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tigieux et dangereux, de soutenir le mouvement premier et l'élan pendant douze ou quinze strophes comme dans l'ode VII: « Assez de funestes batailles... >>

Ce qu'il a de plus beau encore, c'est la plénitude de la strophe, ce je ne sais quoi de ferme, de résistant et de « tendu », en prenant ce mot dans un sens favorable, qui fait que l'esprit a la sensation d'un tissu serré, solide en même temps que brillant :

C'est en la paix que toutes choses
Succèdent selon nos désirs;

Comme au printemps naissent les roses,
En la paix naissent les plaisirs.

Elle met les pompes aux villes,

Donne aux champs les moissons fertiles,
Et de la majesté des lois

Appuyant les pouvoirs suprêmes,

Fait demeurer les diadèmes

Fermes sur la tête des rois.

Il ne s'embarrasse pas en général d'images neuves et originales. Il prend les plus naturelles; mais il les relève par la perfection du détail et la richesse grave de l'expression. Du reste il ne repousse point une comparaison ingé nieuse, pourvu qu'elle soit juste :

Qui ne voit encore à cette heure

Tous les infidèles cerveaux

Dont la fortune est la meilleure
Ne chercher que troubles nouveaux,
Et ressembler à ces fontaines,
Dont les conduites souterraines
Passent par un plomb si gâté,
Que toujours ayant quelque tare,
Au même temps qu'on les répare,
L'eau s'enfuit d'un autre côté ?

Il n'a eu presque aucune sensibilité et presque aucun

sentiment de la nature. Quatre strophes de la Consolation à du Périer, déparées par les autres, et une strophe sur les bords de l'Orne » ne doivent pas faire illusion làdessus; mais il a eu le plein sentiment de la haute poésie lyrique, impersonnelle, consacrée, comme celle de Pindare et comme, d'ordinaire, celle des poètes hébreux, à l'expression des grandes idées générales, idées religieuses, idées morales, idées patriotiques, et leur donnant la forme lyrique et le mouvement lyrique.

Quelques particularités sont à relever chez ce grand métricien. Il a fait des vers de neuf syllabes, comme Ronsard, et il en a trouvé peut-être le vrai rythme :

L'air est plein | d'une haleine de roses.

Tous les vents | tiennent leurs bouches closes...
Toute chose aux délices conspire.

Mettez vous en votre humeur de rire...

Il a fait des vers de onze pieds, des hendécasyllabes, comme le recommandait du Bellay. Mais ce sont de faux hendécasyllabes, la sixième étant toujours une muette qui se trouve absorbée par le repos de l'hémistiche et en définitive l'hendécasyllabe devenant ainsi pour l'oreille un vers de dix pieds coupé au milieu :

Plus je le suppli(e), moins ai de mercy...

En vous seule on trouv(e) qu'il gèle toujours...
Tant soit-il extrêm(e) ne vous émeut pas...
M'ôter l'espéranc (e) de rien obtenir...
Plus ma résistanc(e) montre sa vertu...
Quand j'aime sans pein (e), j'aime lâchement...
Je suis à Rodant(e); je veux mourir sien...

Malherbe, sans avoir été suivi par beaucoup de disciples, a été si respecté qu'il a eu, même tout de suite, une grande influence sur la langue. Vaugelas est son élève

et se réclame de lui. Balzac de même. Non seulement il a « dégasconné » la langue; mais il l'a fortifiée en la ramassant dans «<< la clarté de ce tour heureux » qu'admirait tant Boileau. A ne le considérer que comme poète, il est le plus énergique, le plus vigoureux et il n'est pas le moins éclatant de nos poètes lyriques.

Son école proprement dite fut, comme nous l'avons indiqué, très restreinte. Il n'eut en vérité que trois disciples, l'un servile et qui n'a pas de talent, Colomby; l'autre d'un certain talent, mais très indépendant et qui en somme lui doit peu, Maynard; l'autre plein de talent, mais tout à fait indiscipliné et qui en vérité ne lui doit rien, et qui est plutôt un ami fasciné qu'un disciple, Racan.

