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Cest ce diuin parleur, dont le fameux merite
A trouue' ches les Roys plus d'honneur que d'appuy:
Bien que depuis vint ans tout le monde limite,
Il n'est point de mortel qui parle comme luy

JEAN-LOUIS GUEZ DE BALZAC

D'après la gravure de Claude Mellan.

savait le moins, je veux dire l'art de faire une lettre; car les siennes sont toutes pleines d'esprit; mais on y remarque les deux défauts les plus opposés au style épistolaire : l'affectation et l'enflure. » - Son influence fut considérable et elle fut bonne; car, encore qu'il prodiguât trop les éloges aux littérateurs de son temps, en souverain aimable qui soigne sa souveraineté, il savait y mêler des conseils, qui le plus souvent sont très justes. Quand on cherche ce que Balzac aurait pu être s'il ne s'était contenté d'être « le grand épistolier » de son siècle, on trouve qu'il eût été aisément un moraliste assez élevé et agréable et surtout un bon critique, sachant admirer, ce qui est chez les critiques une qualité rare, sachant discerner aussi, et donnant de bonnes leçons, en même temps que, pour le style au moins, de bons exemples.

CHAPITRE IV

LE MONDE LITTÉRAIRE DE 1630 A 1660

Nous entrons dans la période capitale de la littérature française, dans le véritable XVIIe siècle, en 1630. C'est l'époque où le monde littéraire, où plusieurs mondes littéraires se constituent, prennent conscience d'eux-mêmes, se créent leurs traditions, leurs tendances, et en un mot leur esprit.

Trois grandes institutions littéraires, si l'on peut s'exprimer ainsi, se forment ou viennent de se former ou vont se former à cette date : l'Hôtel de Rambouillet, l'Académie française, Port-Royal.

L'Hôtel de Rambouillet est le premier et le plus illustre

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de nos salons littéraires. Il a existé depuis 1610 environ; mais c'est de 1630 à 1650 qu'il a eu toute sa gloire et toute son influence. Il a été comme dirigé successivement ou concurremment par trois femmes d'un esprit très distingué et de grâces charmantes : la marquise de Rambouillet, sa fille Julie d'Angennes, plus tard duchesse de Montausier, et son autre fille, plus jeune, Angélique de Rambouillet, qui fut plus tard la première femme du marquis de Grignan.

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Ce salon, très lettré et très ami des lettres, mais en même temps recevant les hommes et les femmes du plus grand monde, « toute la France », comme on disait alors, fut un lieu de réunion où, pour la première fois, grands seigneurs et hommes de lettres se rencontrèrent sur le pied d'égalité. Comme grands seigneurs, on y voyait, entre cent autres : le duc d'Enghien, plus tard prince de Condé, le marquis de Sablé, le duc de La Rochefoucauld, Montausier qui finit par épouser Mlle Julie de Rambouillet d'Angennes; comme grandes dames: Mme de La Fayette, Mme de Longueville, Mme de Sablé, Mme de Sévigné, sans compter Mlle Paulet, qui n'était pas une grande dame, étant seulement la fille de Charles Paulet, secrétaire de la Chambre sous Henri IV, mais qui était par son esprit autant que par sa beauté un des ornements du célèbre salon; comme auteurs enfin, tous les écrivains du temps, mais plus particulièrement Malherbe, Gombauld, Vaugelas, Racan, Balzac (surtout par correspondance, mais très mêlé à la vie littéraire de l'Hôtel), Voiture, qui donnait, autant que la marquise ou Julie, le ton du salon, Chapelain, Segrais, Costar, Sarrazin, Conrart, Patru, Godeau, Pelletier, Ménage, Desmarets de Saint-Sorlin, Scudéry, Huet, Rotrou, tous les

Arnauld, Benserade, Saint-Évremond jusqu'à son exil. Corneille y parut plus d'une fois. Arnauld d'Andilly y amena Bossuet âgé de douze ans et lui fit faire un sermon pour donner à la société une idée de la précocité de cet enfant qui devait devenir un si grand homme.

C'est là que les événements littéraires du temps sont nés ou ont abouti. L'Hôtel, dans la querelle littéraire à propos du Cid, prit parti pour Corneille; au contraire il désapprouva Polyeucte et fit conseiller à Corneille de ne pas en risquer la représentation. Il fut divisé amicalement sur la question de la préférence à accorder à la Belle Matineuse de Malleville ou à la Belle Matineuse de Voiture, et sur la question aussi du prix à donner à l'Uranie de Voiture ou au Job de Benserade. Belles Matineuses, Uranie, Job n'étaient autre chose que des sonnets; mais un sonnet était à cette époque un événement, et c'est un peu en souvenir de ces grandes discussions que Boileau dit plus tard : « Un sonnet sans défaut vaut seul un long poème. >>

Le crédit de l'Hôtel baissa un peu à partir de la Fronde. Il existait encore, présidé par l'aimable Angélique de Rambouillet, à l'époque des Précieuses ridicules où les travers de la société précieuse, dans lesquels l'hôtel de Rambouillet avait bien un peu donné, étaient si cruellement raillés. L'Hôtel assista tout entier à la première représentation et fut assez spirituel pour ne pas se reconnaître et pour applaudir. Angélique de Rambouillet était du reste très hautement partisan de Molière. L'Académie française, qui n'eut pas tout d'abord une grande influence et qui n'en prit qu'à partir du moment où l'Hôtel de Rambouillet n'en eut plus, fut fondée en 1635 par le cardinal Richelieu qui y vit un moyen d'épu

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