Serbie, qui, bien qu'invitées, ne se firent pas représenter. Les séances de la Conférence eurent lieu à huis-clos, à la demande du délégué anglais, qui en fit une condi. tion absolue de la participation de la Grande-Bretagne.

Deux questions étaient à l'ordre du jour l'interdiction de l'emploi du phosphore blanc dans l'industrie des allumettes et l'interdiction du travail de nuit des femmes. Le but de la Conférence était, comme l'expose le projet de loi que le gouvernement français fit voter par le parlement sur le crédit aux fins d'y participer, d'établir les principes de conventions internationales sur ces matières, de réaliser entre gouvernements représentés un accord effectif susceptible de se traduire par des conventions énonçant certaines mesures identiques à introduire dans les législations intérieures ».

Les délégués agissaient au nom de leurs gouvernements, mais ceuxci se réservaient le droit de ratifier les dispositions sur lesquelles l'accord se serait établi.

La Conférence constitua deux sous-commissions, l'une pour le travail de nuit des femmes et l'autre pour le phosphore.

Dans un avant-projet qui devait servir de base à la discussion, la délégation helvétique avait proposé d'interdire la vente et le transport du phosphore blanc et d'autres produits inflammables, sauf pour des buts scientifiques et pharmaceutiques. Cette proposition souleva des cri tiques. Un des délégués allemands, M. Caspar, fit remarquer que ces questions dépassaient le programme soumis aux délibérations de la Conférence et que les délégués étaient sans instructions en ce qui les concer naient. On fut donc d'accord pour abandonner cette base de discussion. La discussion à laquelle donna lieu la question du phosphore n'en fut pas moins laborieuse. On crut même un moment que, sur ce point, l'œuvre de la Conférence resterait stérile. Les représentants de la Norvège déclarèrent que, pour l'instant, leur gouvernement était absolument opposé à l'interdiction de l'emploi du phosphore blanc. Cette déclaration provoqua des protestations à Christiania, et, sous la poussée de l'opinion publique, le gouvernement modifia les instructions qu'il avait données à ses délégués.

Une autre difficulté résulta du fait que le gouvernement fédéral suisse n'avait pas cru devoir, à raison des hostilités existant entre la Russie et le Japon, convoquer ces deux pays à participer aux travaux

de la Conférence. Le Japon est, comme on sait, un grand exportateur d'allumettes phosphorées et un concurrent sérieux pour la Hongrie, la Norvège et l'Angleterre. Le délégué de cette dernière, M. Cunningham, déclara que son gouvernement ne pouvait souscrire à la suppression de l'emploi du phosphore blanc. L'Angleterre produit surtout des allumettes sans phosphore, et lorsqu'elle fabrique des allumettes phosphorées pour l'exportation, c'est sans danger pour ses ouvriers. La Belgique fit remarquer que la réglementation très sévère qu'elle avait inaugurée, avait donné des résultats très satisfaisants. Au surplus, elle faisait remarquer, comme la Hongrie, que toute action internationale devait être subordonnée à la convocation des États intéressés. Bref, l'Autriche, la Hongrie et la Belgique subordonnèrent leur adhésion à la suppression du phosphore à celle du Japon, tandis que l'Allemagne, la France, la Hollande, le Luxembourg et la Suisse demandaient l'interdiction du phosphore sans condition.

La résolution suivante fut alors adoptée par onze États sur quinze :

ARTICLE PREMIER. A partir du 1er janvier 1911, il sera interdit d'introduire, de fabriquer ou de mettre en vente des allumettes contenant du phosphore blanc (jaune).

ART. 2. Les actes de ratification devront être déposés au plus tard le 31 décembre 1907.

ART. 3. Le gouvernement du Japon sera invité à donner son adhésion à la présente convention avant le 31 décembre 1907.

ART. 4. La mise en vigueur de la convention reste subordonnée à l'acceptation de tous les États représentés à la Conférence et du Japon.

Les quatre États qui refusèrent de se rallier à ce texte sont la GrandeBretagne, la Suède, la Norvège et le Danemark. Par contre, il y a lieu de croire que le Japon souscrira à l'interdiction de l'emploi du phosphore. Il a, du reste, l'intention d'établir le monopole de la fabrication des allumettes, et on sait, par l'exemple de la France, qu'il est fort aisé de substituer au phosphore, le sesqui-sulfure, produit dont le prix est actuellement inférieur à celui du phosphore.

La question de l'interdiction du travail de nuit, contrairement à ce que l'on attendait, ne rencontra guère d'opposition. Dès la première séance, le principe de la suppression du travail de nuit des femmes était adopté à l'unanimité.

Pour rendre l'interdiction efficace, il fallait fixer la durée du repos ininterrompu et celle de la nuit égale. Il fallait aussi que les exceptions,

grâce auxquelles il a été possible d'éluder l'application des lois dans les industries de la mode et de la couture notamment fussent supprimées.

Sans détermination d'un repos ininterrompu, il aurait été possible de fractionner le repos de telle sorte que l'interdiction demeurât illusoire. Il était donc indispensable de le faire admettre. A la commission, huit pays proposèrent douze heures; un, l'Italie, onze, et trois, dont la Belgique, dix heures. La solution transactionnelle de onze heures réunit tous les suffrages à l'exception de ceux de la Belgique et de la Norvège. A la séance suivante, les délégués belges déclarèrent cependant qu'ils étaient autorisés par leur gouvernement à donner leur adhésion au repos de onze heures à condition que, dans les États où le travail de nuit des femmes adultes n'est pas réglementé, la durée du repos nocturne des femmes, pût, pendant trois ans au plus, être limitée à dix heures. Cette proposition fut acceptée.

La durée de la nuit légale, pendant laquelle le travail est interdit aux femmes a été fixé à sept heures, de 10 heures du soir à 5 heures du matin. On voit donc que le repos ininterrompu devra nécessairement comprendre les sept heures de la nuit légale, les autres heures pouvant être ajoutées avant 10 heures du soir ou après 5 heures du matin, ou encore réparties avant et après.

On sait que dans les pays où le travail de nuit des femmes est interdit, on avait laissé subsister des exceptions permanentes pour certaines industries (usines à feu continu, pliage des journaux, etc.) ou temporaires, pour les industries saisonnières, qui, à certaines époques de l'année, subissent des périodes de presse excessive (modes). Une autre exception concernait les industries mettant en œuvre des matières périssables (poissons, fruits). C'est la seule que laissaient subsister les partisans de l'interdiction absolue du travail de nuit.

La Belgique aurait voulu que l'industrie lainière fut exclue du bénéfice de la convention et la Hongrie réclamait pour son industrie du sucre de betterave. Elles se rallièrent toutefois aux vues de l'Allemagne, de la France, des Pays-Bas et de la Suède, après avoir obtenu un délai supplé mentaire de sept années pour le peignage et la filature de la laine, les fabriques de sucre de betterave et, dans certaines conditions, pour les travaux au jour des exploitations minières.

Une dérogation fut faite en faveur des industries transformant des matières périssables. Pour les industries saisonnières, la durée du repos

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