Maynard était né en 1582. Fils d'un conseiller au Parlement de Toulouse, il fut secrétaire de la reine Marguerite de Navarre, qui lui donnait des « matières » à mettre en vers, disant que « c'était un orfèvre excellent qui savait admirablement sertir les pierreries ». Il fut fort à la mode sous Henri IV, ami de Desportes, de Régnier, surtout de Malherbe. Il n'était pas toujours de l'avis de Malherbe, notamment sur les repos à observer dans les strophes. Il se permettait de faire des sonnets libertins, c'est-à-dire où les deux quatrains n'étaient pas sur les mêmes rimes. « Mais ce ne sont pas des sonnets, lui disait-on. Eh bien! ce sera des épigrammes; et n'en parlons plus!» Il fit un voyage à Rome avec un ambassadeur. Sur la fin de sa vie, il se retira dans sa charge de président au bailliage d'Aurillac, très morose, très aigri contre l'injustice des hommes, vraiment insupportable dans les plaintes qu'il adresse à Chapelain, à Balzac, à Gomberville, cherchant à se concilier la bien

veillance du cardinal de Richelieu qui ne pouvait pas le souffrir, enrageant de la médiocrité de sa petite fortune et écrivant avec une fausse résignation sur la porte de sa petite maison de campagne :

Las d'espérer et de me plaindre

Du peuple, des grands et du sort,
C'est ici que j'attends la mort
Sans la désirer ni la craindre.

Il était de l'Académie française. C'est à lui, en 1646, que Pierre Corneille a succédé. Malherbe a montré peu de goût, pour une fois, en déclarant que Maynard était peu doué pour l'épigramme parce qu'il lui manquait la pointe. C'est à l'épigramme que Maynard réussit le mieux. Il en a d'amusantes et divertissantes par l'imprévu :

La faveur des princes est morte;
Malherbe, en notre âge brutal,
Pégase est un cheval qui porte
Les poètes à l'hôpital.

Il en a de sournoises, prolongées, insistantes, qui enfoncent le trait, puis le poussent plus loin, puis le retournent, très joliment cruelles :

Ce que ta plume produit

Est couvert de trop de voiles;
Ton discours est une nuit
Veuve de lune et d'étoiles.

Mon ami, chasse bien loin
Cette noire rhétorique;
Tes ouvrages ont besoin
D'un devin qui les explique.
Si ton esprit veut cacher
Les belles choses qu'il pense,
Dis-moi, qui peut t'empêcher
De te servir du silence?

Il en a qui sont des portraits, et la mode du portrait, qui sera si universelle, si prolongée jusqu'au grand éclat de La Bruyère, peut être considérée comme datant de lui. Un nouvelliste, un magistrat de province, une vieille prétentieuse, voilà les caractères que l'on trouve, assez lestement enlevés, dans ses petits vers.

Ses odes ont quelque chose de l'ampleur et du tour de Malherbe, mais rien de son mouvement. Elles sont très froides. Il a laissé quelques belles élégies. L'une d'entre elles fut très célèbre en son temps sous le titre de La Belle Vieille, et fait encore un singulier plaisir. C'est à une femme qu'il prétend avoir aimée toute sa vie qu'il s'adresse :

Je sais de quels regrets il faut que je t'honore,
Et mes ressentiments ne l'ont pas violé.
Si quelquefois j'ai dit le soin qui me dévore,
C'est à des confidens qui n'ont jamais parlé...

L'âme pleine d'amour et de mélancolie

Et couché sur des fleurs et sous des orangers,
J'ai montré ma blessure aux deux mers d'Italie
Et fait dire ton nom aux échos étrangers...

Ce n'est pas d'aujourd'hui que je suis ta conquête :
Huit lustres ont suivi le jour que tu m'as pris;

Et j'ai fidèlement aimé ta belle tête

Sous des cheveux châtains et sous des cheveux gris.

Cet élève de Malherbe avait un peu de ce qui manquait à Malherbe, malice spirituelle et sensibilité amoureuse, et rien de ce qui constituait le génie supérieur de Malherbe.

Racan, tout aussi éloigné de Malherbe comme caractère et tournure d'esprit, s'en rapproche en ceci qu'il est un grand poète. Assez illettré, lisant très mal dans le latin, page, puis soldat, ami de Malherbe jusqu'à être un peu

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