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lui prêter leur concours. Par contre, en adoptant les articles 10, 11 et 12 de l'Acte de Berlin et les articles 25 et 33 de l'acte de navigation du Congo et du Niger, les puissances signataires ont fait connaître d'une façon suffisamment significative quel intérêt elles ont à ce que tout le bassin conventionnel du Congo reste libre en temps de guerre et à ce que, même en temps de guerre, le trafic commercial sur le Congo et ses dépendances ne soit ni arrêté ni entravé. On peut donc s'attendre à ce que la neutralité de l'État du Congo et du bassin conventionnel du Congo, ainsi que des deux fleuves, restera permanente, et que si l'une des puissances signataires menaçait ou violait elle-même cette neutralité, les autres interviendraient pour son maintien. Si donc la neutralité de l'État du Congo n'est pas conventionnellement garantie, comme par exemple celle de la Belgique, il existe pourtant une très importante garantie de fait dans la circonstance que tout au moins la plupart des puissances signataires ont le plus grand intérêt au maintien de cette neutralité, ne fût-ce que parce que, en définitive, l'existence de l'État du Congo dépend de ce que sa neutralité ne soit d'aucun côté sérieusement menacée ou violée. Que le maintien de l'État du Congo, comme le maintien des dispositions de l'Acte de Berlin soient dans l'intérêt commun des États appartenant à la société internationale, c'est ce qui est mis en lumière aussi bien par l'Acte de Berlin que par la reconnaissance inconditionnée de l'État du Congo par les puissances signataires.

Le but de la Conférence de Berlin était de soustraire l'Afrique centrale à l'exploitation économique unilatérale d'États isolés et de créer les bases pour l'ouverture graduelle de ce vaste territoire à la civilisation, en même temps que l'existence de l'État du Congo avait cette portée de prévenir des conflits ultérieurs entre les puissances coloniales intéressées au Congo, et de donner au territoire en question la possibilité d'une colonisation plus rapide que n'aurait été le cas si on l'avait partagé entre diverses puissances coloniales. Tous ces avantages, la disparition de l'État du Congo les remettrait en question. Il n'est donc pas à craindre que les attaques qui depuis quelques années sont dirigées dans la presse et même dans les parlements contre l'État du Congo deviennent pour lui un danger, car même si l'une ou l'autre des puissances signataires n'avait plus intérêt au maintien de l'État du Congo, cet intérêt n'en deviendrait que plus puissant pour les autres.

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Grâce à une série d'inventions mécaniques, dont la vapeur ne tarda pas à redoubler l'efficacité, l'industrie textile subit, à la fin du XVIIIe siècle, une transformation radicale en Angleterre. La production augmenta dans de fortes proportions et l'industrie prit un essor énorme, mais ce ne fut pas sans causer la ruine de la classe des artisans, incapables de lutter contre les procédés nouveaux. De nombreuses fabriques s'établirent, vers lesquelles les ouvriers affluèrent, attirés par des salaires élevés. Le commerce extérieur prit de l'extension; il exigea des efforts de travail plus prolongés et bientôt les établissements restèrent ouverts jour et nuit. Mais la concurrence amena une réduction des profits, et les industriels cherchèrent à diminuer le prix de leurs produits en abaissant les salaires et en utilisant une main-d'œuvre peu coûteuse. Ils enrôlèrent donc des femmes et des enfants, ce qui leur fut d'autant plus facile que l'usage de machines perfectionnées réduisait l'intervention de l'ouvrier à un rôle secondaire.

Mais l'emploi de ces personnes, qui étaient soumises à un travail excessif dans des conditions d'hygiène déplorables, ne tarda pas à engendrer des maux qui soulevèrent des protestations. Les excès du

laisser faire compromettaient la vie et la santé des femmes et des enfants et menaçaient l'avenir même de la race. Ce n'est pas seulement en Angleterre que se manifesta cet état de choses. Les mêmes conséquences se firent jour sur le continent, à mesure que l'industrie y prit

de l'extension. Les pouvoirs publics furent donc obligés d'intervenir. En Angleterre, la législation ouvrière fut inaugurée en 1802 par une loi sur le travail des enfants; en France, ce fut en 1841 par une loi sur le même objet; en Prusse, la lecture d'un rapport militaire constatant que les districts manufacturiers n'étaient pas à même de fournir leur contingent de recrues, décida Frédéric-Guillaume IV à promulguer la loi sur les fabriques de 1839. Ces premières mesures furent, à des intervalles plus ou moins longs, suivies de nouvelles réglementations; les autres États entrèrent dans la même voie, et ainsi s'élabora lentement, au cours du siècle dernier, la législation protectrice du travail.

L'uniformité des procédés industriels modernes a créé partout des conditions de travail identiques. Les pays industriels ont donc été amenés à légiférer sur les mêmes objets, et on peut dire que, bien souvent, les diverses législations ne sont séparées que par des différences de détail. C'est à faire disparaître celles-ci que se sont employés les promoteurs de l'unification des lois protectrices du travail.

La crainte de la concurrence étrangère a été, dans tous les pays, la pierre d'achoppement de la législation ouvrière. Les industriels ont toujours représenté les charges et les entraves qui en découlent comme autant d'avantages indirects conférés, sur le marché international, aux nations exemptes des mêmes réglementations. On ne peut nier que cette objection ne soit sérieuse. Le désir de dégager la législation du travail de cet obstacle fit naître chez les philanthropes, qui s'étaient émus des souffrances des classes laborieuses et qui cherchaient à y remédier, l'idée d'unifier les conditions du travail par voie de conventions internationales la législation devenant la même partout, les concurrents de tous les pays se trouveraient placés sur un pied d'égalité.

