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NOTICES BIBLIOGRAPHIQUES.

29.

Traité de la possession dans le droit romain, pour servir de base à une étude comparative des législations modernes, par GEORGES CORNIL, professeur à l'université de Bruxelles, avocat à la cour d'appel. Un volume de XII-608 pages. Paris, Albert Fontemoing, éditeur.

Nous ne saurions, mieux que l'auteur lui-même, préciser le but qu'il a poursuivi « Si, au bout d'un siècle, le Droit de la possession, de Savigny, ne peut plus satisfaire les légitimes curiosités d'une critique toujours plus exigeante, c'est là un phénomène fort naturel, qui rend uniquement témoignage de l'évolution des idées et des méthodes. Le travail de Savigny était à refaire et, en réalité, il a été refait, durant la seconde moitié du XIXe siècle, dans des critiques fragmentaires nombreuses. Dès lors, il nous a paru intéressant de condenser et de présenter sous une forme méthodique les résultats de ces travaux de rénovation. » M. Cornil n'est point tenté d'oublier les services que la publication du Recht des Besitzes a rendu à la science juridique. Ce traité a restaurė l'esprit de la jurisprudence romaine; il a remis la science du droit romain dans le bon chemin. Certes, plusieurs des conceptions fondamentales de Savigny, celle notamment du caractère de la possession, la notion du corpus et de l'animus, ont été ébranlées et même détruites par la critique aiguë de Jhering et de ceux qui l'ont suivi. Mais, dans ses grandes lignes, l'œuvre de Savigny subsiste et M. Cornil a tenu à placer son ouvrage sous l'égide du Recht des Besitzes qui, « longtemps encore, servira de base à toute étude consciencieuse de la possession ».

Ces remarques préliminaires nous permettront de mieux mettre en relief les caractéristiques du traité de M. Cornil. C'est un exposé complet de toute la matière de la possession en droit romain et c'est un exposé destiné à servir de base à une étude comparative des législations modernes sur la possession. Les derniers résultats de la critique ont été mis à profit par l'auteur. Les travaux de Bekker, Bruns, Kuntze, Lenel, Pflüger, Schlossmann, Ubbelhode, Windscheid, pour ne nommer que les auteurs les plus fréquemment cités après Savigny et Jhering, lui sont familiers. Il les a mûrement étudiés; leurs opinions sont pesées, discutées, réfutées, adoptées après examen approfondi. Si bien que ce traité ne représente point seulement le dernier état de la question, il forme une œuvre originale, personnelle et, sur bien des points, définitive.

La tendance de M. Cornil à faire de la possession en droit romain la base d'une étude de droit moderne comparé nous plaît fort. Elle rend au droit romain de la jeunesse et de la vie; elle donne à son étude un caractère de quasi actualité. Elle a décidé l'auteur à publier en appen

dice le texte des législations modernes sur la possession, notamment le code civil prussien de 1794, le code civil français, le code de procédure civile français, les codes civils autrichien de 1811, néerlandais de 1838, saxon de 1863, italien de 1865, le code civil du canton de Zurich de 1887, le code espagnol de 1889, le code civil de l'empire du Japon de 1896, le code civil allemand de 1896, ainsi que le projet de code civil hongrois et l'avant-projet du code civil suisse de 19.0.

Au reste, M. Cornil a fait preuve de modestie en assignant comme but å son livre de «< servir de base à une étude comparative des législations modernes ». Il a lui-même poussé fort avant ce travail. Chacun de ses chapitres se termine par un examen critique des solutions que les législations modernes ont données aux problèmes de droit romain dont il vient de faire l'exposé.

L'analyse de quelques chapitres montrera les mérites du livre d'une manière plus concrète.

La possession est le rapport immédiat entre une personne et une chose. C'est le moyen indispensable à tout propriétaire pour réaliser l'utilisation économique de sa propriété. Point de propriété effective sans possession. La possession est plus que l'attribut nécessaire du droit de propriété : elle est souvent aussi une des conditions d'acquisition d'un droit de propriété. Mais ce qui donne à la possession le caractère d'une institution juridique indépendante, c'est que le possesseur, par cela seul qu'il possède, est protégé contre toute atteinte à sa possession, sans qu'il ait à justifier d'un jus possidendi. Qu'en faut-il logiquement conclure? C'est que la possession n'est pas simplement, comme Savigny le pensait, un fait ou, pour employer la terminologie contemporaine, un fait jurigène, un fait soumis au droit : la possession est un droit par la protection spéciale qui lui est accordée. M. Cornil fait justement observer qu'on ne peut refuser le nom de droit à la possession sous le prétexte que la protection juridique (substance même de la relation juridique) n'apparaît que comme la conséquence d'un pur fait. L'analyse révèle, en eflet, l'existence nécessaire d'un fait jurigène à la base de toute relation juridique. Et il ne nous paraît même pas qu'il y ait lieu de dire, avec M. Cornil, que la possession est différenciée des autres droits par cette particularité que, dans la possession, le fait générateur du droit et le droit se confondent. Bien d'autres droits subjectifs présentent ce même caractère que les conséquences juridiques du fait disparaissent avec le fait qui leur a donné naissance. Et il faut toujours distinguer entre le fait jurigène et les conséquences que le législateur attache à ce fait et qui constituent à proprement parler la matière de la relation juridique.

