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61443

DE

DROIT INTERNATIONAL

ET DE

LÉGISLATION COMPARÉE.

DE L'AUTORITÉ ET DE L'EXÉCUTION
DES JUGEMENTS ÉTRANGERS EN FRANCE ('),

PAR

P. de PAEPE,

Conseiller honoraire à la Cour de cassation de Belgique, Membre de la Commission permanente instituée par le gouvernement pour l'examen des questions de droit international privé.

Premier article.

SOMMAIRE :

1. L'article 121 de l'ordonnance de 1629 formule, pour l'exécution des jugements étrangers, les règles suivies par l'ancienne jurisprudence française.

2. Malgré la généralité de ses termes, cette disposition ne fut pas appliquée au cas où le Français avait été demandeur.

(1) Cette étude est détachée d'un ouvrage que nous nous proposons de publier sur L'autorité et l'exécution des jugements étrangers en France et en Belgique, et notamment d'après la Convention franco-belge du 8 juillet 1899.

Cet ouvrage comprendra cinq études : la première traitera De l'autorité et de l'exécution des jugements étrangers, suivant la législation française; la deuxième, De l'autorité et de l'exécution des jugements étrangers, suivant les conventions diplomatiques conclues par la France avec diverses puissances; la troisième, De l'autorité et de l'exécution des jugements étrangers, suivant la loi belge du 25 mars 1876; la quatrième, De l'autorité et de l'exécution, en France et en Belgique, des actes authentiques passés en pays étranger, et la cinquième, De l'autorité et de l'exécution, en France et en Belgique, des jugements rendus et des actes authentiques passés en pays étranger, suivant la convention franco-belge du 8 juillet 1899.

La troisième et la cinquième études ont déjà été publiées par la Belgique judiciaire, 1904, col. 449-464, 513-528, 609-624, 689-704, 801-811, 1105-1120, 1233-1248, 1409-1419, 1425-1433.

3. Elle ne l'était pas non plus aux jugements étrangers rendus entre étrangers.

4. Ni aux jugements concernant leur état.

5. Sens attribué à l'article 121 de l'ordonnance de 1629 par la Cour de cassation, dans son arrêt du 18 pluviose an XII.

6. Les articles 2123 et 2128 du code civil et l'article 546 du code de procédure civile ont-ils abrogé l'article 121 de l'ordonnance de 1629?

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7. La Cour de cassation décida d'abord que ces articles devaient se combiner avec l'article 121 de ordonnance de 1629.

8. Plus tard, elle décida que cet article est entièrement abrogé.

9. C'est ce qui est généralement admis aujourd'hui par la jurisprudence.

10. Et par la doctrine.

II. Plusieurs auteurs reconnaissent aux jugements étrangers, quant aux intérêts priyés, l'autorité de la chose jugée. Critique de leur opinion.

12. D'autres ne soumettent à la revision du fond que les jugements étrangers rendus contre des Français. Les dispositions générales de la loi n'autorisent pas cette distinction. 13. Les jugements étrangers intervenus entre étrangers peuvent être rendus exécutoires en France comme les autres jugements étrangers.

14. Doivent-ils être préalablement revisés au fond?

15. La demande d'exequatur doit être soumise à un tribunal civil d'arrondissement, quel que soit le degré de juridiction qui a rendu le jugement étranger, à moins de disposition contraire dans les traités.

16. Quel est le tribunal civil compétent?

17. La demande d'exequatur doit s'introduire par voie d'ajournement.

18. Même quand le jugement étranger a été rendu sur simple requête.

19. Critique de la jurisprudence et de la doctrine qui admettent que dans ce cas la demande d'exequatur peut être faite en France par requête.

1. Sous l'ancienne jurisprudence, tous les sujets du roi lui appartenaient, ils n'étaient justiciables que de sa justice: ils ne pouvaient se présenter devant une justice étrangère ni comme demandeurs ni comme défendeurs. L'administration de la justice était une source de profits pour le roi (1).

Aussi, les jugements prononcés en pays étranger contre des Français étaient inexistants à leur égard; ils étaient admis à débattre de nouveau leurs droits devant les tribunaux français.

D'Espeisses (2) rapporte que « par arrêt du parlement de Paris du 21 mai 1585, il fut jugé qu'un arrêt obtenu par des savoyards du Sénat de Turin ne pouvait pas être exécuté sur certains biens situés en la campagne, sauf à eux à intenter de nouveau procès en France touchant les biens assis en France ».

(1) Voir nos Études sur la compétence civile à l'égard des étrangers. Première étude,

n° 8.

(2) Traite de l'ordre judiciaire observé ès causes civiles, titre XI, section III, no 13.

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C'est ce système généralement suivi que consacre l'article 121 de l'ordonnance de 1629. Et il continua à l'être, bien que cette ordonnance, appelée Code Michaud, œuvre du chancelier Michel de Marillac, fût vue avec défaveur. La plupart des parlements refusèrent de l'enregistrer (1).

