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des Albanais, dont les parents sont soumis à l'autorité spirituelle du patriarche.

De nombreux tableaux statistiques et deux cartes ethnographiques, montrant très clairement la répartition, par cazas, des populations et des écoles de races diverses qui peuplent la « grande et la petite > Macédoine sont joints à l'étude de M. Brancoff. Ils en appuient les conclusions, favorables, cela va sans dire, à la prépondérance bulgare en Macédoine et contraires à la thèse, soutenue à Athènes, de la Macédoine hellénique.

L. L.

LA GUERRE ET LA DÉCLARATION DE GUERRE.

QUELQUES NOTES,

PAR

ERNEST NYS,

membre de la Cour permanente d'arbitrage.

I

Dans les différends qui surgissent entre les communautés politiques, la guerre, l'emploi de la force, est le moyen extrême auquel elles ont recours pour briser la volonté de leur adversaire, l'obliger à reconnaître les prétentions qu'elles élèvent et faire triompher ce qu'elles considèrent comme le droit. Telle est la description sinon la définition. On peut noter la terminologie. « Guerre, nerra, mot de basse latinité, écrit Alphonse Rivier, n'est autre chose que le mot haut allemand werra, anglais war, qui marque l'embrouillement, le pêle-mêle, l'opposition de deux adversaires. Le vieux mot germanique Urlog, que le néerlandais a conservé (oorlog), a le sens abstrait d'un jugement d'où dépend le sort des nations (1). »

La guerre se constate dans toutes les phases de la civilisation. Toutefois, il faut se garder de tomber dans l'exagération et de se représenter l'histoire comme si le meurtre et le carnage étaient l'habituelle occupation de l'humanité et comme si celle-ci était vouée à l'œuvre désordonnée de sanguinaire destruction. Dans les rapports belliqueux des peuples à l'état de nature, il y a déjà une organisation de la justice; il y a la volonté d'observer certaines règles; chez les peuples civilisés, la guerre est demeurée le moyen de faire triompher ce qu'un État considère comme une exigence conforme à la justice. On le voit, les faits contredisent la thèse vieillie des théologiens invoquant l'argument du péché et enseignant que la guerre est un châtiment que manie leur Dieu cruel.

Des écrivains se sont prononcés non seulement pour la légitimité,

(1) A. RIVIER, Principes de droit des gens, t. II, p. 202.

REVUE DE DROIT INT. - 37 ANNÉE.

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mais pour le rôle civilisateur de la guerre; ils ont célébré ses avantages, ils ont glorifié ses bienfaits; ils l'ont montrée développant en l'homme le courage, la fidélité au devoir, l'esprit de sacrifice et préservant les peuples de l'irrémédiable décadence. Joseph de Maistre proclame la guerre divine en elle-même parce qu'elle est une loi du monde ; Pierre-Joseph Proudhon la décrit comme la révélation de l'idéal et la discipline de l'humanité ». Ce sont autant de phrases malsaines. La justification utilitaire qui est tirée de la nécessité pour la civilisation moderne de se protéger contre les agressions de races belliqueuses, plaide en faveur non de la guerre elle-même, mais des préparatifs et des armements; elle tend à prouver que les États doivent être prêts à se défendre et non qu'ils doivent se jeter brutalement les uns sur les autres.

Dans le monde contemporain, un argument nouveau est invoqué : c'est la guerre se conformant en fin de compte à une loi de nature qui régit tous les êtres et qui rend inévitable une lutte violente; il s'appuie sur l'autorité scientifique de Charles Darwin. Mais comme le montre un penseur, Pierre Kropotkin, les théories de Charles Darwin sont mal interprétées quand on se figure qu'une lutte violente pour les moyens d'existence entre les membres de la même espèce est nécessaire en vue d'accentuer les variations et de développer des espèces nouvelles; en réalité, la lutte pour l'existence, le struggle for life a un sens plus large et plus profond; Darwin proclame que de l'instinct social et de l'instinct individuel c'est le premier qui est le plus persistant et le plus constamment appliqué les groupes agissent comme un tout luttant contre les conditions adverses ou contre quelque ennemi, grâce à l'appui mutuel. « L'instinct de l'entr'aide, dit Pierre Kropotkin, pénètre le monde animal parce que la sélection naturelle travaille pour le maintenir et pour le développer et détruit sans pitié les espèces qui le perdent. Dans la grande lutte, ajoutet-il, que chaque espèce animale mène contre l'action hostile du climat, du voisinage, des ennemis grands et petits, les espèces qui appliquent le mieux le principe de l'assistance mutuelle ont le plus de chance de survivre, tandis que les autres s'éteignent. Et le même principe est confirmé par l'histoire de l'humanité (1). :

(1) P. KROPOTKIN, The morality of nature. t. LVII (1905), p. 415.

