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LIVRE

DES

35118

ORATEURS

PAR

TIMON.

QUATORZIÈME EDITION

ORNÉE DE VINGT-SEPT PORTRAITS GRAVES SUR ACIER.

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Je dois au public, au public seul, la fortune assez grande de mon ouvrage. Grâce à lui, je puis lire sur le frontispice, ces mots qui chatouillent agréablement l'oreille d'un auteur: Treizième édition.

Certes, je n'aurais pas ainsi ouvert treize fois au public la porte de mon atelier, s'il n'eût pas mis quelque plaisir à venir voir et revoir mes portraits, et s'il ne les eût pas trouvés ressemblants.

Je n'ai pas fait ces portraits de fantaisie et d'imagination, comme ne les fait que trop souvent la postérité; je les ai peints d'après nature. Mon livre a deux parties : les préceptes et les exemples :

Quelques-uns auraient voulu que je procédasse dans mes préceptes par divisions et par syllogismes, à la manière des pédants. J'ai préféré d'être plaisant dans le grave et grave dans le plaisant, selon le génie de ma nation. Si j'ai été vrai, c'est que j'ai retracé ce que j'ai vu tel que je l'ai vu; si je n'ai pas été ennuyeux, c'est que les lecteurs français ne veulent pas, par-dessus tout, qu'on les ennuie; et si j'ai mis un peu d'ironie, un peu de pamphlet dans les préceptes mêmes de l'éloquence parlementaire, c'est tout simplement parce que je m'appelle Timon.

Si maintenant nous passons des préceptes aux exemples, et si l'on me demande N'avez-vous pas peint les uns trop en laid et les autres trop en beau? En d'autres termes : Êtes-vous indépendant de vos amis aussi bien que de vos adversaires, je répondrai oui, et j'ajouterai que je l'ai été jusqu'à rester tout seul de mon avis et sur mon banc '.

Mais si l'on me demande : Êtes-vous impartial envers les orateurs politiques de votre temps? Oh! pour cela, je répondrai non, et je demanderai à mon tour: Y a-t-il un seul de ces orateurs eux-mêmes qui soit im

'A la fameuse séance du 7 août 1850.

partial? Y a-t-il un seul de leurs amis, un seul de leurs panégyristes qui soit impartial? J'aurais donc voulu l'être que, pas plus qu'eux, je ne le pouvais pas, et j'aurais pu l'être, d'ailleurs, que je ne l'aurais pas voulu, car c'eût été reconnaître que le bien et le mal me sont indifférents: que les gouvernements peuvent indistinctement se conduire par toutes sortes de règles; que tous les systèmes les plus opposés sont également bons, pourvu qu'ils réussissent; qu'il n'y a ni vrai ni faux dans les matières d'État, ni vice ni vertu dans les hommes du parlement et du ministère, ni grandeur ni faiblesse dans la constitution des empires; enfin, qu'il n'y a ni leçons dans l'histoire, ni expérience dans les faits, ni fidélité dans les sentiments, ni moralité dans les actions, ni conséquences dans les principes. Non, je ne suis pas impartial ou plutôt éclectique de cette façon-là, et je crois à Dieu en politique, comme en tout le reste.

Qu'on me permette ici, car j'en ai besoin, de me précautionner contre les dérobées d'amour-propre, les récriminations sourdes et les suggestions intéressées de messieurs les orateurs qui prétendraient que j'ai eu, en les regardant, les yeux tout à fait aveuglés par la passion, le dépit, la colère ou quelque autre trouble de ce genre, et que je les ai travestis, uniquement parce que je ne les aurais pas loués avec un ridicule excès. D'ailleurs, quoiqu'il n'y ait presque jamais de bonne grâce à parler de soi, je dois dire au public qui visite ma galerie, dans quelle condition de fortune et d'esprit je me trouvais, lorsque j'ai peint nos orateurs.

Je voulais alors et je voudrai toujours ce que voudra mon pays, lorsque mon pays m'aura dit ce qu'il veut. J'ai combattu alors et je combattrai toujours et partout, toutes les tyrannies, la républicaine comme l'oligarchique. Ordre, liberté, que m'importent ces noms, sans la chose? Je ne me soucie pas plus du despotisme que de l'anarchie, et pas plus de l'anarchie que du despotisme. Je ne suis pas non plus de ces gens qui ne veulent abattre le pouvoir que pour prendre sa place; qui poussent au mal dans la vue du bien, à ce qu'ils disent; qui votent des lois détestables pour que le gouvernement en devienne encore plus odieux; qui rendent leurs adversaires affreux et qui les barbouillent de noir, pour qu'on crie après eux: Hue!

J'ai pris mes pinceaux sans faveur ni sans haine. Ai-je donc eu quelque bienfait à reconnaître? Non. Ai-je eu quelque injure à venger? Non.

Par devoir et par principe, j'ai repoussé les honneurs de la magistrature. du Conseil d'État et du ministère, il y a treize ans, dans l'âge de l'ambition. J'ai passé cet âge. Je ne souhaite que de demeurer dans la position obscure et solitaire où je me suis volontairement retiré. Je me contenterais d'être moins encore que je ne suis. Y a-t-il de nos jours un poste, si haut qu'il

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