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LA PROTECTION DU TITRE D'INGÉNIEUR

PAR LA LOI AUTRICHIENNE,

PAR

M. GUSTAVE DE ROSZKOWSKI,

Député.

Professeur à l'Université de Léopol,

Membre de l'Institut de droit international.

En Autriche, les techniciens ont, depuis longtemps, insisté, dans la littérature, dans les décisions de leurs congrès et réunions, ainsi que dans les pétitions qu'ils ont adressées au parlement, sur la nécessité de leur permettre d'acquérir, à raison de leurs études scientifiques spéciales, le doctorat en sciences techniques, et de leur attribuer, comme preuve de l'achèvement de leurs études techniques à l'école polytechnique, le titre d'« ingénieur ». Par ce titre, les techniciens qui ont reçu une éducation spéciale dans les écoles polytechniques veulent se distinguer des industriels qui n'ont pas acquis de connaissances spéciales dans leur branche.

Le premier de ces vœux a été satisfait par l'ordonnance du ministre de l'instruction publique et des cultes, du 13 avril 1901 (R. G. Bl., no 38), aux termes de laquelle les écoles polytechniques d'Autriche ont le droit de délivrer des diplômes de docteur en sciences techniques à ceux qui y ont achevé leurs études et subi les examens spéciaux.

La réalisation du second desideratum indiqué ci-dessus fait l'objet du projet de loi déposé par le gouvernement actuel et soumis en ce moment aux débats du parlement autrichien.

Il faut cependant faire observer que, tandis que l'ordonnance ministérielle mentionnée plus haut s'applique exclusivement aux écoles polytechniques, le projet de loi en question se rapporte à toutes les écoles supérieures techniques d'Autriche. Ce projet de loi a pour but de compléter les statuts des écoles polytechniques, des écoles des mines, de l'académie agricole de Vienne et de la section agricole de l'université de Cracovie, par une série de dispositions, aux termes desquelles les

étudiants de ces écoles, qui y ont achevé leurs études et subi les examens prescrits, obtiendront le titre d'« ingénieur ».

C'est la première fois que l'attribution de ce titre sera réglée par la loi en Autriche. Jusqu'à présent, ce titre a été en usage, mais aucun texte légal ne déterminait les personnes autorisées à le porter. La conséquence de cette situation est que ce titre a été assumé non seulement par ceux qui ont suivi les cours d'une école technique supérieure, mais aussi par ceux qui n'ont fait que de simples études moyennes, et même par des gens qui n'ont fréquenté aucune école, mais qui, par expérience ou empirisme, ont acquis une certaine connaissance pratique de leur métier. Il en est résulté des abus. Les techniciens qui ont reçu une éducation supérieure se sont sentis atteints dans la dignité de leur profession, et, d'autre part, il n'est pas facile pour le public de distinguer ceux qui ont fait leurs études dans une académie de ceux qui n'ont fréquenté aucune école. Il en est résulté que les industriels qui ont acquis une éducation supérieure ont non seulement éprouvé des pertes pécuniaires dans l'exercice de leur profession, mais qu'ils ont, en outre, été forcés de partager, dans une certaine mesure, la responsabilité découlant de l'exécution de travaux techniques par ceux de leurs collègues qui portent comme eux le titre d'ingénieur », quoiqu'ils n'aient reçu aucune instruction spéciale. Ces derniers assument, par esprit de lucre, l'exécution de travaux techniques parfois très difficiles, qu'ils effectuent mal et quelquefois même en exposant des vies humaines à un danger sérieux. Le public pourrait donc être amené à se faire une opinion défavorable de l'habileté des ingénieurs du pays. De là, la nécessité de distinguer, à l'aide du titre d'ingénieur protégé par la loi, les techniciens jouissant d'une instruction supérieure.

Une loi est encore nécessaire pour des motifs d'intérêt public. Il y a beaucoup de travaux techniques qui doivent être exécutés avec solidité et une grande exactitude, en vue de garantir la sécurité du public, et il faut que ce dernier puisse savoir quelles personnes sont capables de lui donner tous ses apaisements.

Le désir des techuiciens de voir leur activité professionnelle protégée par la loi, au même titre que celle des juristes, médecins, etc., est fondé. Ils espèrent ainsi non seulement gagner l'estime due à l'homme qui a acquis une instruction sérieuse, mais aussi avoir la garantie que leur travail professionnel ne subira pas de pertes par suite d'une concurrence déloyale et injustifiée.

A l'étranger, le titre d'ingénieur est, dans beaucoup d'États, conféré par les écoles supérieures techniques et protégé par la loi. Les techniciens autrichiens qui, au point de vue de la capacité professionnelle, n'occupent pas un rang inférieur à celui des ingénieurs allemands, français, etc., se trouveront dans une situation désavantageuse aussi longtemps qu'il n'en sera pas de même en Autriche.

Pour tous ces motifs, le gouvernement a présenté au parlement un projet de loi en vue de régler la question.

Le titre d'ingénieur aura un double caractère. Il constituera d'abord un titre scientifique, car il ne sera accordé qu'aux étudiants des écoles polytechniques supérieures, des écoles des mines, d'agriculture et forestières qui auront régulièrement achevé leurs études et subi les examens prescrits. Il sera ensuite un moyen de reconnaître les techniciens qui ont acquis une instruction professionnelle, ce qui sera, pour ceux qui l'auront obtenu, d'une grande importance pratique.

Ce que le projet de loi en question veut introduire en Autriche existe déjà depuis longtemps dans d'autres pays. Dans l'ouest et le sud de l'Europe, en Allemagne et même en Russie, le titre d'ingénieur et autres analogues sont déjà depuis longtemps attribués aux techniciens qui ont fait leurs études dans les écoles techniques supérieures.