The nineteenth century and after,

C'est une erreur de croire que la haine et le carnage soient à la base des institutions humaines.

Les primitifs ne s'adonnent pas aux massacres continuels (1). Sans doute, la vengeance du sang mène à de cruels combats, mais, même chez les plus primitifs, les luttes sont moins fréquentes et moins terribles qu'on se le figure généralement. « La vie du sauvage, dit Pierre Kropotkin, est dominée par les liens multiples de la tribu et par l'infinie série de règles coutumières (2). »

Chez les barbares, ce n'est nullement la cruauté qui inspire et qui domine. Loin d'être les animaux batailleurs auxquels on les a si souvent comparés, écrit l'auteur que nous venons de citer, les barbares des premiers siècles de notre ère (comme les Mongols, les Africains, les Arabes, qui, de nos jours encore, sont au même degré de civilisation) constamment préféraient la paix à la guerre. A l'exception d'un petit nombre de tribus qui, pendant les grandes migrations, avaient été poussées vers des déserts ou des montagnes et étaient obligées de chercher périodiquement du butin chez des voisins mieux lotis, la masse des Teutons, des Saxons, des Celtes, des Slaves, peu après leur établissement dans leurs nouveaux territoires, retourna à l'élevage des troupeaux ou au labourage. Les premières lois barbares nous représentent des sociétés composées de paisibles communautés agricoles et non des hordes toujours en guerre les unes avec les autres (3). D

II

Les notions qui existent actuellement dans la société des États concernant le droit de guerre dérivent notamment de l'antiquité romaine, du christianisme et des pratiques des différents peuples de F'Europe médiévale.

Les maximes juridiques de Rome ne cessèrent d'être affirmées par les jurisconsultes et ceux-ci eurent le mérite d'imposer la règle d'après laquelle l'autorité souveraine seule peut décider et faire la guerre. Les préceptes d'humanité et de douceur furent empruntés à des philosophes païens et à des penseurs chrétiens. Diverses institutions, enfin,

(1) P. KROPOTKIN, Mutual aid. A factor of evolution, 1902, p. 88.

(*) Ibid., p. 108.

(3) Ibid., p. 154.

furent la continuation et la transformation d'institutions anciennes des peuples que les migrations avaient amenés sur le sol européen. En même temps, dans ce monde intelligible que la philosophie grecque oppose au monde sensible, se manifestèrent des courants d'idées à côté de la notion, fertile en conséquences, d'après laquelle la guerre est une forme de la politique, se placèrent des théories qui la dénoncèrent comme mauvaise en soi et comme illicite de manière absolue.

Dans tous les pays où il parvint à s'organiser, le pouvoir central eut soin de s'assurer par les troupes soldées, auxquelles s'imposait une rigoureuse discipline, un instrument à la fois de défense et de domination. Il s'arrogea le droit exclusif de guerre et il combattit de toutes ses forces le prétendu droit de guerre privée. Il finit par triompher; la seule guerre fut désormais la guerre publique; mais, déjà, la guerre publique avait subi l'influence de la guerre privée et elle lui avait emprunté plus d'un usage et plus d'une règle.

Le droit de guerre privée, la Faida, le Fehderecht ou Faustrecht, la ‹ faide », la ‹ poignie », le « droit du poing», occupe une place importante dans les institutions juridiques. Il a deux faces on peut le considérer au point de vue pénal qui, au moyen âge, n'est point dégagé encore du droit privé; on peut l'envisager au point de vue du droit politique. Dans l'une et l'autre manifestation, il se rattache à la vengeance du sang ou, pour être exact, aux limites mises à l'exercice de la vengeance du sang par la communauté ou par les chefs qu'elle reconnaît. Les restrictions elles-mêmes se rapportent aux ennemis : l'application de la vengeance, qui est d'abord illimitée, se borne au coupable; elles se rapportent aussi à des endroits, à des jours et à des périodes de l'année, à des catégories de personnes que vient protéger contre la vindicte la paix du pays ou la paix du roi (1). Quand domine le christianisme, l'Église établit la paix ou la trêve de Dieu; elle suspend les hostilités à certaines époques et elle accorde de nombreuses immunités.

Aux premiers âges de la civilisation médiévale, guerre particulière et guerre publique se confondent, ou plutôt il n'y a point moyen de tracer une ligne de démarcation entre la querelle privée et la guerre. Nations ou tribus, a-t-on écrit, peuvent faire la guerre pour les

(1) M. KOVALEWSKY, Coutume contemporaine et loi ancienne. Droit coutumier ossétien éclairé par l'histoire comparée, p. 241 et p. 263,

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