Conformément au droit antérieur, elle dispose à l'article 121 : « Les jugements rendus, contrats ou obligations reçues ès royaumes et souverainetés étrangères pour quelque cause que ce soit, n'auront aucune hypothèque ni exécution en notre dit royaume, ainsi tiendront les contrats lieu de simples promesses et nonobstant les jugements, nos sujets contre lesquels ils auront été prononcés pourront de nouveau débattre leurs droits comme entiers devant nos officiers (2). D

Remarquons tout d'abord que cette disposition ne défend qu'en faveur des Français l'exécution des jugements étrangers, que les jugements obtenus par eux à l'étranger contre des étrangers pouvaient être rendus exécutoires en France par de simples pareatis, que les parlements accordaient sans examen préalable de la cause (3).

Les jugements étrangers prononcés contre des Français étaient inexistants, même quand ceux-ci les avaient provoqués comme demandeurs.

Le parlement de Paris se prononça dans ce sens par un arrêt du 17 janvier 1630 (4). Talon avait remontré que les Français ne pouvaient être attirés à plaider hors le royaume; que le roi avait notable intérêt qu'ils ne fussent distraits de leurs juges ordinaires pour aller en terre étrangère demander ou attendre la justice, et qu'en ce point il les avait toujours pris en sa protection ».

Merlin (5) cite plusieurs autres arrêts pour prouver que telle était la jurisprudence.

2. Cependant, malgré les termes de l'ordonnance, ne faisant aucune distinction entre le cas où le Français avait été attrait comme défendeur devant la juridiction étrangère et le cas où, comme demandeur, il l'avait

(1) Voir, sur l'ordonnance de 1629, LAINÉ. Considérations sur l'exécution forcée des jugements étrangers en France (Revue critique de législation et de jurisprudence. Nouvelle série, t. XXXIII, 1904, p. 88 et suiv.).

(2) ISAMBERT, Recueil général des anciennes lois françaises, t. XVI, p. 262.

(3) Voir notre Troisième étude traitant de la compétence civile à l'égard des étrangers, no 4; MERLIN, Répertoire de jurisprudence, vo Jugement, no 8.

(4) Journal des audiences, t. I, liv. II, chap. LXI.

(5) Questions de droit, vo Jugement, § XIV.

saisie lui-même, on a cherché, avec l'affaiblissement des idées féodales qui enchaînaient les Français à la justice de leur seigneur ou du roi, sous l'influence du droit des gens et des nécessités du commerce, à en restreindre l'application au Français défendeur (1).

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Ainsi, d'Aguesseau (2) se demande, lorsque ce sont des Français qui attaquent des étrangers, a comment peuvent-ils s'exempter de subir la loi commune de toutes les nations, c'est-à-dire cette règle du droit des gens, plutôt que de droit civil, qui oblige le demandeur à suivre la juridiction du défendeur? Mais si d'Aguesseau admet que les Français peuvent poursuivre les étrangers devant les tribunaux étrangers, il ne leur permet point de s'y laisser traduire. « C'est, dit-il (3), une maxime inviolable qu'un Français ne peut jamais être traduit ni en première instance, ni même par appel, devant un juge étranger. En vain, voudrait-il lui-même y donner son consentement. La loi réclamerait pour lui contre lui-même, et vous ne lui permettriez pas de violer cette partie de l'ordre public qui regarde l'utilité commune de l'Etat et non pas seulement l'avantage des particuliers. »

C'est ce que soutient aussi Emerigon (4) dans un langage moins oratoire « Nous avons beau dire que les Français ne sont justiciables que des juges de France. Lorsqu'on est demandeur et que l'étranger n'a aucun bien dans le royaume, on est forcé de le poursuivre chez lui. Il y a nécessité d'en passer par là, dit Valin (5). »

Et Boullenois, qui refuse force de loi à l'ordonnance de 1629 (*), s'exprime ainsi : « Quand donc quelques-uns de nos auteurs disent que les jugements des pays étrangers ne s'exécutent pas en France et qu'il faut venir par nouvelle action, cela est vrai indistinctement dans les matières réelles; cela est encore vrai en matière personnelle, quand le Français est défendeur, qu'il n'a point contracté dans le pays, ni promis

(1) Voir notre Première étude, no 8.

(2) Euvres. Paris, 1789, t. V, p. 53. (3) Voir p. 87.

(4) Traité des assurances, chap. IV, section VIII, t. I, p. 123, 124, 126.

(5) Dans le passage auquel Emerigon fait allusion, Valin dit : « Comme les Anglais n'assurent jamais que la prime ne leur soit payée d'avance, et qu'ainsi n'ayant à plaider qu'en défendant, il faut se pourvoir contre eux dans leur pays, ils se prévalent alors de leurs lois, lorsqu'ils y trouvent leur avantage, et il y a nécessité de passer par là. (Nouveau commentaire de l'ordonnance de la marine, livre III, titre VI, art. 1er in fine, t. II, p. 28.)

(6) Traité des statuts personnels et réels, titre II, chap. IV, obs. XXV, t. I, p. 646.

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