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Cette discrétion, La Fontaine ne l'a pas connue. Il n'a pas écrit aussi jeune que Boileau et Racine, et plus âgé qu'eux de vingt ans, il est arrivé en même temps qu'eux à la célébrité; mais, à partir du moment qu'il commença à écrire, il écrivit toujours. Il commença par admirer Malherbe et par imiter Voiture. Ballades, rondeaux et épigrammes et madrigaux, en petit nombre du reste et sans prodigalité, occupaient ses loisirs et divertissaient ses amis. Il y en avait de spirituels, il y en avait d'insignifiants. Rien dans tout cela ne pouvait faire prévoir un grand poète, et peut-être le plus grand poète que nous

ayons.

Rien ne lui fait un plus grand honneur que ceci, que son premier bel ouvrage lui fut inspiré par la pitié et l'amitié. Son Elégie aux nymphes de Vaux, placet en vers pour Fouquet, renferme des vers où est déjà tout le génie de La Fontaine.

A partir de ce temps, soit dans son charmant Voyage en Limousin, soit dans son très beau roman mêlé de vers de Psyché, soit dans ses Contes, condamnables au point de vue moral et que La Fontaine est surtout blâmable d'avoir fait trop nombreux, qui ne laissent pas, encore, d'être un peu diffus et d'une trame trop lâche, mais qui sont gais, vifs, spirituels, d'une versification souvent admirable, et même quelquefois gracieux et touchants, La Fontaine se montra homme de grand talent poétique, appartenant encore plutôt à la première moitié du siècle qu'à la seconde, contemporain plutôt de Racan, de Théophile et de Saint-Amant que de Racine, mais vrai poète déjà, merveilleux versificateur surtout, et se montrant capable de faire de sa légère plume tout ce qu'il voudrait.

Puis vinrent les Fables qu'il poursuivit (concurremment

avec de nouveaux Contes) jusqu'à la fin de sa vie. Les Fables de La Fontaine sont peut-être le chef-d'œuvre de la littérature française. On les a considérées à des points de vue bien différents et toujours on est resté en admiration devant elles. On y a vu une peinture satirique de la société du temps, cette hiérarchie des animaux représentant la hiérarchie sociale, le lion étant le roi, le tigre, le léopard, le loup étant le seigneur, l'ours le noble campagnard, le renard et le singe les courtisans, l'âne, la chèvre, le mouton les gens du peuple, sans compter le chat bien fourré qui naturellement est le magistrat; et vues de cette façon, les Fables sont le modèle d'une fine satire et toutes pleines d'une jolie observation qui ne laisse pas d'être assez profonde.

On y a vu une peinture de l'humanité tout entière, et il est bien vrai que, puisque cette peinture n'a pas vieilli, c'est donc que ce sont les hommes de tous les temps qui, sous masques d'animaux, font les personnages de cet << ample comédie », dont « la scène est l'univers ».

On y a vu sinon un système, du moins une conception philosophique, ramenant l'homme au « naturalisme » de quelques anciens, de Rabelais dans une certaine mesure et de Montaigne à ses heures, le rapprochant de la bonne nature, lui donnant sinon comme modèles, du moins comme indication les mœurs naïves, innocentes et en vérité assez avouables des bons animaux, lui enseignant qu'entre eux et nous il n'y a pas si grande différence que notre orgueil se le persuade, et qu'ils nous peuvent apprendre beaucoup de choses; et ce point de vue encore n'est pas si faux, et, sans avoir étudié sous Gassendi, La Fontaine est encore celui de nos poètes qui ressemble le mieux à Lucrèce.

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On y a voulu voir encore les simples confessions et confidences d'un promeneur solitaire, l'amour des champs, des vallons et des bois, la contemplation ravie des couchers de soleil, des matins clairs, des ruisseaux ridés par les vents, des rivières à l'onde transparente, des garennes solitaires et de tout le peuple velu, emplumé, écaillé, trotte-menu, bruissant et fourmillant, qui fait son manège dans l'ample sein de la nature pacifique; et à considérer ainsi cette œuvre si complexe, on a raison encore, et selon notre goût moderne, c'est la façon la plus naturelle de la considérer et celle qui nous donne les plus vives jouis

sances.

Cela revient à dire que La Fontaine est un de ceux qui ne se mesurent pas, puisque, quelque mesure qu'on lui applique, et elle s'accommode à lui et il la dépasse. « C'est notre Homère » a-t-on dit, et aussi bien aurait-on pu dire c'est notre Virgile, et c'est notre Arioste, et : c'est notre Goethe; et aussi bien j'ai dit plus haut : c'est notre Lucrèce.

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Il n'y a guère que les grands dramatistes qui restent en dehors de la formule qu'on peut lui appliquer; et encore ses Fables sont des petits drames où chaque personnage a sa physionomie très distincte et où le dialogue a un relief tout à fait scénique.

Ajoutons que l'instrument a été digne de l'artiste et qu'aucun poète français depuis Ronsard jusqu'à Hugo n'a manié les sonorités et les rythmes d'une façon plus sûre, plus savante ni plus agréable. Il y avait un musicien merveilleux dans La Fontaine, un homme qui peignait par les sons et les tours et les coupes du vers aussi bien que par les mots, si pittoresques eux-mêmes, qu'il employait, un homme qui a fait cette gageure d'écrire en vers irrégu

Lydie

Avant que de courly arel funester lieux,
Aproche, et tent la main; cellery t'est donnée.
Pour gage des douceurs d'vn fidele hyménée.
Te voicy mien, Patroile, et tu n'es plus a toy;

Sif au an

d'on long que je protend I amoy.

T'entends desia le bruit des premierol alarmes;
Allons; mel propres mains to vestiront tes armel.
Promett mos tout au moins de modérer ton coeur.

Patrocle

Je vous promets de vaincre aprel cette fumeur.

FRAGMENT DE LA TRAGÉDIE DE LA FONTAINE INTITULÉE ་་ ACHILLE »

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