Page images
PDF
EPUB

d'y payer, y eût-il même subi juridiction volontairement et par hasard; il faut venir par nouvelle action, sauf à demander l'exécution provisoire des jugements, ce qui doit être ordonné par nos juges; mais quant aux autres jugements, je penserais qu'ils doivent s'exécuter, sans nouvelle action, avec un pareatis du grand sceau. ›

Ainsi, suivant Boullenois, la jurisprudence permettait d'exécuter en France, en vertu d'un pareatis accordé sans connaissance de cause, les jugements étrangers intervenus contre des Français, si ceux-ci avaient. saisi eux-mêmes la juridiction étrangère comme demandeurs.

D

3. L'article 121 de l'ordonnance n'était pas applicable aux jugements rendus en pays étranger entre étrangers. A l'audience du parlement de Paris du 16 avril 1777, l'avocat général Séguier disait : « Les jugements rendus entre deux étrangers en pays étranger peuvent être mis à exécution en France avec la simple permission du juge, parce que l'ordonnance qui défend l'exécution des jugements étrangers en France n'a dû établir ce privilège qu'en faveur des Français (1). Boullenois (2) dit aussi que les jugements intervenus à l'étranger contre un étranger non domicilié en France peuvent y être exécutés avec un pareatis du grand sceau, qu'on accorde sans connaissance de cause. Il estimait qu'il fallait s'en tenir à ce qui avait été jugé entre eux et que les jugements n'étaient plus sujets à examen, comme rendus par juges compétents. Henrion de Pansey exprime la même opinion dans son Recueil de jurisprudence française, publié en 1789 (3). Et dans un arrêt du 7 janvier 1806 (4), sur les conclusions de Merlin, la cour de cassation a décidé que les dispositions de l'article 121 de l'ordonnance de 1629 ne s'appliquent qu'aux jugements rendus en pays étranger entre un étranger et un Francais ».

[ocr errors]

Toutefois, le pareatis accordé sans connaissance de cause au jugement rendu en pays étranger entre étrangers ne permettait pas de prendre hypothèque sur des biens situés en France. A cet effet, il fallait un nouveau jugement obtenu en France. C'est ce qu'établit Persil (5), et son opinion a été adoptée par Battur (6). Ils invoquent l'autorité de Bro

(1) MERLIN, Répertoire, vo Jugement, § VIII, t. XVI, p. 229.

[blocks in formation]

(3) MERLIN, Questions de droit, v° Jugement, § XIV, t. IX, p. 131. (4) DEVILLENEUVE, Collection nouvelle à cette date.

5) Keyime hypothécaire, art. 2123, § XX.

(6) Traité des privilèges, no 337.

deau, qui, sur l'article 164 de la coutume de Paris (1), dit que les contrats et autres actes passés hors de ce royaume ne portent pas hypothèque, soit expresse, soit tacite, sur les biens situés en France, même quand on aurait obtenu le pareatis et la commission du juge royal du domicile; qu'il faut, suivant la doctrine des arrêts, se pourvoir par nouvelle action par-devant lui.

4. Enfin, l'ordonnance de 1629 ne s'appliquait pas aux jugements étrangers concernant l'état des personnes, s'ils avaient été rendus par des juges compétents. La raison en est que ces jugements sont émanés d'une autorité légitime et sont rendus entre personnes soumises à cette autorité. Par conséquent, ils ne peuvent plus être soumis à l'examen et à la discussion d'autres juges, qui seraient incompétents. C'est ce que dit Boullenois (2). Il invoque l'autorité de Burgundus. Dans ses Controversiæ ad consuetudines Flandriæ, Burgundus se demande utrum sententiæ excedant territorium; et il répond: Mihi quidem sola illa, quæ de statu personæ fertur, explicare vires extra territorii limites videtur (3). D'Argentré dit aussi : Cum de personarum jure aut habilitate quæritur ad actus civiles, in universum ea judicis ejus potestas est qui domicilio judicat (*).

Pour soutenir que telle n'était pas l'ancienne jurisprudence, Merlin (5) cite un arrêt du parlement de Douai et un arrêt du parlement de Paris qui, dans une question d'état, ne tinrent pas compte de la solution qui lui avait été donnée en Allemagne par le conseil aulique. Mais Laurent (6) fait remarquer que l'exécution de l'arrêt du conseil aulique n'était pas demandée en France.

