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car il fut plus souvent volé que voleur, de moindre génie assurément, mais aussi libre dans sa manière, aussi pittoresquement réaliste dans ses peintures, presque aussi aimable dans sa façon complaisante et ingénue de parler de lui. Personne plus que lui ne fut dépaysé dans le siècle poli, aristocratique et un peu compassé où il était né. Il en a porté la peine et a été beaucoup trop méprisé par les princes de la littérature de son temps, Boileau et Molière, ce qui nous excusera de l'avoir loué un peu plus peut-être qu'il ne faut.

Quand à Le Pays, on l'a bien nommé, de son temps même, en l'appelant le Singe de Voiture. Avec de l'esprit, et il en a montré beaucoup dans une réplique étonnamment mesurée, fine et modeste à Boileau, il a cherché, comme par gageure, à exagérer tous les procédés de Voiture, de sorte qu'il est admirable pour faire sentir et rendre palpable la transition du précieux au burlesque. Souvent il est burlesque de propos délibéré; plus souvent, à outrer le précieux, il est burlesque sans le savoir, et si cela est arrivé à Voiture, à plus forte raison cela advient à son imitateur. Ce que Le Pays a de meilleur comme prose, ce sont ses relations de voyage (toujours sous forme de lettres), et ce qu'il a de moins mauvais comme vers, est une pièce de galanterie assez aimable à l'adresse de Mme de Chevreuse, intitulée le Perroquet ressuscité. — Il avait certaines qualités d'observateur et de moraliste et des connaissances littéraires assez rares en son temps et très supérieures à celles de Boileau.

CHAPITRE VII

LE THEATRE DE 1630 A 1660

Le théâtre, qui s'était un peu endormi dans les Bergeries depuis le commencement du siècle, prit une singulière activité aux environs de 1630. On y vit à la fois rivaliser Cyrano de Bergerac, Scudéry, Tristan l'Hermite, La Calprenède, du Ryer, Rotrou, et enfin le plus grand de tous, Pierre Corneille.

Cyrano, dont nous avons déjà parlé à un autre égard, donna au théâtre la Mort d'Agrippine, tragédie gassendiste, si nous nous permettons de parler ainsi. Assez mal faite et peut-être négligée comme construction et conduite dramatique, la pièce semble avoir été écrite pour mettre en lumière un personnage, Séjan, qui, en même temps qu'homme d'État, est un philosophe épicurien, fataliste, sceptique et contempteur des dieux. L'inspiration de Lucrèce est continuelle, sinon dans toute la pièce, du moins dans tout ce rôle. Les vers-blasphèmes de Séjan étaient souvent cités au XVIIe siècle :

Achevons donc le crime où ce dieu nous astreint :
C'est lui qui le commet puisqu'il nous y contraint...

Respecte et crains des dieux l'effroyable tonnerre!
– Il ne tombe jamais en hiver sur la terre.

J'ai six mois pour le moins à me moquer des dieux...
Que sont-ils donc ces dieux? Des enfans de l'effroi,
De beaux riens qu'on adore et sans savoir pourquoi,
Des altérés du sang des bêtes qu'on assomme,

Des dieux que l'homme fait et qui n'ont pas fait l'homme.

C'était une singulière nouveauté que la tragédie philoso

phique, telle que Voltaire l'entendit plus tard, apparaissant vers 1640. Cyrano en a la gloire ou au moins l'originalité. Sa tragédie contient du reste de très beaux vers tragiques, violents, truculents et déclamatoires, mais très bien faits pour le théâtre. Ils sont surtout dans le rôle d'Agrippine.

Scudéry, qui signait les beaux romans que faisait sa sœur, était le vrai auteur d'une foule de tragédies ou tragi-comédies qui eurent leur succès. C'étaient Lygdamon, le Vassal généreux, Orante, la Mort de César, l'Amant libéral, l'Amour tyrannique, Arminius, etc. Sa facilité, qu'a raillée Boileau, n'était pas un simple verbiage; il avait vraiment de l'imagination, de l'invention, des ressources dramatiques, mais aussi peu de goût que possible; une psychologie absolument nulle, comme du reste la plupart des hommes de son temps, et une emphase continue qui était bien dans le goût de l'époque, mais qui réussissait à le dépasser.