L'auteur, pour se conformer à l'usage, décompose la possession en les deux éléments du corpus et de l'animus, mais il aperçoit et signale les inconvénients de cette conception. Il montre notamment qu'elle a le désavantage de donner à penser que les éléments de la possession sont

REVUE DE DROIT INT. 37 ANNÉE.

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complétement indépendants, alors qu'en réalité ils se trouvent dans une relation si étroite qu'il est impossible que l'un existe sans l'autre dans le monde extérieur. Cette observation nous éloigne de la conception de Savigny et le fossé qui sépare son enseignement des notions aujourd'hui admises se creuse davantage quand on en vient à soumettre à critique sa définition du corpus et de l'animus

Pour Savigny, le corpus est la possibilité physique de disposition exclusive d'une chose. Cette formule originaire est trop étroite. Nombreux sont les cas de possession qui sortent du cadre de cette définition. Jhering l'a remplacée par la définition suivante : le corpus est le rapport extérieur qui existe normalement entre le propriétaire et la chose En d'autres termes, est possesseur celui qui extérieurement se comporte vis-à-vis de la chose comme le ferait normalement le propriétaire.

Savigny n'a pas été plus heureux dans son analyse de l'animus. Selon lui, l'animus possidendi consiste dans l'intention d'exercer la propriété. Possède l'animus la personne qui a l'intention d'exercer son propre droit de propriété; il faut, en un mot, concevoir l'élément intentionnel de la possession comme l'animus domini. Savigny, forcé pourtant de reconnaitre qu'il existe des cas où le droit romain admet l'existence de la possession en l'absence de tout animus domini, a été contraint de considérer ces cas comme des anomalies, des exceptions qu'il appelle les cas de possession dérivée.

C'est encore Jhering qui a le mérite d'avoir rectifié ces notions. La détention autant que la possession, suppose l'élément de la volonté. Celle-ci n'est donc point le critérium de distinction de la possession et de la détention. En principe, dés qu'il y a corpus et animus existe la possession à moins que le droit, pour des raisons d'utilité pratique, ne ravale la situation existante en rang de simple possession en n'y attachant pas les effets de la possession. D'après Savigny, par conséquent, la détention est la régle, la possession n'est que l'exception. Jhering a renversé cet ordre de conception. La possession est la règle et la possession se dégrade en détention dans certains cas, par suite de la volonté du législateur.

Ce sont des vérités depuis longtemps acquises, comme le fait remarquer M. Cornil. Celui-ci a pourtant le grand mérite d'exposer avec une clarté et une déduction parfaites des raisonnements que le génie allemand n'avait pas toujours réussi à rendre très lumineux.

Mais ce qui est très personnel et neuf chez M. Cornil, c'est la méthode qui consiste à établir, par l'étude de l'évolution des législations modernes. de la possession, la justesse des vues de Jhering. Il démontre que de plus en plus s'affirme la tendance à s'affranchir du dogme néfaste de l'animus domini. Le code allemand, notamment, a détruit presque entièrement la détention, ne la laissant subsister que dans d'étroites limites, qui ne trouvent même pas grâce aux yeux de M. Cornil.

Nous n'avons voulu, par ce court résumé des premiers chapitres, que mettre en évidence l'esprit et les tendances de son œuvre. Elle possède de fortes qualités qui en assurent le succès et qui dispensent d'attirer l'attention sur le soin apporté, par la composition de nombreuses tables, å en rendre le maniement agréable et facile. FÉLICIEN CATTIER.

30. - Work and wages. Part I. Foreign competition, by SYDNEY J. CHAPMAN, M. A. professor of political economy and dean of the university of Manchester, with an introduction by lord BRASSEY. Un volume in-8° de 301 pages London, Longmans, Green and Co.