Chauveau (7) prétend comme Merlin que l'ordonnance de 1629 était applicable aux jugements qui réglaient l'état et la capacité des personnes; car, dit-il, elle ne distingue pas entre les diverses espèces de décisions émanées de juridictions étrangères. Cette raison n'est pas décisive, si, comme l'attestent Burgundus, d'Argentré et Boullenois,

(') N° 9.

(2) Loc. cit., t. I, p. 603, et suiv. Voir LAURENT, Droit civil international, t. VI, n° 88, qui examine longuement quelle était l'ancienne jurisprudence sur ce point. (3) Tract., III, n° XI in fine.

(4) In consuetudines Britanniæ, article 218, glose 6, no 4.

(*) Répertoire, v° Jugement, § VIIbis, t. XVI, p. 216; Questions de droit, vo Jugement, § XIV, t. IX, p. 130-131.

(6) Loc. cit.

(7) Question 1899, 2o.

sous l'ancienne jurisprudence, l'effet de ces jugements n'était pas limité aux pays où ils étaient rendus, mais s'étendait extra territorii limites, étant rendus in universum.

Du reste, ce point était sans grande importance, puisque tout jugement étranger qui n'était pas prononcé contre un Français devenait exécutoire par un simple pareatis, accordé sans connaissance de cause.

5. Sur les conclusions conformes de Merlin, par un arrêt du 18 pluviôse an XII (1), la Cour de cassation, sous l'empire de l'article 121 de l'ordonnance, décida que « les expressions générales de cet article ne souffrent aucune exception soit relativement à la nature de l'affaire qui a été portée devant un tribunal étranger, soit relativement à la qualité en laquelle un Français y a été partie; qu'ainsi on ne peut, pour l'appli cation du dit article, admettre la distinction, soit entre le cas où l'affaire sur laquelle est intervenu un jugement étranger, est commerciale ou purement civile, soit que le Français y ait été demandeur, défendeur ou partie intervenante; mais que la loi refuse indistinctement toute force exécutoire, en France, aux jugements étrangers; que le dit article ayant voulu de plus que, nonobstant un jugement étranger, le Français contre lequel il a été rendu puisse de nouveau débattre ses droits comme entiers, il s'ensuit qu'un jugement étranger ne peut pas même opérer contre le Français l'effet de l'exception de chose jugée, puisque cette exception le priverait nécessairement de la faculté qui lui est formellement réservée par la loi, de débattre de nouveau ses droits comme entiers ».

6. Telle était sur l'exécution des jugements étrangers le système fondé sur l'article 121 de l'ordonnance, quand fut décrété, le 28 ventôse an XII et promulgué le 8 germinal an XII, le titre XVIII du livre III du code civil, traitant des privilèges et hypothèques.

L'article 2123, dans son dernier paragraphe, dispose: L'hypothèque ne peut pareillement résulter des jugements rendus en pays étranger, qu'autant qu'ils ont été déclarés exécutoires par un tribunal français, sans préjudice des dispositions contraires qui peuvent être dans les lois politiques ou dans les traités. ›

Et l'article 2128 dit que les contrats passés en pays étranger ne peuvent donner hypothèque sur les biens de France, s'il n'y a de dispositions contraires à ce principe dans les lois politiques ou les traités ».

(1) Voir DEVILLENEUVE, Collection nouvelle à cette date.

[ocr errors]

Plus tard, en 1806, l'article 546 du code de procédure civile ajouta : Les jugements rendus par les tribunaux étrangers et les actes reçus par les officiers étrangers ne seront susceptibles d'exécution en France que de la manière et dans les cas prévus par les articles 2123 et 2128 du code civil. »

On ne trouve dans les travaux préliminaires, sur les articles que nous venons de citer, rien qui en précise le but, la portée. Remplacent-ils l'article 121 de l'ordonnance de 1629, ou le conservent-ils et faut-il lecombiner avec ces articles?

