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liques, d'un grand charme de sentiment, d'une grande délicatesse de pensée et d'une grande pureté de style. Cela forme un volume qui commence par l'Introduction à la connaissance de l'esprit humain, et qui se complète par les Réflexions et Maximes. Certaines de ses sentences sont restées célèbres et sont toujours citées : « Les grandes pensées viennent du cœur. » - « Il faut avoir de l'âme avoir du goût. » pour « La clarté est la bonne foi des philosophes. » « On ne peut être dupe d'aucune

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vertu. » Ces pensées nous mettent très loin d'Helvétius et de d'Holbach. Il ne faut pas croire pourtant que Vauvenargues fût en réaction contre son temps. Il l'était, au contraire, contre les moralistes du XVIIe siècle, tous plus ou moins ou plutôt presque également misanthropes et pessimistes, et il avait ceci de commun avec ses contemporains, qu'il avait confiance dans les forces personnelles pour être vertueux. Le fond de son système est dans ce mot « Si vous avez quelque passion que vous sentez noble et généreuse, qu'elle vous soit chère », et pourrait se résumer en cette formule : « S'abandonner aux passions nobles ». Aucun moraliste chrétien n'aurait affirmé

qu'il y a dans l'homme des passions où l'on pût s'abandonner sans crainte. Descartes même n'a pas de l'homme une idée aussi favorable.

Vauvenargues nous ramène à Montaigne, à un Montaigne du moins; car on sait qu'il y en a plusieurs, et il ressemble beaucoup à Montaigne quand Montaigne est optimiste, admirateur des vertus stoïques et en humeur de dire du bien de l'homme, ce qui n'est pas si rare. Il a, on peut le dire, enchanté Voltaire, et le seul jour peut-être où Voltaire ait été éloquent et lyrique, ç'a été pour faire l'éloge de Vauvenargues. Dans l'Eloge funèbre des officiers qui sont morts dans la guerre de 1741, il parle ainsi de son jeune ami disparu : « Tu n'es plus, ô douce espérance du reste de mes jours! O ami tendre, élevé dans cet invincible régiment du roi, toujours conduit par des héros, qui s'est tant signalé dans les tranchées de Prague, dans la bataille de Fontenoi, dans celle de Laufelt où il a décidé la victoire! La retraite de Prague, pendant trente lieues de glaces, jeta dans ton sein les semences de la mort que mes tristes yeux ont vu depuis se développer. Familiarisé avec le trépas, tu le sentis s'approcher avec cette indifférence que les philosophes s'efforçaient jadis ou d'acquérir ou de montrer... Je t'ai vu toujours le plus infortuné des hommes et le plus tranquille... Je n'étais point surpris que dans le tumulte des armes tu cultivasses les lettres et la sagesse; ces exemples ne sont pas rares parmi nous... Mais par quel prodige avais-tu, à l'âge de vingt-cinq ans, la vraie philosophie et la vraie éloquence sans autre étude que le secours de quelques bons livres? Comment avais-tu pris un essor si haut dans ce siècle de petitesses? Comment la simplicité d'un enfant timide couvrait-elle cette profondeur et cette force de génie? Je sen

tirai longtemps avec amertume le prix de ton amitié. A peine en ai-je goûté les charmes. C'est ta perte qui mit dans mon cœur ce dessein de rendre quelque honneur aux cendres de tant de défenseurs de l'État pour élever aussi un monument à la tienne. Mon cœur rempli de toi a cherché cette consolation sans prévoir à quel usage ce discours sera destiné, ni comment il sera reçu de la malignité humaine qui épargne d'ordinaire les morts, mais qui quelquefois aussi insulte à leurs cendres quand c'est un prétexte à déchirer les vivants.>>

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Voltaire aimait beaucoup Vauvenargues, parce que Vauvenargues était parfaitement aimable, mais aussi parce qu'il voyait en lui le contrepied même de Pascal. On le sent bien aux notes dont il accompagne sa très belle oraison funèbre et aux pensées de Vauvenargues qu'il recommande particulièrement. « Que ceux qui pensent, dit Voltaire, méditent les maximes suivantes : « La raison nous trompe plus souvent la nature »; « La pensée de la mort nous trompe; car elle nous fait oublier de vivre »; « Nous devons peut-être aux passions le plus grand avantage de l'esprit » ; — « La plus fausse de toutes les philosophies est celle qui, sous prétexte d'affranchir les hommes des embarras des passions, leur conseille l'oisiveté. » « On voit, continue Voltaire, par ce peu de pensées que je rapporte, qu'on ne peut pas dire de Vauvenargues ce qu'on a dit de ces philosophes de parti, de ces nouveaux stoïciens (les jansénistes probablement), qui ont imposé aux faibles :

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Ils ont eu l'art de bien connaître
L'homme qu'ils ont imaginé,

Mais ils n'ont jamais deviné

Ce qu'il est ni ce qu'il doit être. »

Quoi qu'il en soit, Voltaire ne se trompait point en admirant en Vauvenargues une très belle âme et un très remarquable écrivain.

On ne saurait oublier Condillac dans cette liste des principaux philosophes du XVIIIe siècle. L'abbé de Condillac est l'homme qui, des idées éparses du XVIIIe siècle sur la nature de l'homme, a fait un système, probablement faux, mais solide, bien construit, très clair, très sérieux aussi, et dégagé des excentricités et des sottises de la polémique. Son Essai sur l'origine des connaissances humaines et son Traité des sensations sont une exposition complète de philosophie sensualiste, c'est-à-dire de cette philosophie qui croit que tout ce qui est en l'homme y est déposé par la sensation, et que l'homme est fait tout entier de sensations, transformées peu à peu en sentiments, en idées, en raisonnements, etc. Cette philosophie qui était en germe, si l'on veut, car il y aurait à discuter, dans Locke, et à l'état latent dans Voltaire, adorateur de Locke, dans Diderot et dans presque tous les esprits du XVIIIe siècle, a trouvé dans Condillac son expression nette, systématique et définitive. Condillac, assez peu estimé de son temps, où l'on était plus attentif, comme presque en tous les temps, à ceux qui crient fort qu'à ceux qui parlent net, a eu une très grande fortune après sa mort. Il fut chef d'école. Sa philosophie devint classique. Elle fut enseignée partout en France jusqu'à l'avènement de Louis XVIII et de Royer-Collard.

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