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aux mains des Arnauld, des Bossuet (ce qu'on oublie trop) et de Pascal, ce que l'on sait assez; d'autre part la philosophie laïque, si je puis dire, qui du reste n'a jamais cessé d'être chrétienne, a produit à cette époque le Cartésianisme, qui par lui-même est une grande doctrine, par sa méthode est le grand initiateur de tout le mouvement intellectuel moderne, par son influence et ses dérivations, par Malebranche, par Leibniz, par Spinoza, enveloppe tout le XVII et presque tout le XVIII° siècle, et est, jusqu'à Kant, le seul solide entretien de la pensée humaine; — d'autre part enfin, ce à quoi encore on ne songe pas assez, la grande école de psychologie et d'observation morale, c'est-à-dire, toute la littérature depuis Pascal et La Rochefoucauld jusqu'à Racine, Molière et La Bruyère, n'est pas autre chose qu'une partie de la science philosophique, et essentielle, puisqu'elle en est la base même.

L'histoire est moins bien représentée au XVIIe siècle que la littérature et la philosophie. Encore que Mézeray soit un homme de critique historique déjà très sûre, de grande recherche et diligence, et excellent écrivain, ce n'est pas un grand historien. Mais il ne faut pas oublier que Bossuet, par son Discours sur l'Histoire Universelle, a créé quelque chose de très grand, de très contestable aussi, mais qui a eu pendant bientôt trois siècles la plus éclatante fortune, c'est à savoir la philosophie de l'Histoire. Vico, qui semble s'y connaître, le proclame formellement et personne ne peut le sérieusement contester. Jamais, avant cette dissertation célèbre, on n'avait songé à chercher à établir les lois qui président au développement de l'humanité; et que la loi qu'a trouvée Bossuet ne soit pas la vraie, et que peut-être ce soit chimère d'en cher

cher une, cela n'empêche pas que l'art de la chercher n'ait été inventé par Bossuet; et que la philosophie de l'histoire ne soit pas une science, cela n'empêche pas que ce ne soit un homme du XVIIe siècle qui l'a créée.

Enfin, ce qui marque plus que tout l'éclatant mérite et l'éclatante supériorité de ce grand siècle, c'est que, non seulement, comme nous le disions plus haut, devant la postérité française le XVII° siècle garde toujours sa prééminence et son prestige, mais encore le XVIIe siècle français a été immédiatement adopté par toutes les nations de l'Europe, Angleterre, Allemagne, Italie, Espagne, jusque là que la Littérature française est redevenue à cette époque ce qu'était la littérature de France au XIII siècle, littéralement une littérature universelle; jusque là qu'elle a comme pesé sur les destinées des littératures étrangères pendant un siècle au moins; jusque là qu'il a fallu chez chacun des peuples étrangers un effort, et quelquefois très énergique, pour échapper enfin à cette espèce d'asservissement.

A tous les égards donc le XVII siècle n'a ni illégitimement obtenu son nom de grand siècle classique, ni reçu à tort le privilège qu'il a gardé jusqu'aujourd'hui de faire concurremment avec l'antiquité latine et grecque l'éducation littéraire des générations nouvelles.

SIXIÈME PARTIE

LE XVIII SIÈCLE

CHAPITRE PREMIER

LA SUITE ET LA RÉACTION.

Ce qui frappe d'abord dans l'état de la littérature française au XVIIIe siècle, c'est une réaction contre le siècle précédent. Nous en avons déjà vu quelques traces dans la Querelle des anciens et des modernes; car l'hostilité des modernes contre les anciens était tout autant, sinon plus, une hostilité à l'égard des grands hommes du XVIIe siècle eux-mêmes. Cette répugnance continua sous ses deux formes. Les Fontenelle, les La Motte, Fénelon lui-même, quoique « ancien », repoussent beaucoup de choses dont la génération précédente raffolait, les vers par exemple. La Motte est poète, Fontenelle l'a été, Fénelon ne le fut jamais, qu'en prose, et tous ont à l'égard de la poésie ou de la versification française une certaine animadversion. Montesquieu va venir, qui ne laissera pas d'avoir à l'endroit des poètes quelque chose des mêmes défiances; Marivaux n'aime ni les anciens ni les versificateurs. Toutes ces tendances contribuèrent à former de 1710 à 1725 environ une littérature un peu

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sèche, très fine, piquante, spirituelle, mais sans grandeur, sans véritable fécondité et sans richesse.

