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Ainsi, par un arrêt du 14 août 1845 ('), la cour de Douai a décidé que le syndic d'une faillite déclarée par le tribunal de commerce de Tournai avait pu obtenir du tribunal de Lille, sur requête, que le jugement déclaratif de la faillite fùt rendu exécutoire en France.

Elle dit qu'à défaut par le code de procédure civile d'avoir tracé des formalités spéciales pour obtenir l'exequatur, c'est aux règles ordinaires qu'on doit se référer; que, par suite, c'est à la nature même des affaires qu'il faut avoir égard, pour décider si elles doivent ou non être introduites par requête, et qu'une demande qui, par sa nature, doit être portée en justice par voie de requête, ne peut être assujettie aux formes d'une instance contradictoire, par cela seul que le poursuivant serait porteur d'un jugement émané d'un tribunal étranger ». Plus loin, elle ajoute que la demande d'exequatur n'est que la continuation et le complément d'une instance déjà engagée; que le juge français doit être saisi dans l'état où elle se trouvait devant les juges étrangers, sans qu'on doive appeler dans la cause une partie qui n'y figurait pas; que, d'ailleurs, les règles de l'instance contradictoire ne sont pas applicables au jugement de faillite, qui comporte des formes spéciales et peut être rendu sur simple requête ».

Et par un arrêt du 10 février 1864 (2), la cour de Colmar a décidé aussi que le tribunal civil de Saverne avait pu rendre exécutoire par simple requête un jugement du tribunal royal prussien de Sarrebruck qui avait déclaré un négociant de Sarrebruck en faillite. Elle dit « que c'est forcément par voie de requête, à raison de la nature de la demande, d'une manière absolue et générale et non contre une partie, qu'est formée la demande d'exequatur d'un jugement rendu par un tribunal étranger en matière de déclaration de faillite, et que, dès lors, celui à l'égard duquel ce jugement est ultérieurement mis à exécution ne saurait le critiquer sous prétexte qu'il n'y aurait pas été appelé, l'article 474 du code de procédure civile lui réservant, au surplus, la voie de la tierce opposition, s'il estime que le jugement auquel il n'a pas été appelé préjudicie à son droit ».

Un arrêt de la cour de Paris du 2 février 1869 (3) décide que la demande d'exequatur de l'ordonnance d'un juge étranger portant envoi en possession d'un legs universel, comprenant des biens situés en France,

(1) SIREY, 1846, II, p. 303. (2) SIREY, 1864, II, p. 122. (5) SIREY, 1869, II, p. 103.

est de la compétence du président du tribunal civil. Cet arrêt porte que la compétence du juge français, quant à l'exequatur, est déterminée par la nature de la décision rendue à l'étranger; que l'ordonnance dont s'agit étant un acte de juridiction exclusivement attribué au président du tribunal civil, c'est à la juridiction du président et non a celle de la chambre du conseil qu'il appartient de statuer ». Bertin (1, cite plusieurs décisions par lesquelles la chambre du conseil du tribunal de la Seine se déclare compétent.

Des arrêts que nous venons de citer, la doctrine (2) déduit la règle que lorsqu'il s'agit d'un jugement rendu à l'étranger sur requête et qui eût pu être obtenu en France par la même voie, la demande d'ezequatur est valablement formée par requête ». Dans une note sous un arrêt de Nancy du 7 décembre 1872 (3), Lyon-Caen dit: Le demandeur ne peut pas être soumis à des formalités plus compliquées pour former une simple demande d'exequatur que pour introduire la demande elle

même. »

19. Sans doute l'exequatur est le complément nécessaire du jugement étranger pour qu'il devienne exécutoire en France. Mais l'instance qui a pour but de l'obtenir n'est pas la continuation de l'instance qui a été engagée devant le juge étranger: elle n'est pas la même, elle n'a pas le même objet. Si elle était de même nature, quand il s'agit d'un jugement déclaratif de faillite, l'exequatur devrait être demandé à la juridiction commerciale. Or on convient généralement que cette demande doit être adressée au juge civil (). C'est qu'en effet elle ouvre une instance distincte de celle qui s'est déroulée devant le juge étranger. Elle a pour objet le jugement étranger; le juge français est appelé à examiner ce jugement, non seulement au point de vue des intérêts privés, mais principalement au point de vue de l'ordre public français. Le juge français saisi d'une demande d'exequatur peut être comparé au juge d'appel; il examine, comme celui-ci, le jugement qui lui est soumis. Seulement, tandis que celui-ci peut réformer le jugement soumis à son appréciation, le juge français ne peut pas modifier le jugement étranger:

(1) Chambre du conseil, t. II, p. 632 à 636.

(*) AUBRY et RAU, t. VIII, § 769ter, p. 419; FuZIER-HERMAN, V° Jugement étranger, n° 180; VINCENT et PENAUD, v Jugement étranger, no 102; BONFILS, n° 278, in fine; LACHAU et DAGUIN, p. 113 et suiv.

(3) SIREY, 1873, II, p. 33.

(4) Voir infra, no 45 et 46.

s'il ne l'approuve point, il ne peut que refuser l'exequatur. C'est à raison de l'analogie de son rôle avec celui du juge d'appel que le code italien charge les cours d'appel de rendre exécutoires les jugements étrangers. Sous l'ancienne jurisprudence, c'étaient les parlements qui accordaient l'exequatur ou le pareatis.

