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de la Solitude, la contemplation de ce même coucher du soleil dans la mer devient une sorte de magnifique hallucination, où sinon toute la profondeur, du moins la force, l'esprit de la poésie symbolique éclate tout à coup :

Là, rêvant à ce jour préfix

En qui toute âme saine espère,
Grand jour où l'on verra le fils
Naître aussitôt comme le père,
Je m'imagine en même instant
Entendre le son éclatant
De la trompette séraphique,
Et pense voir en appareil
Épouvantable et magnifique
Jésus au milieu du soleil.

Il faut savoir que même dans Moïse, poème mal composé et contenant quelques vers ridicules, mais qui n'est pas du tout ennuyeux, il y a des passages descriptifs où tout l'amour de Saint-Amant pour la nature se retrouve et où son bonheur à la peindre agréablement lui revient aussi. Peut-être Boileau n'aurait-il jamais voulu faire les vers suivants; peut-être n'aurait-il jamais pu les faire :

Le fleuve est un étang qui dort au pied des palmes,
De qui l'ombre plongée au fond des ondes calmes

Sans agitation semble se rafraîchir

Et de fruits naturels le cristal enrichir;

Le firmament s'y voit, l'astre du jour y roule;

Il s'admire, il éclate en ce miroir qui coule,

Et les hôtes de l'air en ce miroir divers

Volant d'un bord à l'autre y nagent à l'envers...
Et mille rossignols perchés sur les buissons
Font au loin retentir leur douce violence

Et rendent le bruit même agréable au silence.

Saint-Amant n'a nullement dérobé la grande réputation qu'il eut en son temps, et n'a nullement mérité le ridicule

dont le groupe de 1660 prétendit le couvrir. Il n'eut qu'un malheur, celui, après avoir réussi trop tôt par des ouvrages secondaires, de faire attendre trop longtemps et de donner trop tard sa grande œuvre. Le Moïse parut en 1653, et c'était un poème dans le goût de 1630; et l'école de 1660 était déjà là toute prête à rejeter dans l'ombre les productions de la génération précédente. Deux jugements portés sur Saint-Amant, l'un par un partisan, l'autre par un ennemi, doivent rester. Furetière a dit de lui : « C'est le bourgmestre de la province des Idylles », et Boileau: « Il avait assez de génie pour les ouvrages de débauche et de satire outrée, et aussi quelques fortunes heureuses dans le sérieux. »- On ne sait pourquoi Boileau est toujours plus juste en prose qu'en vers.

On doit placer encore dans le groupe des grotesques Cyrano de Bergerac, quoique, à vrai dire, Cyrano ne se range aisément nulle part. Comme poète comique, c'est un prédécesseur de Scarron; comme tragique, c'est un successeur de Garnier, parfaitement classique; comme fantaisiste, dans quelques poésies légères et surtout dans ses œuvres en prose, c'est un « grotesque », comme Théophile de Viau l'était déjà. En somme, c'est un « virtuose », un génie très souple qui se plie facilement à tous les genres et qui réussit assez brillamment dans tous. Aventurier, capitan, bretteur, spadassin et, tout compte fait, un peu fou, mort à trente-cinq ans après l'existence la plus agitée, il a laissé des Lettres, qui sont des fantaisies comme nous en faisons dans nos « causeries » et dans nos «< chroniques » ; une tragédie : la Mort d'Agrippine; une comédie le Pédant joué; un roman fantastique intitulé : les États et Empires de la Lune et du Soleil. Nous nous occuperons plus loin de son théâtre. Ses Lettres sont

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pleines du plus mauvais goût et aussi d'imaginations aimables. C'est là qu'on apprend qu'un aqueduc est un « serpent liquide, un os dont la moelle chemine » ; qu'un arbre est « un lézard renversé qui pique le ciel et mord la terre »; que Pygmalion est « le seul homme qui ait épousé une femme muette »; et c'est là aussi qu'on trouve qu'au printemps « il semble que chaque feuille ait pris la figure et la langue du rossignol ». Mme de Sévigné dira : « Un oiseau, c'est une feuille qui chante. »

Ses États de la Lune et du Soleil se lisent encore. On y peut démêler quelque chose de l'imagination violente et de la satire paradoxale des Voyages de Gulliver. Certaine invention philosophique, beaucoup d'audace irréligieuse, un burlesque parfois assez savoureux, un art de conter qui n'est pas méprisable recommandent ces relations bizarres de voyages plutôt extravagants qu'extraordinaires, où il y a beaucoup de fatras.

Cyrano est intéressant pour l'histoire littéraire, parce qu'il représente plus que les hommes de cette époque une tendance qu'ils ont eue à peu près tous, une tendance philosophique, matérialiste ou naturaliste, comme on voudra, très analogue à celle du XVIII siècle. Dans l'histoire, encore à faire, des auteurs qui, à travers le XVII* siècle, ont continué une des traditions du XVI et servi de chaînon entre le XVIe siècle et le XVIII, Cyrano, à cet égard, occuperait une très grande place et retiendrait longtemps l'attention.

Toute cette période de 1600 à 1630 est, comme on le voit, irrégulière par excellence. Des classiques si réguliers qu'ils seront les modèles de l'école de 1660, Malherbe, Colomby; des demi-classiques comme Racan; des romantiques qui sont classiques de temps en temps,

comme Théophile; des romantiques glissant dans le burlesque, comme Saint-Amant; des fantaisistes faisant prévoir Diderot, comme Cyrano de Bergerac : c'est une pleine anarchie; mais l'anarchie n'a rien qui doive répugner en littérature, et elle ne fait autre chose que rendre l'histoire littéraire plus intéressante.

CHAPITRE II

LE THEATRE DE HARDY A CORNEILLE

:

L'irrégularité fut la même au théâtre. Hardy et les fantaisistes de 1600 avaient déjà rompu le moule classique qu'avaient construit et que s'étaient imposé Jodelle, Garnier et Montchrétien. De 1610 à 1630, on fit de tout au théâtre des bergeries, qui étaient des romans dialogués, des tragi-comédies, qui étaient des comédies historiques, des comédies, qui étaient des farces, et même des tragédies qui, soit hasard, soit intention, soit effet de l'imitation, étaient des tragédies régulières. Nous avons dit quelque chose déjà de la pièce de Racan intitulée les Bergeries. Elle est le type même de ce genre pastoral adoré au théâtre jusqu'en 1635. Anachronisme perpétuel : Diane, Druides, devins, le tout sur le bord de la Seine et parlant un langage tout moderne. La pièce n'est rien qu'un prétexte à conversations galantes qui sont quelque fois très aimables, à descriptions qui sont souvent très belles, et à rêveries qui sont fréquemment d'un grand poète.

Dans le même genre il faut encore citer la Sylvanire ou la morte vive, « fable bocagère en vers libres », parce

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