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pouvoir, ni de l'arbitraire des ministres. On en est réduit à paraphraser les textes les plus vulgaires, à tourner les positions et à se tordre la bouche pour ne rien dire. Aussi, y a-t-il peu de vérité et de substance dans les discours les plus applaudis et les plus vantés, et l'on est tout surpris, lorsqu'ils sont dépouillés du prestige de l'accentuation et du débit, de n'y plus rien retrouver, ni forme, ni fond. Ni forme, parce que la beauté et les grâces qui animaient la voix et les gestes de l'orateur, ne passent point dans le style; ni fond, parce qu'il n'y a et qu'il ne peut y avoir dans tous ces discours, ni grands principes, ni grandes pensées. Vus de près, ce n'est plus que l'ombre indécise et vague, les proportions descendues et la hardiesse effacée d'une colonne qui semblait monter dans les cieux. Autre dissemblance de la Presse et de l'Oraison :

On écoute l'orateur avec enthousiasme, on lit l'écrivain avec réflexion. L'un agit davantage sur les sens extérieurs et sur les passions de l'auditoire, l'autre sur l'esprit et sur la raison des lecteurs.

La voix humaine des orateurs n'embrasse, quelque sonore qu'elle soit, que la portée d'un hémicycle restreint; la voix intellectuelle des écrivains est si rapide qu'elle vole par-dessus les monts et les mers, et si perçante qu'elle traverse les murs des palais et qu'elle s'insinue par les fentes des chaumières.

Les coloristes de la Tribune ne font souvent que barbouiller de leurs enluminures les dessins de la Presse, sans rien ajouter ni à la pureté du trait, ni à l'invention du sujet, ni à la beauté des formes.

La Tribune a plus de mouvement. La Presse a plus d'idées.

La Tribune a plus d'autorité obligatoire. La Presse a plus d'initiative fécondante.

Avec un budget voté pour plusieurs sessions, des codes tout faits, des lois complètes, on pourrait absolument, si ce n'est constitutionnellement, se passer de la tribune pendant plusieurs années. On ne pourrait, d'aucune manière, se passer un seul jour de la presse.

Les orateurs et les écrivains diffèrent encore par
L'orateur a la physionomie de toute sa personne.

L'écrivain n'a que la physionomie de son style.

d'autres points:

L'orateur arrange ses plis, pour se draper à la romaine.

L'écrivain laisse saillir ses muscles et ses nerfs sur le nu de son

discours.

L'un vit dans le monde des yeux et des oreilles, et l'autre dans le monde des idées.

Mais comme il est plus facile d'avoir des yeux et des oreilles que des idées, il est plus facile aussi d'avoir une personne originale qu'un style original.

On tient compte à l'orateur, en bien ou en mal, de ses avantages out de ses défauts corporels; on ne s'en occupe pas dans l'écrivain.

Si Hortensius se présente aux rostres avec une barbe sale et négligée et une grosse verrue sous l'œil, les Romains éclateront de rire. Mais qu'importe que Cicéron ait la ceinture flottante et un pois chiche sur le nez, quand il écrit ?

La Tribune est un théâtre, l'éloquence un spectacle, et l'orateur un comédien. Quand on baisse la toile, le peuple le suit et l'accompagne en battant des mains. Il le nomme à haute voix. Il le salue dans les rues et sur les places de la ville, et il baise respectueusement le bas de sa toge. C'est un homme d'exposition publique. On le moule en plâtre, on le coule en bronze, on le pose sur le frontispice des temples et des Musées. S'il meurt, on porte son cercueil à bras, à travers une double haie de gens et à la lueur de mille flambeaux. Puis, on inscrit son nom sur le mausolée, et il faut dire que, le plus souvent, c'est de lui à peu près tout ce qu'il reste.

Mais quel est cet homme au front dépilé, dont le dos se voûte, et qui se glisse parmi la foule sans la voir et sans en être vu? C'est Chateaubriand. Quel est cet autre homme enveloppé d'un manteau brun, qui passe tout auprès et qui le coudoie? C'est Lamennais. Il clignote de l'œil, il frôle la muraille et il porte ses mains en avant de peur de trébucher. Mon Dieu! qu'ils sont, dans la rue, tous deux grêles et petits! Qui, mais dans leurs œuvres, ils ont dix pieds de haut.

L'art de parler et d'écrire n'est plus, comme la rhétorique de nos pères, un art sublime, mais frivole, fait uniquement pour l'amusement des nobles esprits. Il s'est élevé à la hauteur d'une mission sociale.

La civilisation a changé de courant. L'épée a cessé d'être la souveraine et unique maîtresse des empires. L'éloquence et la Presse se soumettent, de proche en proche, toutes les parties de l'Europe. Les orateurs et les écrivains sont les rois de l'intelligence, et c'est l'intelligence qui finira par gouverner le monde.

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J'insiste sur la comparaison des orateurs et des écrivains politiques. Le sujet est neuf, et je ne l'épuiserai pas.

L'écriture, de même que l'oraison, n'est qu'une forme de l'éloquence; discours ou pamphlets, autres moyens, même but.

Qu'est-ce donc qu'un pamphlet? Le mot le dit assez. C'est un opuscule sur un sujet donné, politique ou littéraire. C'est l'art d'animer la pensée, de la refléter dans des prismes colorés, de la vêtir de force, de l'armer de traits et de feux, et de la lancer dans le combat.

