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la déclamation, du moins s'abandonne avec une certaine complaisance. L'impression qu'il fit fut du reste très grande sur les hommes. Madame de Maintenon l'estimait infiniment. Deux esprits aussi différents que possible, Louis XIV et Voltaire, ont laissé de lui chacun un grand témoignage. Louis XIV lui disait : « Mon Père, j'ai entendu de grands orateurs; j'en ai été fort content. Toutes les fois que je vous ai entendu, j'ai été très mécontent de moi-même. » Il est vrai que l'âge est ici pour quelque chose et que Louis XIV était jeune quand il entendait Bossuet et vieux quand il écoutait Massillon. Voltaire, qui aimait Massillon, peut-être un peu parce que Massillon adorait Athalie, dit quelque part : « Les sermons du Père Massillon sont un des plus agréables ouvrages que nous ayons en notre langue. J'aime à me les faire lire à table. Les anciens en usaient ainsi et je suis très ancien. >>>

Massillon, encore qu'il eût sa place plutôt parmi les moralistes éloquents que parmi les grands chrétiens, et quoiqu'il annonce Vauvenargues plus qu'il ne rappelle Bossuet, est encore un des prédicateurs les plus distingués de l'histoire de notre Église.

La Philosophie prenait elle aussi, et bien plus encore, des voies nouvelles. Le scepticisme la pénétrait peu à peu, et elle se détachait, non seulement de la religion, mais du sentiment religieux et même de l'idéalisme. Pierre Bayle fut le premier qui, par amour, par passion de la tolérance, seule passion qu'il ait jamais eue, s'appliqua doucement à convaincre les hommes qu'ils ne doivent être convaincus de rien. Journaliste, et très lu, dans ses Nouvelles de la République des Lettres, philosophe, érudit, critique littéraire, historien dans son Dictionnaire histo

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rique et critique, il causa agréablement, quoique avec trop de diffusion et de négligence, sur toutes choses, montrant de toute idée qu'elle est probable, que le contraire en est probable aussi, que les opinions des hommes sont très intéressantes et infiniment incertaines, et qu'il faut les aimer, les caresser, les parer, les embellir, les produire complaisamment dans le monde et ne jamais se battre pour elles.

Bayle est un Montaigne bourgeois, ce que je dis parce que je n'ose dire un Montaigne trivial. Il avait de l'esprit, du reste, un esprit d'ironie rentrée et sournoise qui souvent est un vrai régal. Très honnête homme au demeurant, il n'a donné à ses semblables que de bons conseils, et s'il est vrai, et c'est probable, que toute la philosophie du XVIIIe siècle soit sortie de son Dictionnaire, il n'est pas responsable d'héritiers qu'il eût désavoués, en voyant que l'apôtre de la tolérance avait pour fils les plus intolérants des hommes. « Je suis effrayé de l'intrépidité d'affirmation que je trouve partout autour de moi. C'est un mot de Fontenelle au milieu du XVIIIe siècle. C'est la vieille sagesse de Pierre Bayle qui parlait ce jour-là par la bouche de son disciple.

Fontenelle n'avait pas débuté par la philosophie, et tant s'en faut. Spirituel et précieux, digne d'être né du temps de l'Hôtel de Rambouillet et de rivaliser avec Voiture, il paraissait à La Bruyère, qui le croquait sous le nom de Cydias, effroyablement suranné. Il faisait de petits vers galants, des églogues d'une incroyable froideur, des opéras très fades, des tragédies ridicules, comme l'Aspar, le Bellerophon, le Brutus, des Dialogues des morts assez ingénieux, mais bien contournés. Il méprisait les anciens et ne prouvait pas par son exemple que

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les modernes leur fussent supérieurs. Vers trente ans déjà, et surtout vers quarante, il trouva sa véritable vocation. C'était l'exposition et la vulgarisation scientifique, l'exposition très littéraire des découvertes de la science. Quand, à trente ans, il donna șes Entretiens sur la pluralité des mondes, on put continuer de le trouver prétentieux, mais on dut reconnaître qu'il avait un fond solide; quand, à partir de quarante ans, comme secrétaire perpétuel de l'Académie des sciences, il prononça et publia ses fameux Éloges des Savants, on vit qu'on avait affaire à un savant très informé et très précis et à un rapporteur d'une clarté et d'un agrément extrêmes, spirituel encore, mais sans manière, malicieux même, mais sans être désobligeant et plein encore du désir de plaire, mais sans coquetterie fade. Les Éloges se lisent encore avec le plus grand charme.

Fontenelle était un sceptique décidé, mais sans allures agressives, merveilleusement intelligent, mais mettant, même à penser, une sorte de discrétion où entrait autant de prudence que de bon goût. Il aimait infiniment laisser deviner sa façon de voir et soupçonner ses opinions. Il disait souvent : « Si j'avais les mains pleines de vérités, je me garderais de les ouvrir. » Il n'eut jamais lieu, du reste, d'être trop tenté de les entr'ouvrir. Homme de bons mots jusqu'à la fin de sa vie, et recherché pour cela de tous les salons, comme il avait quatre-vingt-dix ans ou peut-être quatre-vingt-dix-neuf et demi, car il poussa jusque-là, et qu'on lui disait : « La mort vous a oublié », il regardait autour de lui comme avec inquiétude et disait : << Chut! » A un certain point de vue, chut! a été pendant toute sa vie la devise de ce philosophe circonspect.

La Bruyère, lui, ne cacha jamais sa façon de penser. Il

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