Houdar de La Motte, qu'on appelait quelquefois alors La Motte-Houdar, fut l'homme le plus en vue de cette école, si l'on peut dire qu'il y eut école. Il s'était essayé au théâtre, sans y avoir beaucoup réussi, dans sa jeunesse. Il fit au moment de son apogée des Fables extrêmement spirituelles, d'un très joli tour, où il n'y avait aucune espèce d'imagination poétique; des Odes, qui sont ce que sont trop souvent les Odes dans la littérature française, à savoir des discours en vers, mais qui le sont encore plus chez lui qu'elles ne l'étaient à l'ordinaire; beaucoup d'écrits de critique où il y a des idées, de l'argumentation, de la finesse au service souvent de thèses singulières, mais qui ne justifient pas mal ce que disaient les « modernes >> contre M. et Mme Dacier :

Nous dirons toujours des raisons;

Ils diront toujours des injures.

Enfin, sur le tard, comme compensation de quelques déboires ou récompense d'une vie littéraire très honnête et très estimable, il toucha au grand succès avec une tragédie, Inès de Castro, qui, en effet, n'est pas loin, comme conduite et même comme pathétique, d'être excellente.

La Motte fut placé haut en son temps. Voltaire, dans les premières années de sa correspondance, parle sans cesse de La Motte et de Jean-Baptiste Rousseau, toujours en considérant le premier comme un penseur qui n'est pas assez poète, et le second comme un poète qui n'est pas assez penseur.

La Motte avait comme second, dans les batailles littéraires qu'il livrait, le spirituel abbé de Pons, qu'on appe

lait le bossu de M. de la Motte, sorte de pamphlétaire et de journaliste littéraire, Rivarol de 1710, qui était l'homme le plus malin et le plus divertissant de l'époque et qui faisait tomber une pluie d'épigrammes sur les adversaires de M. de la Motte et les siens.

Il ne faut pas croire cependant qu'il y ait eu rupture entre le XVII et le XVIIIe siècle, comme il y avait eu entre l'école de 1660 et ce qui l'avait précédé. Sans compter ou plutôt en comptant pour beaucoup l'excellent Rollin, qui, dans ses Histoires anciennes, manque trop complètement de critique, mais qui, dans son Traité des Études, s'est montré non seulement pédagogue très avisé, mais moraliste informé et délié, Jean-Baptiste Rousseau représente à cette époque l'esprit classique dans ce qu'il a de plus austère, de plus rigoureux et de plus net. Ses Odes ne sont le plus souvent que des amplifications assez banales relevées d'abstractions personnifiées, ce qui n'est pas pour les animer ni réchauffer extrêmement; mais il est très bon versificateur; il a l'oreille juste et le sens du rythme, et l'on peut, l'on doit prendre chez lui d'excellentes leçons de métrique. Il a été surtout un épigrammiste très remarquable. Nous avons cité une de ses épigrammes contre La Motte. En voici une autre qui ne nous semble pas éloignée d'être un chef-d'œuvre du genre :

Un vieux Rohan, tout bouffi de son nom,
Oppressé fut du foudre apoplectique.
Un vieux docteur, homme de grand renom,
Appelé fut dans ce moment critique.

Près du malade, il s'assied, prend le pouls :

« Eh bien, dit-il, comment vous sentez-vous ? »
Point ne répond. Notre rusé Boerhave

Lui crie alors d'un ton un peu plus fort:

« Monseigneur!... Rien! Peste! Le cas est grave!

« Prince!... Au plus mal!... Votre Altesse!... Il est mort. »

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