En France, les titres suivants sont en usage: ingénieur des ponts et chaussées, ingénieur des mines, ingénieur mécanicien, ingénieur technologue, ingénieur architecte, ingénieur agronome, ingénieur forestier.

En Allemagne Bauingenieur, Vermessungsingenieur, Hütteningenieur, Maschineningenieur, Bergingenieur, Electroingenieur, Fabrikingenieur, Architekt. En Prusse, le titre de Diplomingenieur est en usage en vertu de l'ordonnance du 10 octobre 1899. Des titres analogues sont aussi accordés en Russie.

La différence entre tous ces titres et le titre d'ingénieur qui sera introduit en Autriche par le projet de loi en question, consiste en ce que :

1 En Autriche, ce titre sera seulement accordé à ceux qui sortiront de l'école supérieure polytechnique ou des écoles des mines ou d'agriculture; les étudiants des écoles moyennes n'auront pas, en principe, le droit de porter ce titre, comme c'est le cas dans quelques pays étrangers;

2 En Autriche, la loi en question introduira le titre d'ingénieur », sans préciser la spécialité professionnelle, sauf en ce qui concerne le titre d'ingénieur agricole, forestier et de culture.

Le titre d'architecte n'est pas contenu dans le projet de loi, car il désigne plutôt une qualification esthétique que technique.

C'est avec beaucoup de raison que les titres proposés dans la littérature technique, tels que Bauleiter, Hoch-, Tief-Maschinenbauleiter, geprüfter Ingenieur, Technologe, etc., n'ont pas été adoptés par le projet autrichien. Il ne serait pas utile de mettre en usage des titres qui ne sont pas fort connus dans la littérature ou dans la vie sociale, ou qui ne sont pas assez intelligibles, et qui, sans un commentaire, ne seraient pas clairs.

Il reste une question à résoudre : est-il nécessaire d'introduire pour les techniciens instruits, pour ceux qui ont suivi les cours des écoles supérieures, le titre d'ingénieur », étant donné qu'ils ont déjà le droit d'obtenir le diplôme de docteur en sciences techniques?

Après un examen sérieux de la question, on acquiert la conviction que ce dernier titre ne rend pas celui d'ingénieur superflu, car:

1o Le titre d'ingénieur sera accordé à tous ceux qui auront achevé régulièrement leurs études techniques à l'école supérieure et qui auront subi les examens prescrits; le doctorat ne sera attribué qu'à ceux qui auront fait des études scientifiques spéciales;

2 Si le titre d'ingénieur n'était pas la caractéristique d'une instruction supérieure technique, celui de docteur devrait l'être, et il s'ensuivrait que ce dernier perdrait sa haute signification scientifique. Le titre d'ingénieur » est donc nécessaire pour ne pas diminuer l'importance de celui de docteur.

Le gouvernement a pris l'initiative dans la question de la protection du titre d'ingénieur » par la loi. Le projet de loi a été présenté par le gouvernement au Sénat (Herrenhaus des Reichsrathes), qui l'a accepté avec quelques amendements de détail. Le projet fait actuellement l'objet des débats de la Chambre des députés.

La commission pour l'instruction publique de cette dernière Chambre a, en 1901, adopté le texte suivant :

$ 1.

Sont autorisés à porter le titre d'ingénieur », ceux qui ont régulièrement achevé leurs études dans une école polytechnique du pays et qui ont subi les examens prescrits avec succès.

La même autorisation sera accordée à ceux qui ont achevé leurs

études à l'académie des sciences de Leoben ou de Przibram et qui ont subi les examens prescrits.

Les étudiants de l'académie d'agriculture de Vienne qui ont régulièrement achevé leurs études et subi les examens prescrits recevront, selon la section de l'école à laquelle ils appartiennent, le titre d'ingénieur agricole (Ingenieur der Landwirtschaft), ingénieur forestier (Ingenieur der Forstwirtschaft), ingénieur technique de culture (Ingenieur der Culturtechnik). Dans les mêmes conditions, seront autorisés à porter le titre d'ingénieur technique de culture (Ingenieur der Culturtechnik) ceux qui auront terminé leurs études à la section technique de culture des écoles polytechniques (an technischen Hochschulen bestehenden culturtechnischen Curse), et les étudiants de la section d'agriculture de l'université de Cracovie seront autorisés à porter le titre. d'ingénieur agricole » (Ingenieur der Landwirtschaft).

§ 2.

Ceux qui ont achevé leurs études dans une école technique supérieure, antérieurement à l'ordonnance du 12 juillet 1878 concernant les examens prescrits pour ces écoles, ainsi que ceux qui ont terminé leurs études à l'académie des mines de Leoben ou à Przibram avant que les examens prescrits y aient été introduits, seront autorisés à porter le titre d'ingénieur s'ils sont en état d'établir qu'ils ont achevé leurs études et subi régulièrement les examens selon l'organisation en vigueur à cette époque. Dans les mêmes conditions, la dite autorisation sera aussi accordée à ceux : 1° qui ont achevé leurs études dans une école technique qui existait avant la création des écoles polytechniques actuelles, si l'ancienne école était du même rang que l'école polytechnique; 2o ceux qui ont fini leurs études dans une des écoles des mines qui existaient autrefois à Vordernberg, à Leoben et à Przibram, ainsi qu'à l'académie des mines de Chemnitz.

L'autorisation de porter le titre d'ingénieur forestier sera accordée aux anciens élèves de l'académie forestière de Mariabrünn, s'ils ont subi avec succès les examens prescrits par l'ordonnance du 7 août 1868.

$ 3.

Le ministre des cultes et de l'instruction publique ainsi que le ministre de l'agriculture peuvent dispenser de l'obligation de présenter

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