La Calprenède était du même genre avec un peu plus de bon sens. Ses tragédies et tragi-comédies sont des romans dialogués, quelquefois assez agréables, particulièrement dans les scènes d'amour. La Mort de Mithridate, Bradamante, le Comte d'Essex, Bélisaire ne laissèrent pas de plaire en leur nouveauté et surtout secondèrent le succès des romans de leur auteur.

Tristan l'Hermite est digne de plus d'attention que les précédents. C'était un homme très bien doué pour la poésie élégiaque et assez bien doué pour le théâtre. Il avait écrit une sorte d'autobiographie romanesque intitulée le Page disgracié, qui est très amusante d'abord et qui de plus est très intéressante comme renseignements sur les mœurs de cette époque. Il a fait des vers dans le genre précieux qui sont quelquefois exquis,

et qui doivent le faire placer tout auprès de Théophile de Viau, comme ceux-ci dans le Promenoir de deux amants:

Crois mon conseil, chère Climène :

Pour laisser arriver le soir,
Je te prie, allons-nous asseoir
Sur le bord de cette fontaine.
L'ombre de cette fleur vermeille
Et celle de ces joncs penchants
Paraissent être là dedans

Les songes de l'eau qui sommeille.

Je tremble en voyant ton visage
Flotter avec mes désirs.

Il a pris part, ce semble, au tournoi des Belles matineuses,
et a fait lui aussi sa « Belle matineuse », qui n'est nulle-
ment inférieure à celles de Malleville et de Voiture; mais
soucieux de renouveler le sujet, il a donné comme pen-
dant ou comme réplique à la belle du matin une autre
vision que l'on pourra appeler, si l'on veut, la Belle cré-
pusculaire. On sera peut-être curieux de la lire :

Sur la fin de son cours le soleil sommeillait,
Et déjà ses coursiers abordaient la marine,
Quand Élise passa dans un char qui brillait
De la seule splendeur de sa beauté divine.

Mille appas éclatants qui font un nouveau jour
Et qui sont couronnés d'une grâce immortelle,
Les rayons de la gloire et les feux de l'amour
Éblouissaient les yeux et brûlaient avec elle.

Je regardais coucher le bel astre des cieux
Lorsque ce grand éclat me vint frapper les yeux,
Et de cet accident ma raison fut surprise.

Mon désordre fut grand, je ne le cèle pas :
Voyant baisser le jour et rencontrant Élise,
Je crus que le Soleil revenait sur ses pas.

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Comme poète tragique, il est très distingué. Quelques préoccupations relativement à l'étude des caractères, et un certain soin de faire sortir l'action des caractères mêmes, ont amené quelques-uns de ses admirateurs à le tenir pour un précurseur de Racine, et quoiqu'il y ait là de l'exagération, c'est quelque chose au moins, et à l'honneur de Tristan l'Hermite, qu'on puisse s'arrêter sans ridicule à cette idée. La Mort de Sénèque, Penthée, la Mort de Crispe sont des tragédies encore lisibles et très estimables. La Mariamne surtout, qui balança le succès du Cid, ne dut pas son succès à la seule cabale, comme on l'a trop dit. Tragédie cornélienne par la profondeur du tragique et par la véritable éloquence de certaines tirades et de certains dialogues, c'est une des plus fortes œuvres de second degré que possède le théâtre français. Tristan l'Hermite n'a pas été placé assez haut dans l'estime de la postérité. Il est presque inconnu. Cela tient à ce que Boileau ne l'a pas nommé. Ceux qu'il a le plus méprisés sont au moins signalés, quand il les nomme, à la postérité, qui est ainsi amenée à contrôler et parfois à reviser son jugement, et en tous cas à s'occuper d'eux. Le silence de Boileau pour un auteur du XVIIe siècle est presque un arrêt de mort. Tristan était extrêmement loin de le mériter.

Du Ryer est un de ces bons auteurs, intelligents, laborieux et probes, qui ont toutes les qualités moyennes et tous les médiocres défauts de leur temps, et qui font pendant vingt ans une honnête besogne littéraire. Il a écrit une trentaine de tragédies qui toutes furent écoutées avec plaisir, et dont deux au moins, Alcyonée et Scévole, marquent un certain talent et figureraient fort bien dans le théâtre secondaire de Corneille. Avant 1636, il n'avait pas accepté la réforme de Mairet et restait irrégulier; il

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