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voix, qu'une seule loi, sa volonté. Notre capitale, nos villes, nos armées, nos flottes, nos palais, nos musées, nos magistrats et nos citoyens, devinrent sa capitale, ses villes, ses armées, ses flottes, ses palais, ses musées, ses magistrats et ses sujets. Il traîna la nation sur des champs de bataille, où nous n'avons laissé d'autre souvenir que l'insolence de nos victoires, nos cadavres et notre or. Enfin, après avoir assiégé les forts de Cadix, après avoir eu dans ses mains les clefs de Lisbonne et de Madrid, de Vienne et de Berlin, de Naples et de Rome, après avoir fait trembler les pavés de Moscou sous le roulement de ses canons, il a rendu la France moins grande qu'il ne l'avait prise, toute saignante de ses blessures, démantelée, ouverte, appauvrie et humiliée.

Ah! si j'ai trop admiré peut-être cet homme extraordinaire qui fit à mon pays tant de bien et tant de mal, dont la mémoire sera éternellement glorifiée dans les ateliers et les chaumières, et dont le nom populaire se confondait, dans mon imagination, avec toutes les prospérités et toutes les espérances de la patrie; si l'orgueil de ses conquêtes a trop chatouillé mon cœur; si les rayons de sa gloire ont trop ébloui mes regards de jeune homme; du moment, ô liberté, où je t'ai connue, du moment où ton pur éclat s'est fait jour dans mon âme, c'est toi que j'ai suivie, toi de qui mes bras qui te pressent, ne pourront plus jamais se détacher; toi, liberté, seule passion des cœurs généreux, seul trésor digne d'envie! toi qui préfères aux hommes qui s'en vont, les principes qui ne changent jamais, et aux brutalités de la force, les victoires de l'intelligence; toi, qui es la mère de l'ordre et que tes calomniateurs voudraient coiffer du bonnet rouge de l'anarchie; toi qui tiens tous les citoyens pour égaux et tous les hommes pour frères; toi, qui ne reconnais de supériorité légale qu'à des magistrats responsables, et de supériorité morale qu'à la vertu; toi, qui vois passer sous tes yeux la fuite orageuse des empires héréditaires, comme ces nuages qui obscurcissent un instant la pureté d'un ciel serein; toi, qui luis à travers les barreaux du prisonnier politique; toi, que médite le sage, toi, que l'esclave appelle, toi, que soupirent les tombeaux; toi qui, comme un ouvrier voyageur, feras ton tour d'Europe, pour remuer les villes et les royaumes par la force et les enchantements de ta parole; toi qui, devant ta marche triomphale, verras tomber les barrières des douanes, les tribunaux

secrets, les prisons d'État, les supplices de l'échafaud, les aristocraties, les chartes bâclées, les armées permanentes, la censure et les monopoles; toi qui, dans une sainte alliance, confédéreras les nations diverses de langue et de mœurs, au nom du même intérêt, au nom de leur indépendance, de leur dignité, de leur civilisation, de leur repos et de leur bonheur; toi qui méprises les vaines conquêtes et les fausses grandeurs, et qui n'es pas descendue du ciel sur la terre pour l'opprimer, mais pour la délivrer et pour l'embellir; toi qui fécondes le commerce et qui inspires les beaux-arts; toi, qu'on ne peut servir qu'avec désintéressement, et qu'on ne peut aimer qu'avec transport; toi qui causes la première palpitation du jeune homme, et qui es la sublime invocation des vieillards; toi, liberté, qui, après avoir brisé leurs fers, conduiras les derniers esclaves, avec des chants de gloire et les palmes à la main, aux dernières funérailles du despotisme !

RESTAURATION.

Elle ne fut pas sans éclat cette époque de notre vie politique où la liberté, si longtemps comprimée par la main d'un despote, relevait la tête; où la France s'éveillait à des accents inconnus; où l'éloquence de la Tribune déliait sa langue de muette et parlait; où tous les intérêts, toutes les passions, toutes les espérances semblaient s'ètre donné rendez-vous autour d'elle, pour s'y disputer la possession du présent et la domination de l'avenir.

L'Empire, abattu dans son chef, vivait encore dans les souvenirs des vieux soldats. Il faut toujours une passion à la France. La liberté avait remplacé la gloire. Les émigrés rêvaient de Louis XV, les militaires de Napoléon, et les jeunes gens de la Révolution. Le peuple frémissait autour du Forum. C'était quelque chose alors qu'un député ! C'était beaucoup qu'un orateur !

Aujourd'hui, nous entendons encore parler la même langue. Le président s'assoit dans le même fauteuil doré. Les mêmes Cariatides supportent encore la même tribune; mais le peuple ne se presse plus en foule sur les degrés et dans les parvis du temple. Il ne croit plus aux oracles du gouvernement représentatif. Les temps sont froids, la nuit

s'approche, le soleil descend sous l'horizon et sa pâle lumière n'éclaire plus le monde.