Le livre de M. Sydney J. Chapman constitue une nouvelle édition des deux ouvrages de lord Brassey, publiés sous les titres de Work and wages (1872) et de Foreign work and English wages (1879). M. S.-J. Chapman a entièrement refondu ces deux livres et les a mis à jour. Ce travail, fait avec beaucoup de soin, a naturellement exigé de longues et patientes recherches. Le livre dont nous nous occupons forme le premier volume de la publication entreprise par M. Chapman. Il traite de la production des divers pays industriels, et permet de se faire une idée de la place qui revient à chacun d'eux dans les principales branches de l'activité industrielle. Le second volume, qui portera le titre de Labour and capital, sera consacré à la question ouvrière envisagée sous d'autres aspects (trade-unions, sociétés de secours mutuels, etc.)

Le livre de M. Chapman est précédé d'une préface de lord Brassey, dans laquelle celui-ci résume les constatations faites par son collaborateur et lui rend tout l'hommage que méritent son dévouement et ses consciencieuses études.

Il résulte des recherches faites par M. Chapman qu'au point de vue. du charbon, l'Angleterre n'a rien à craindre des autres pays. Le charbon du pays de Galles n'a pas son pareil pour la production de la vapeur. On ne peut que regretter que la réserve n'en soit pas inépuisable. Le rendement des mineurs anglais est supérieur à celui des houilleurs des autres nations. Leurs salaires sont aussi plus élevés que ceux de ces derniers. En Amérique, l'usage de machines pour l'extraction du charbon est plus répandu qu'en Angleterre. Quant à l'Allemagne, elle possède de vastes gisements et la production de ses mines accuse une progression rapide.

Dans l'industrie du fer et de l'acier, l'Angleterre maintient son rang, étant données les ressources naturelles dont elle dispose. Les États Unis l'emportent au point de vue de la quantité produite. L'Angleterre, gràce à sa situation géographique, est avantageusement placée pour l'importation des minerais d'Espagne et de Suède. Une délégation, qui a visité l'Allemagne en 1896, a reconnu que les établissements allemands, venus plus tard, sont dotés de l'outillage le plus moderne. La production par

ouvrier y était cependant inférieure à celle de l'Angleterre. Les Allemands l'emportaient en ce qui concerne la technique, mais les Anglais avaient une connaissance plus pratique de l'exploitation et de la direction d'un établissement, avantage résultant de ce qu'ils ont souvent travaillé comme simples ouvriers dans leur jeunesse. La suprématie des États-Unis est due aux ressources naturelles dont dispose cette contrée. Les salaires y sont plus élevés qu'en Angleterre, mais les loyers y sont plus chers Le prix des subsistances est à peu près le même L'industrie du fer prend de l'extension en Russie, mais elle est, pour la plus grande partie, aux mains des étrangers. L'ouvrier russe est patient; son salaire est modeste et ses journées de travail sont longues.

Dans la construction des navires, les Anglais ont des avantages incontestables. Les Allemands construisent des navires aussi rapides que les leurs, mais aucun pays ne peut fournir à aussi bon compte des bâtiments de commerce que ne le font les Anglais, grâce au bon marché des matières premières et au grand nombre de navires du même type qu'ils fabriquent. Les États-Unis se sont spécialement appliqués à développer chez eux la construction des navires. Jusqu'à présent, leur production n'est pas considérable, les frais dépassant de 15 à 25 p. c. ceux de l'Angleterre. En France, l'architecture navale est parfaite au point de vue de la qualité, mais les primes d'encouragement données par le gouvernement ne sont pas de nature à favoriser une production économique. L'industrie s'y est habituée à compter sur l'assistance de l'État.

La fabrication des locomotives n'est pas aussi développée en Angleterre qu'aux Etats-Unis. Dans ce dernier pays, on est arrivé à créer des types fixes et à exécuter les commandes avec une très grande célérité.

Les fabricants anglais occupent le premier rang dans la construction de l'outillage pour l'industrie du lin et du coton. Ils doivent cet avantage au grand développement que cette industrie a acquis en Angleterre, de même que, grâce à l'extension prise par l'agriculture, les Etats-Unis l'emportent dans la fabrication des machines agricoles. Les Allemands ont un don spécial pour la construction de machines de précision ou dont le type n'est pas usuel.

L'Angleterre tient toujours la premiere place dans l'industrie du coton. Elle y occupe 500,000 ouvriers (trois fois et demie autant que l'Allemagne). Les ouvriers anglais y sont sans rivaux au point de vue de l'habileté et de l'énergie. Le nombre des ouvriers nécessaires pour manœuvrer les machines est moins élevé en Angleterre qu'en Allemagne. Le coût de la main-d'œuvre par livre de coton filé est donc moindre en Angleterre, même en tenant compte des salaires plus élevés qui y sont payés. En Angleterre, il faut à peu près un ouvrier pour deux métiers. En Saxe, le nombre des ouvriers et des métiers est à peu près égal. La France doit ses succès dans l'industrie textile à la beauté et à la variété de dessins

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