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« Je le déclare, l'un des plus grands crimes politiques qu'on ait jamais commis contre l'existence du peuple, contre la prospérité du peuple, contre la subsistance du peuple, ce sont les lettres de Timon « sur la liste civile et les dotations du roi Philippe. Timon a semé plus « de ruines, plus de misères, plus de souffrances, plus de famine dans « les foyers du pauvre peuple, que dix ans de guerre et de calamités « n'auraient pu le faire. A défaut de la justice humaine qui lui a laissé accomplir impunément cette œuvre d'iniquité, je lui prédis qu'un jour il surgira dans son âme quelque grand remords de son égare«ment, et qu'il déplorera avec amertume tout le mal qu'il a fait. Signé et contre-signé, FONFREDE. »

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Par Jupiter, lecteur! j'aurais pu affiler ma bonne lame, donner de la pointe à ce Scythe, à ce barbare, et lui rendre blessure pour bles

sure.

Mais nous autres, Grecs d'Athènes, si nous avons du sel aux lèvres, nous n'avons pas de fiel dans le cœur, et fût venu Henri Fonfrède jeter sur le Pirée l'ancre de son vaisseau, j'en prends Minerve à témoin, j'eusse été le chercher moi-même par la main, je l'eusse mené entendre le divin Platon sous les ombrages de l'Académie; je lui eusse servi à son souper une assiettée de notre miel si friand du mont Hymette, et je l'eusse reconduit, après l'avoir couronné de fleurs, aux confins de la république.

VIII.

LAMENNAIS.

Que dirai-je de M. de Lamennais pamphlétaire, de M. de Lamennais, l'un des penseurs les plus profonds de notre siècle, de M. de Lamennais, le plus illustre prêtre de la chrétienté? Quelle opiniâtreté de travail! quelle étendue de science! quelle fécondité d'imagination! quelle force de tête! Quel philosophe! quel dialecticien ! quel poëte! quel prosateur!

Comme il manie admirablement le pamphlet religieux, ce pamphlet qui dévoile l'homme à l'homme, qui attendrit notre nature rebelle pour mieux la soumettre, et qui fait vibrer toutes les cordes de notre âme! M. de Lamennais aime le peuple avec la simplicité d'un grand esprit. Il l'aime avec le cœur et la foi d'un chrétien. S'il lui rappelle ses droits, il lui enseigne aussi ses devoirs. S'il l'abat par la vue de ses plaies et de ses misères, ille console par les tressaillements sympathiques de la fraternité. S'il le remplit de pitié pour lui, il l'embrase d'amour et de tendresse pour les autres. S'il lui dit, comme tout noble cœur, de hair vigoureusement la tyrannie, il l'exhorte néanmoins à la dure patience de la servitude. S'il met la main à ses chaînes pour les soulever, il ouvre, devant ses yeux, des horizons célestes, tout couronnés de fleurs, d'abondance et de béatitudes infinies.

Jamais écrivain, depuis Bossuet, ne parla un plus haut, un plus éclatant langage. Il a, presque seul de nos jours, conservé les périodes, l'harmonie, les images, les divisions et le grand style de la littérature. Il n'habille pas sa pensée d'un faux clinquant. Il n'emploie pas des mots nouveaux et des locutions étranges et inusitées. La langue ordinaire suffit à son génie, soit que, d'une voix prophétique, il chante les hymnes du peuple dans les Paroles d'un Croyant; soit qu'il dévoile, dans l'Esquisse d'une Philosophie, les mystères de la création ou de l'intelligence humaine; soit que, dans les Affaires de Rome, il peigne d'un ton si chaud et si pur, les belles campagnes de l'Italie; soit que, dans ses libelles, il presse avec une logique sans pitié, l'ennemi qu'il va ter

rasser.

Mais on sent que M. de Lamennais est à l'étroit dans le pamphlet politique; il ne peut se plier, s'assouplir à ces luttes vulgaires contre des systèmes usés et des ministres de passage. Il n'est pas fait pour raser la terre avec ses ailes sublimes qui l'enlèvent naturellement vers le ciel, et qui le ravissent dans les hautes régions de Dieu et de l'éternité.

CHAPITRE III.

THEORIE DU PAMPHLET.

De même qu'il y a l'art du Discours, il y a aussi l'art du Pamphlet.

L'orateur parle aux députés, le publiciste aux hommes d'État, le Journal à ses abonnés, le Pamphlet à tout le monde.

