Page images
PDF
EPUB
[ocr errors][ocr errors][merged small][ocr errors][merged small][ocr errors][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small][merged small]

Le mouvement poétique fut très vif et même passionné pendant tout le XVIIe siècle, mais particulièrement dans la première moitié de cette période, parce que plus tard, d'une part de plus grands prosateurs attirèrent à eux une partie de l'attention, d'autre part le mouvement poétique lui-même se concentra un peu dans le théâtre, au détriment de la poésie proprement dite.

Les poètes de 1610 à 1630 environ sont très curieux. Il ne faut pas croire, à cause du grand nom de Malherbe, qu'ils constituèrent une école classique. C'est le contraire. La littérature de 1600 à 1630 fut une littérature romantique, et particulièrement la poésie fut une poésie

[ocr errors]

romantique où dominaient l'imagination, le caprice et la
fantaisie, parfois désordonnée. Au milieu d'elle Malherbe
est un isolé, à peine suivi d'un ou deux disciples, eux-
mêmes assez indépendants, et chose curieuse, qui se pro-
duit quelquefois en littérature, il a formé une école, et
très grande, mais quarante années environ après sa mort.
Commençons si l'on veut par lui et son groupe, mais
en sachant bien qu'il est, de son temps, en minorité.
était né au milieu du XVIe siècle, en 1555, et il avait été
le contemporain de la Pléiade, de du Bartas, de d'Au-
bigné, à plus forte raison de Desportes et de Bertaut. Il
avait commencé par être un poète pétrarquiste et pré-
cieux comme à peu près tout le monde, et rien n'est inté-
ressant comme de voir combien facilement Malherbe eût
été un « romantique », et très brillant, s'il l'eût voulu.
Les larmes de saint Pierre, imitées du poète italien Tan-
sillo, renferment des traits bien ridicules d'affectation ou
d'emphase, mais aussi de très réelles et éclatantes beau-
tés, et Chénier n'avait pas tort de déclarer que, « comme
versification, c'était un chef-d'œuvre ». Des strophes
comme celles-ci sont achevées :

On voit par ta rigueur tant de blondes jeunesses,
Tant de riches grandeurs, tant d'heureuses vieillesses,
En fuyant le trépas, au trépas arriver;

Et celui qui, chétif, aux misères succombe,

Sans vouloir autre bien que le bien de la tombe,
N'ayant qu'un jour à vivre, il ne peut l'achever.

Salut,

La paraphrase du couplet de Prudence sur le massacre
des innocents : « Salvete, flores martyrum...
fleurs des martyrs... » est absolument exquise :

Que je porte d'envie à la troupe innocente
De ceux qui, massacrés d'une main violente,

Virent dès le matin leur beau jour accourci !
Le fer qui les tua leur donna cette grâce
Que, si de faire bien ils n'eurent pas l'espace,
Ils n'eurent pas le temps de faire mal aussi.

De ces jeunes guerriers la troupe vagabonde
Allait courre fortune aux orages du monde,
Et déjà pour voguer abandonnait le bord,
Quant l'aguet d'un pirate arrêta leur voyage;
Mais leur sort fut si bon que, d'un même naufrage,
Ils se virent sous l'onde et se virent au port.

Ce furent de beaux lis, qui, mieux que la nature,
Mêlant à leur blancheur l'incarnate peinture
Que tira de leur sein le couteau criminel,
Devant que d'un hiver la tempête et l'orage
A leur teint délicat pussent faire dommage,
S'en allèrent fleurir au printemps éternel.

Mais Malherbe fut peut-être le seul qui ne fût pas satisfait de ses débuts poétiques. Peut-être, comme je l'ai indiqué, par suite de son commerce avec du Vair, plus probablement par suite de ses propres réflexions, il se mit à mépriser toutes les fausses beautés de la poésie contemporaine, à condamner Desportes, à biffer d'abord les trois quarts de Ronsard, puis Ronsard tout entier, par bravade, à n'avoir quelque indulgence que pour Bertaut et à faire de toutes pièces toute une législation poétique d'une extrême rigueur et dont voici les principaux traits :

Mettre plus de « raison » dans la poésie, c'est-à-dire en proscrire obscurité, négligence, trivialité, imagination artificielle.

L'obscurité vient d'une composition mal surveillée : il faut composer une pièce avec une extrême diligence et ne rien laisser à l'imprévu; - ou d'une syntaxe incertaine jamais un tour n'est assez net; ou d'inversions pénibles : jamais d'inversions.

La négligence est cause de la diffusion il faut, dans une clarté parfaite, être concis, ramassé et fort (voilà pourquoi il a quelque faible pour Bertaut).

La trivialité est négligence encore. Il faut s'entendre : la syntaxe populaire est nette, franche et directe. Elle est bonne. C'est pour elle (ce semble) qu'il renvoie aux crocheteurs du port aux foins comme à des maîtres de la langue. Mais pour les mots il fait un choix : il ne veut ni d'archaïsmes, comme Ronsard, ni de « dialectes » ni de mots techniques, comme Ronsard encore.

Enfin l'imagination artificielle, ce sont les allégories froides, si estimées des poètes de l'ancienne France et que la Pléiade n'a point proscrites et que d'Aubigné prodigue encore; ce sont les métaphores recherchées et prolongées, qui sentent le travail de l'auteur sur les mots et par conséquent l'artifice; c'est l'abus de l'esprit et même l'esprit en vers, l'esprit étant un jeu et non une émotion ou un mouvement naturel.

Contradiction dont il ne s'est pas aperçu, il maintient la mythologie, qui est tout ce qu'il y a de plus artificiel comme imagination artificielle.

En résumé, il y a dans la doctrine de Malherbe une sorte, non de proscription, encore qu'il le crût, mais de redressement et d'épuration de la doctrine classique contenue déjà dans Ronsard. Malherbe, c'est Ronsard continué, Ronsard rectifié, Ronsard combattu.

:

Ronsard continué tendance au grand, poésie majestueuse et sévère, grands genres littéraires et mépris des petits genres, mythologie.

:

Ronsard rectifié moins de prolixité, moins de négligences, point d'obscurités, point d'inversions (Ronsard les avait déjà combattues), moins d'imitation (Malherbe à

« PreviousContinue »