Tout ce qui honore la vertu, tout ce qui flétrit le crime, tout ce qui punit les tyrans, tout ce qui chante la gloire, la patrie et la liberté, tout cela est pamphlet.

Tacite n'a-t-il pas buriné le pamphlet historique, lorsqu'il peignait, avec sa touche mâle, les sombres figures de Tibère, de Caligula et de Néron? Archiloque, Horace, Perse, Juvénal, Boileau, Swift, Gilbert, n'ont-ils pas armé d'un vers sanglant le pamphlet satirique? Bossuet, Bourdaloue, Massillon, n'ont-ils pas fait le pamphlet sacré, lorsque, du

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སྐྲ་དང་བྱུང་བས

haut de la chaire, ils tonnaient contre les magnifiques adultères de Louis XIV? Quand Fénélon, dans son Télémaque, déroulait les terreurs nocturnes du tyran de Sidon, n'était-il pas un pamphlétaire? Quand le tendre Racine plaidait la canse des prolétaires accablés par l'impôt, et que Louis XIV disait : « De quoi se mêle ce poëte? » Racine n'était-il pas un pamphlétaire? Quand Socrate but la cigué pour avoir Hétri les dieux de l'Olympe, n'était-il pas non plus un sublime pamphlelaire?

A les bien comprendre, Démosthène et Cicéron ont été non moins pamphlétaires qu'orateurs. Les Olynthiennes, les Verrines, les Catilinaires, écrites et divulguées dans l'empire grec et romain, ont en plus de retentissement que les allocutions de ces orateurs, perdues dans le cirque étroit de l'Agora ou du Forum. Mirabeau n'a pas été moins éloquent dans son pamphlet contre la noblesse de Provence, que sur les banes de l'Assemblée constituante. Aristophane, Lucien, Théophraste, Abailard, Pascal, Molière, Voltaire, Beaumarchais, Sieyes, Franklin, La Bruyère, ces admirables pamphlétaires de la religion, de la philosophie, de la morale, de la littérature et de la politique, ont plus fait pour la gloire et le bonheur de l'humanité, que tous les paraphraseurs de tri

bune.

Ce sujet me plaît, c'est le mien, je m'y sens à l'aise, et je veux esquisser ici les portraits de quelques pamphlétaires célèbres qui existent encore, ou qui sont morts il y a peu de temps, et qui tous se sont mêlés plus ou moins au mouvement de la vie politique.

Je commencerai par le pamphlétaire de la bourgeoisie, par l'abbé Sieves.

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Au moment où une grande révolution est près d'éclater, chacun vous sait gré de dire ce que personne n'a encore dit ou n'a pas osé dire, quoique tout le monde le pense. Alors, ne faire même que poser la question, c'est la résoudre.

Sieyes la posa en ces termes : Qu'est-ce que le Tiers-État? Tout.

Le reste du pamphlet devenait inutile. La question posée, la preuve

était faite.

L'abbé Sieyes fut le promoteur libéral du gouvernement de la classe moyenne, dont M. Guizot n'a été que le continuateur doctrinaire. Ce système bourgeois qui régna sous la Convention même, que l'Empire absorba dans le pouvoir d'un seul, que la Restauration n'a pu essayer de modifier sans périr à la tâche, et que la Révolution de juillet a pleinement établi le maître des affaires, jusqu'à quel point peut-il se concilier avec le principe de la souveraineté du peuple? C'est ce qu'on ne nous a pas encore dit, ni Sieyès, ni les autres.

Sieyes n'était remarquable ni par le tour et les grâces du style, ni par la force et la sublimité des pensées, ni par la véhémence oratoire, ni par la vigueur de l'argumentation. Mais, théoricien absolu, dialecticien exercé, comme les abbés indépendants de ce temps-là, il joignait à la finesse un peu aiguë de la scolastique, la hardiesse des philosophes. Il voyait les choses d'un point de vue abstrait, sans acception des personnes, des intérêts positifs, des précédents, ni des institutions. Il suivait un principe qu'il voulait reconnaître et mettre à nu, comme un conducteur opiniâtre suit à la sape le filon d'une mine. Il ne laissait plus rien à dire, tant il l'épuisait à fond, sur une question qu'il avait traitée. Il posait, chemin faisant, des axiomes aujourd'hui devenus vulgaires, alors inconnus et presque effrayants par leur nouveauté. Il possédait surtout l'art de coordonner un plan, de charpenter une constitution et d'agencer toutes ses parties avec une sorte de symétrie et de majesté. Espèce de penseur très-propre par la fécondité, la science et la profondeur de sa méthode, à résumer les faits généraux d'une situation, les exigences dominantes de l'opinion, les déductions complètes d'un principe, et, par conséquent, à formuler un évangile politique, une loi organique, une Charte, une Déclaration de droits. Aussi le bouillant Mirabeau, pressé qu'il était de fonder un gouvernement nouveau, interpellait Sieyes et se plaignait de son silence, comme d'une calamité publique.

Mais Sieyes, pour être un des grands esprits de l'Assemblée constituante, n'aimait pas cependant les luttes de tribune. Replié sur lui-même et enseveli dans ses méditations, il poursuivait, au milieu du bruit et de la foule, l'organisation solitaire de ses utopies.

A la vérité, lorsqu'il eut à renverser l'ancien régime, il ne manqua ni

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