Le Discours parlementaire se prononce devant une audience mêlée d'aristocratie et de populaire. Là, l'aristocratie, en costume d'ambassadeur et de pair de France, en toilette de marquise, en lorgnette et en gants jaunes, s'étale complaisamment dans les loges d'avant-scène. Le populaire oisif, qui, depuis le matin secoue, en plein air, la pluie et les frimas à l'abord des vestibules du Palais-Bourbon, s'introduit, se pousse, se coudoie, s'entasse, se foule et se penche du haut des combles. Mais la salle est étroite à le contenir.

Le Pamphlet, au contraire, a pour auditoire tout un peuple, un peuple immense de travailleurs intellectuels, artistiques et manuels.

Où le livre ne pénètre pas, le journal arrive. Où le journal n'arrive pas, le Pamphlet circule. Il court, il monte l'escalier du grand salon.. Il grimpe sous les tuiles par l'échelle de la mansarde. Il entre, sans se heurter, sous la basse porte des chaumières et des huttes enfumées. Echoppes, ateliers, tapis verts, âtres, guéridons, escabeaux, il est partout. Soldats, bourgeois, riches, pauvres, maîtres, artisans, lettrės, illettrés, vieux, jeunes, hommes et femmes de toute opinion et de tout état, se le passent de main en main et le dévorent. En moins d'une semaine, feuilleté, déchiré, noirci, taché, brisé, usé sous le pouce, il a fait comme un bon ouvrier, son tour de France.

Il n'est besoin pour endosser l'armet du pamphlétaire, d'ètre fils de famille et majeur, de sabler le champagne et de diner chez Véfour ; d'exhiber son diplôme de bachelier ès sciences ou de docteur en droit; d'avoir travaillé dans le parquet de monsieur le procureur du roi; d'étaler pignon sur rue; de payer la foncière ou la mobilière, le droit fixe ou proportionnel, cent écus d'impôt, ni même un écu, ni même cinq centimes. Il suffit de posséder une plume de fer un peu effilée par le bout, avec dix francs pour acheter une rame de papier et trente francs pour solder une feuille de composition. Pourquoi donc ne se lance-t-on pas dans cette voie qui mène si vite, non pas à la fortune, mais à la célébrité? Ce n'est pas à moi, lecteur, vous entendez bien, à vous dire ce pourquoi; j'aime mieux vous laisser le plaisir de le deviner, et en dix ou en cent, je vous le donne!

On a demandé à quoi tenait l'universalité de la langue française? Elle tient à sa clarté. Il n'y a rien de plus universel que la lumière.

Le Pamphlet est par-dessus tout français, chez les Modernes ; il était par-dessus tout athénien, chez les Grecs.

Le Pamphlet doit être riche de couleurs, simple d'allure, étincelant de clarté, exact de calcul, hardi de raisonnement, varié de ton, s'il veut plaire, et il veut plaire puisqu'il est Français. Il parle à chacun son langage, parce qu'il a plusieurs langages. Avec le logicien, il argumente ; avec le mathématicien, il chiffre; avec le publiciste, il enseigne; avec le poëte, il chante; avec le peuple, il cause.

Comme le Français est un peuple imaginatif, il veut que, sans la lui dérober, on lui cache parfois la vérité sous le voile d'une fine allégorie ; que l'argumentation osseuse et rude du logicien se recouvre de chair et s'anime, et qu'elle devienne chaude et colorée jusqu'à la poésie.

Comme le Français est dialecticien, il veut d'autres fois qu'on lui montre la vérité toute nue, sans parure de langage, sans autre tissu que celui du raisonnement, et il se fâche si vous raisonnez faux, et il le sent et il vous le dit.

Comme le Français est prompt d'esprit, qu'il finit les phrases que vous commencez et qu'il va vite à la conclusion, il faut souvent ne lui dire que la moitié des choses et lui laisser le plaisir de vous dire le reste. Comme le Français est gai, vif, impétueux, ardent, il veut qu'on aille par bonds, qu'on se précipite, qu'on se mêle à ses passions, qu'on se jette dans ses colères, qu'on rie de ses joies; qu'on chante des hymnes pour la gloire et pour la liberté, et qu'on lance avec lui des imprécations contre les tyrans.

II y a de tout cela dans le peuple français, et il faut qu'il y ait de tout cela aussi mêlé d'ombre et d'éclat, d'art et de négligences, de raison et de passion, de sérieux et de narquois, de verve et de dégoût, de logique et de figures, de vifs abords et de conclusions brusques, d'apostrophes et de résumés dans le Pamphlet. Il faut donc que le Pamphlet soit, tour à tour, sérieux, badin, positif, allégorique, simple, figuré, agressif ou défensif, et, en tous points, accommodé au génie de notre nation qui n'aime ni ce qui est obscur, ni ce qui est long, ni ce qui est pesant, ni ce qui affirme sans prouver, ni ce qui vent trop prouver, trop expliquer, trop dire.

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