L'article 7 de la loi du 30 ventôse an XII enlève toute force obligatoire aux ordonnances dans les matières qui sont l'objet du code civil. Cet article abroge-t-il l'article 121 de l'ordonnance de 1629? Les avis sont partagés.

Dans son Analyse raisonnée de la discussion du code civil au conseil d'État (1), de Maleville dit que la dernière disposition de l'article 2123 du code civil est conforme à l'article 121 de l'ordonnance de 1629 et à la jurisprudence générale ».

Dans ses observations sur l'article 14 (2), il justifie cette disposition par la considération que les jugements rendus dans l'étranger étant sans exécution en France, suivant l'article 121 de l'ordonnance de 1629, il serait fort inutile que le Français obtînt une condamnation en pays étranger.

7. Sur les conclusions conformes de Merlin, par des arrêts du 7 janvier 1806 (3) et du 27 août 1812 (4), la Cour de cassation décide que les jugements étrangers prononcés contre des Français continuent à être non avenus suivant l'article 121 de l'ordonnance de 1629; que ce sont seulement les autres jugements étrangers que l'article 2123 du code civil et l'article 546 du code de procédure civile permettent de rendre exécutoires en France (5).

Dans le réquisitoire qui a précédé l'arrêt du 27 août 1812 (6), Merlin

(1) T. IV, p. 269.

(2) T. I, pp. 29-31; voir notre Troisième étude sur la compétence civile à l'égard des étrangers, no 4.

(3) DEVILLENEUVE, Collection nouvelle à cette date; DALLOZ, Répertoire, yo Droit civil, no 422.

(4) DEVILLENEUVE, Collection nouvelle à cette date. DALLOZ, Répertoire, eod. verb., no 449, note.

(5) Voir notre Troisième étude, no 21.

(*) Répertoire, v° Souveraineté, § VI.

s'est exprimé ainsi : « Il résulte bien clairement de l'article 546 du code de procédure civile et de l'article 2123 du code civil que les tribunaux français peuvent déclarer exécutoires en France les jugements rendus par les tribunaux étrangers. Mais le peuvent-ils dans tous les cas et dans quels cas le peuvent-ils? Ni le code de procédure civile, ni le code civil ne s'expliquent là-dessus. Sans doute nous devons conclure de leur silence qu'ils se réfèrent au principe que l'article 121 de l'ordonnance de 1629 avait consacré dans notre ancienne législation. Car l'article 121 de l'ordonnance de 1629 était, dans notre ancienne législation, une loi purement politique; et ni le code civil, ni le code de procédure civile n'ont dérogé aux lois de cette nature ».

D'après Merlin, l'arrêt dit : « qu'à la vérité, les articles 2123 et 2128 du code civil et l'article 546 du code de procédure civile n'autorisent pas, en termes exprès, le Français qui a succombé devant le tribunal étran ger, à provoquer un nouvel examen du fond, lorsqu'on demande l'exécution en France; mais que cette faculté est consignée dans l'article 121 de l'ordonnance de 1629, article qui renferme une loi politique non abrogée par les nouveaux codes.

La doctrine admit d'abord, comme la Cour de cassation, que l'article 121 de l'ordonnance restait applicable aux jugements étrangers prononcés contre des Français (1).

8. Mais par un arrêt du 19 avril 1819(2), la Cour de cassation changea de jurisprudence. Elle décide que l'article 2123 du code civil et l'article 546 du code de procédure civile ont abrogé complètement l'article 121 de l'ordonnance de 1629, et que les termes généraux dont ils se servent ne permettent de faire aucune distinction entre les jugements étrangers prononcés contre des Français et les autres jugements étrangers (3).

Il importe de reproduire cet arrêt, qui est le fondement de la jurisprudence et de la doctrine qui prévalent en France.

Il est ainsi conçu :

Sur la contravention à l'article 121 de l'ordonnance de 1629; attendu que l'ordonnance de 1629 disposait en termes absolus et sans exception, que les jugements étrangers n'auraient pas d'exécution en

(1) DALLOZ, Répertoire, vo Droit civil, no 418 in fine.

(*) Devilleneuve, Collection nouvelle à cette date.

(3) Voir notre Troisième étude sur la compétence civile à l'égard des étrangers, n® 22.

« PreviousContinue »