Trois écoles politiques se disputaient le terrain de la Restauration : l'école Anglaise, l'école Légitimiste, et l'école Libérale.

M. de Serre était l'orateur de l'école Anglaise dont M. Royer-Collard était le philosophe. Ils avaient tous deux, pour principe, la souveraineté de la raison, pour moyen, la hiérarchie des pouvoirs, pour but, la monarchie parlementaire.

Autour d'eux, marchaient Camille-Jordan qui mouillait de larmes ses paroles; Pasquier, dont l'argumentation fluide échappait à l'analyse et à la réfutation; Saint-Aulaire qui jetait sa phrase avec la grâce négligée et impertinente d'un grand seigneur; Courvoisier, le plus dispos et le plus intarissable des parleurs, si Thiers n'eût pas existé; Siméon, profond jurisconsulte; Kératry, au verbe indigeste; De Cazes, ministre élégant et d'une charmante figure, dont la phraséologie n'était pas sans abondance et sans flexibilité, ni le geste sans éclat; qui, pressé, entraîné par les exigences du moment, par les fantaisies et par les peurs du château, par le flux et le reflux de mille ennemis, se laissait aller à la dérive de toutes sortes de courants; qui musela la liberté de la presse et suspendit les réactions de la terreur, et qui, maître de son maître et de la France, mêla les services aux fautes et la prudence d'un politique aux faiblesses d'un courtisan; Lainé, homme d'État vaporeux, mélancolique, rêveur, et dont la voix rendait les sons vagues d'une harpe d'Ossian; caractère indécis, main tremblante et molle qui ne sut pas tenir les rènes du pouvoir; mais orateur grave, à la parole cadencée, qui eut quelquefois l'éloquence du cœur et qui, compatissant aux proscrits, s'attendrissait sur leurs misères, et embrassait pour eux avec des pleurs et des supplications, les autels de la miséricorde et de la pitié; enfin, Beugnot, l'homme le plus fin du royaume de France et de Navarre, après M. de Sémonville, qui l'était moins que M. de Talleyrand.

L'école Légitimiste se fractionnait en deux parties.

L'une se composait d'hommes ardents, poussant les choses à l'absolu, ou d'hommes plus doux, dévots à Dieu dans le ciel et au Roi sur la terre.

L'autre se composait d'hommes non moins croyants, mais modi

fiés par l'exercice du pouvoir et qui s'accommodaient de la Charte, comme d'une nécessité plus forte qu'eux et que la royauté qui la subissait.

A la tête de la première phalange, brillait M. de la Bourdonnaie, qui proposa les fameuses catégories et qui fit expulser Manuel. Contre-révolutionnaire trempé à la manière des anciens conventionnels; subjugué par la raison d'Etat; plus impérieux qu'habile, et qui ne manquait dans son langage, ni d'élévation ni de vigueur.

M. de Lalot, dont la foudroyante allocution renversa le ministère Richelieu; plein d'images dans son style et d'une abondance véhémente et colorée.

M. Dudon, si profondément versé dans l'étude de la législation administrative, dont le front haut ne pliait devant aucune objection, et qui recevait à bout portant les coups de mitraille de l'Opposition, avec le flegme d'un Anglais.

M. de Castelbajac, qui s'agitait sur son banc, frappait du pied et du poing, criait, s'exclamait et interrompait les députés incrédules à sa foi monarchique.

M. de Bonald, orateur un peu nébuleux, philosophe religieux, et, sans contredit, l'un des plus grands écrivains de notre temps.

M. de Salaberry, chaud royaliste, orateur pétulant, marchant le pistolet au poing à la rencontre des libéraux, et répandant sur eux, du haut de la tribune, les bouillantes imprécations de sa colère.

M. de Marcellus, pour qui la royauté n'était pas seulement un principe, mais une divinité, et qui se prosternait devant son idole, avec la ferveur naïve d'un pèlerin et d'un chevalier.

M. de Villèle ressortait, comme une grande figure, sur le fond de ce tableau.

Autour de M. de Villèle on voyait groupés des hommes d'un mérite différent M. Corbière, l'un des jurisconsultes les plus savants d'une province où ils le sont tous; coureur de vieilleries littéraires; dialecticien caustique et pressant, qui attachait deux ailes à sa flèche pour qu'elle volât plus vite au but et qu'elle perçât plus sûrement ses adversaires; M. de Berbis, habile explorateur de budgets, esprit lucide, conscience droite; M. de Peyronnet, remarquable par les éclatantes vibrations de sa voix, par l'habileté ingénieuse de sa dialectique et par

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