La doctrine et la jurisprudence qui prévalent en France méconnaissent donc le caractère particulier de l'instance qui s'engage sur une demande d'exequatur; ce caractère n'est pas autre quand elle a pour objet des jugements ou des ordonnances rendus en pays étranger sur simple requête; elle soulève les mêmes questions, qui nécessitent un débat contradictoire, et par conséquent la partie adverse doit être assignée devant le tribunal civil compétent. La loi belge du 25 mars 1876 ne fait aucune distinction (1).

Le tribunal civil du Havre, qui s'est prononcé dans ce sens par un jugement du 8 janvier 1875 (2), décide que la procé lure d'exequatur d'un jugement étranger déclaratif de faillite peut légalement être dirigée contre les débiteurs français de cette faillite. « En effet, dit-il, ces derniers apparaissent comme les légitimes contradicteurs de la décision en vertu de laquelle les administrateurs de la masse voudraient les poursuivre en paiement de ce qu'elles lui doivent. »

Néanmoins, dans une instance pendante, une demande d'exequatur, par exemple d'un titre qui y est produit, peut y être introduite, confor mément aux règles du code de procédure civile pour l'introduction d'une demande nouvelle en première instance ou en appel. Ainsi, suivant un arrêt de la cour d'appel de Paris du 11 mai 1869 (3), la demande. d'exécution d'un jugement étranger est régulièrement formée en appel et par des conclusions incidentes, lorsqu'elle n'est qu'un moyen de défense à une demande reconventionnelle du défendeur. Mais par un arrêt du 2 juillet 1888 (1), la cour d'appel de Bordeaux a décidé que l'exequatur doit être demandé par voie d'action principale s'il s'agit d'un titre invoqué dans une procédure d'ordre ou de distribution. M. Levillain critique avec raison cette décision: il prétend que la

(1) Articles 10 et 52.

(*) CLUNET, 1876, p. 103.

(3) DALLOZ, pér., 1871, II, p. 119; SIREY, 1870, II, p. 10. Voir dans le même sens un arrêt du 14 novembre 1901, confirmant un jugement du tribunal civil de la Seine (CLUNET, 1902, p. 110, MOREAU, no 137).

(4) DALLOZ, pér., 1891, t. II, p. 105.

demande d'exequatur du titre étranger peut se produire dans cette procédure comme les autres contestations incidentes, suivant les formes indiquées par le code de procédure civile.

Par un jugement du 6 mars 1899 (1), le tribunal civil de la Seine a décidé que l'exequatur peut être demandé par conclusions incidentes lorsque le demandeur ne fait ainsi que répondre à l'exception par laquelle le défendeur oppose à la demande originaire, soit le défaut de tout exequatur, soit l'irrégularité de l'exequatur déjà accordé. Mais par un arrêt du 7 avril 1891 (2), la cour d'appel de Rennes décide que de simples conclusions très subsidiaires ne permettent pas à un tribunal français de se saisir d'une demande principale tendant à ce qu'un jugement étranger soit déclaré exécutoire en France.

(1) Clunet, 1899, p. 744. (2) CLUNET, 1902, p. 720.

(A suivre.)

LA NEUTRALITÉ DE LA BELGIQUE

ET

L'ANNEXION DU CONGO (1)

PAR

M. Pierre GRAUX,

Avocat près la Cour d'appel de Bruxelles.

Depuis un demi-siècle à peine, une transformation profonde, qui eût autrefois fait l'histoire de siècles entiers, s'est accomplie dans la vie du monde européen. Le temps, à peine écoulé, où les destinées de l'Europe semblaient renfermées dans l'Europe même, est déjà si loin, que l'homme demeure stupéfait du chemin qu'il a parcouru si vite et avec tant

d'audace.

Il a laissé derrière lui, dans le lointain dont il est lui-même à peine sorti, tout ce que ses ancêtres avaient mis des siècles à conquérir; les ambitions qui les mettaient aux prises lui paraissent aujourd'hui trop étroites; les bornes que ne dépassaient pas leurs aspirations les plus vastes l'enserrent et l'étouffent; le vieille Europe est pour lui trop petite, il veut conquérir le monde.

La puissance des capitaux et de la technique moderne, la fécondité prodigieuse qu'elles ont créée, jointes au développement de la population, impressionnant par sa régularité, ont rompu les digues que la tradition de longs siècles avait élevées pour contenir les emportements des esprits trop téméraires; comme une marée bienfaisante, le flot mon tant de la civilisation moderne s'est répandu pour couvrir, dans sa marche irrésistible et majestueuse, le monde tout entier.

A ce mouvement d'expansion, toutes les grandes nations européennes ont pris part; les causes qui l'ont provoqué étaient communes à toutes et la lutte économique pleine d'âpreté, qu'elles se livrent chaque jour, devait les conduire à se mesurer encore sur ce champ nouveau ouvert à leur activité et à leur convoitise.

(1) Discours prononcé à la séance de rentrée de la Conférence du Jeune Barreau de Bruxelles, le 19 novembre 1904.

REVUE DE DROIT INT. - 37° ANNÉE.

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