C'est du milieu des industriels que sortirent les premiers partisans de l'internationalisation des lois protectrices des travailleurs. Un nom surtout s'impose à l'attention. C'est celui d'un industriel alsacien, Daniel Legrand. Dans les Appels qu'il adressa aux nations industrielles, il fut le premier qui proposa formellement aux gouvernements de s'entendre sur l'établissement d'une législation internationale du travail. Mais sa voix ne devait pas rencontrer plus d'écho que ne l'avait fait celle de Robert Owen, quand, en 1818, il attirait l'attention des puissances réunies à Aix-la-Chapelle sur la condition malheureuse à laquelle l'industrie moderne avait réduit les populations ouvrières.

La tâche de réaliser l'unification des lois protectrices des travailleurs

serait probablement restée trop lourde pour la philanthropie seule. Il fallut qu'une impulsion, inspirée par des motifs d'intérêt, lui vint en aide. Elle partit des rangs mêmes de ceux qui se montraient les adversaires les plus ardents de la réglementation de l'industrie sur le terrain national. C'est en Suisse qu'on observe pour la première fois cette attitude. Des industriels du canton de Glarus, craignant que les règlements qui leur avaient été imposés dans l'intérêt de la classe ouvrière ne diminuent leur capacité de concurrence et ne leur fasse du tort sur le marché international, insistèrent auprès de leur gouvernement pour qu'il proposât aux autres cantons industriels, dans le but d'égaliser les chances, de se mettre d'accord sur l'application d'une législation commune. Le gouvernement le fit, mais cet essai d'entente intercantonale n'aboutit pas.

Les pays qui possèdent une législation protectrice du travail ont tout intérêt à préconiser et à encourager les ententes internationales. Des conventions de ce genre leur fournissent le moyen de mettre fin à l'opposition des industriels à la législation nationale, tout en maintenant la capacité de concurrence de leurs industries; elles leur permettent aussi, sans crainte de nuire à ces dernières, de remplir envers leurs populations le devoir de conservation et de protection qui, dans les conditions actuelles de l'industrie, s'impose à leur sollicitude plus impérieusement que jamais.

C'est à partir de 1870 que l'idée de l'internationalisation des lois protectrices du travail a fait de rapides progrès. L'unification de l'Allemagne permit de grouper tous les efforts dans ce pays, en même temps qu'elle créait un pouvoir central assez fort pour pouvoir, le cas échéant, poursuivre l'action préconisée. C'est toutefois en Suisse que l'on vit se produire les premiers efforts pour donner une suite pratique aux projets d'unification des lois protectrices des travailleurs. Les tentatives officielles ne furent cependant pas heureuses. Celles de la Suisse échouèrent, et les résultats de la Conférence de Berlin, qui supplanta celle que la Suisse avait, après bien des déboires, réussi à convoquer à Berne, furent loin de répondre aux espérances qu'on avait fondées sur elle. Il était réservé à l'initiative privée et à l'Association internationale pour la protection légale des travailleurs, créée par elle, de mener enfin l'idée dans la voie de la réalisation. Il est vrai que dans l'intervalle qui sépare ces divers événements, les idées avaient fait des progrès. Les gouvernements s'étaient de plus en plus engagés dans l'édification d'une

législation ouvrière, et l'opinion publique avait pu mieux se convaincre de la nécessité des ententes internationales. Aussi, la proposition de la Suisse de réunir une conférence à Berne en 1905 ne pouvait-elle. manquer d'être accueillie avec bienveillance.

Les conventions internationales sont appelées à remplir un rôle hantement humanitaire. Elles assureront le maintien des mesures déjà acquises dans certains États et en feront bénéficier les ouvriers d'autres pays. Elles permettront ensuite aux nations les plus progressives d'apporter de nouveaux perfectionnements à leurs lois. Il ne faut pas, en effet, que ces dernières attendent que les autres soient décidées à les suivre pour entreprendre de nouvelles réformes. La supériorité de leurs ressources et de leur prospérité leur permettra toujours de supporter des charges plus lourdes que leurs concurrentes moins bien outillées. Tout ce qui doit leur importer, c'est d'avoir la certitude que l'ensemble des mesures protectrices qui, étant données les circonstances, constituent un minimum dont personne ne peut contester la légitimité, sera observé dans tous les pays industriels, et que, par suite, la sollicitude qu'elles témoignent à leurs classes ouvrières ne créera pas pour elles des charges telles que leurs industries aient à souffrir dans la lutte internationale. Il appartient, d'autre part, aux intéressés, aidés des économistes clairvoyants et des philanthropes, de faire progresser les législations nationales et de préparer l'opinion publique de manière à rendre les ententes internationales sur de nouveaux objets aussi aisées que possible.

Les conventions internationales en faveur de la protection des travailleurs ne peuvent que rapprocher les nations en créant entre elles des liens nouveaux et d'autant plus puissants qu'ils intéresseront la masse des travailleurs. Ils seront, à l'intérieur des pays, une garantie d'ordre, en permettant aux gouvernements de donner satisfaction aux revendications légitimes des classes ouvrières et de placer celles-ci dans les conditions d'hygiène et de bien-être indispensables pour créer une population forte et consciente.

Les traités de travail promettent donc de devenir une branche féconde du droit international, et ils n'en seront certes pas la partie la moins sympathique. A ce titre, il nous a paru utile de retracer succinctement l'historique du mouvement en faveur de la législation internationale du travail, depuis son origine jusqu'à la Conférence de Berne qui vient de clôre ses travaux, en indiquant brièvement les résultats obtenus jusqu'à ce jour.

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