Page images
PDF
EPUB

versé la monarchie de Louis XVI, la République, le Directoire, le
Consulat, l'Empire, la Restauration, les Cent Jours, la Caroléiade et la
Philippide, nous fournissent les plus intéressants exemples;

A la rotondité du budget, qui finira par crever d'une indigestion
d'or;

A la gloire de la France, qui brille d'un si vif éclat depuis les sables d'Alexandrie jusqu'aux rivages de Buenos-Ayres;

A des religions nouvelles qui, pour ne pas trop heurter les préjugés du peuple, pourront bien lui permettre d'adorer Dieu, pourvu toutes fois qu'à cette époque, il y ait encore un Dieu!

A des sociétés nouvelles, où il n'y aura plus de pauvres parce que tout le monde y sera riche, où il n'y aura plus de serviteurs parce que tout le monde y sera maître, et où il n'y aura plus de Code pénal, de prisons et d'échafauds, parce que tous les hommes y seront innocents et vertueux;

A des constitutions nouvelles, et si nouvelles qu'elles vivront chacune plus de dix-sept ans, treize jours, vingt-deux minutes, quatre secondes, et qu'elles ne dévoreront pas, l'une dans l'autre, plus de cinquante-trois ministres ;

A des Électeurs, si désintéressés et si peu exigeants que chacun d'eux ne demandera pas au député de son choix, plus d'une grande route, d'un chemin de fer, d'une rivière, de trois ponts, de quatre jugeries de paix et de six bureaux de tabac.

N'omettons pas, en finissant, une remarque essentielle et de la dernière importance, c'est que, d'ordinaire, un patriote banqueteur ne va festiner que pour la satisfaction des cinq sens parfaitement complets dont le Créateur l'a doué, et il ne lui suffit pas de bien boire et de bien manger, il faut encore qu'il voie, qu'il touche et qu'il entende le héros de la fête, car où n'y a-t-il pas de héros? et si ledit héros, ayant mal à la gorge ou à l'orteil, s'avisait de ne point parler, les banqueteurs désappointés ne manqueraient pas de dire que, s'ils avaient su cela, ils n'auraient pas payé leur écot de trois francs cinquante centimes; qu'il ne valait pas la peine de se déranger pour ne pas même voir le bout du nez de leur héros, ne pas lui toucher dans la main, et ne pas ouïr un mot de sa bouche; qu'on ne leur en a pas donné pour leur argent, et qu'une autre fois on ne les y reprendra plus.

[ocr errors][ocr errors]

Décidément, la France est le pays des Adresses. Il y a eu des Adresses où l'on a dit au Peuple: Affligez-vous et pleurez! comme si la douleur nationale se commandait à l'administration des pompes funèbres, avec les larmes d'argent et les chevaux empanachés! Il y a eu des Adresses où l'on a dit à Dieu : Nous venons de tuer à coups de sabre ou de canon une grande quantité d'hommes; Saint des saints! exaucez nos vœux ! celles-là sont impies. D'autres où l'on a dit au Parlement: Coupez avec le glaive la tête de nos ennemis; celles-là sont atroces. D'autres où l'on a dit au Pouvoir: Vous voyez notre dévouement; celles-là sont intéressées. D'autres où l'on a dit à un Prince: Vous êtes plus qu'un mortel; celles-là sont serviles. D'autres où l'on a dit à des Princesses: Vous êtes plus blanches que le lis de la vallée et votre haleine a le parfum des roses; celles-là sont simplement ridicules '.

Mais ce qui est plus ridicule encore, c'est de vouloir, dans une Adresse, faire accroire à un monarque sensé toutes sortes de choses nouvelles et surprenantes, dont il se serait douté assurément moins que personne; par exemple, qu'il guérit des écrouelles ou du choléra2; qu'il est digne d'être membre de l'Institut3; qu'il dore les moissons comme le soleil, et qu'il fait, comme la rosée du ciel, pousser les herbes des prairies et les champignons; s'il est guerrier, qu'il a de la gloire; s'il est pacifique, qu'il a du génie; s'il est prodigue, que l'économie est un vice; s'il est avare, que la lésinerie est une vertu; s'il est célibataire, que la nation ne lui survivra pas; s'il a des enfants, que sa dynastie se perpétuera jusqu'à la consommation des siècles; s'il est malade, que sa santé n'a jamais été plus florissante, et s'il est près d'expirer, qu'il est immortel.

Détestables flatteurs, race empestée, vous perdrez avec vos Adresses, vos compliments et votre phraséologie trompeuse, tous les gouvernements faibles et parleurs que vous servirez!

Oui, si les hommes graves de l'Europe se moquent de nos discou– reurs tant grands que petits; si la masse des locutions vicieuses, des rédondances, des périphrases, des qui et des que bons à retrancher dans les harangues ministérielles et responsables de la couronne, effraye l'imagination; si ces lieux communs, si cette fade rhétorique ont rem

3

Voir les millions d'adresses de la sorte.- Historique. — 3 Historique. Historique.

placé les réponses pleines de sens et de précision de Napoléon et de Louis XIV; si leur lecture est la plus lourde, la plus verbeuse, la plus filandreuse, la plus empâtée, la plus fastidieuse, la plus monotone, la plus assommante de toutes les lectures; si les casiers de l'imprimerie, si les cylindres de la presse à vapeur, si les rayons des bibliothèques, plient et se rompent sous le poids de leur volume, ce n'est pas aux empereurs et aux rois, plus ou moins constitutionnels, qu'il faut s'en prendre, mon Dieu! c'est au babil étourdissant, c'est aux exigences, à l'importunité de la nation officielle et complimenteuse.

J'admire, au contraire, que des princes tantôt légitimes, tantôt usurpateurs, tantôt mixtes, dont ce n'est assurément pas le métier ni le talent d'être orateurs, soient doués d'une assez prompte fluidité de parole, d'une assez merveilleuse patience, pour lutter contre le flot de tant de félicitations. J'admire, j'admire fort qu'on puisse répéter à tout venant les mêmes phrases, avec tout autant d'onction et de facilité que l'on marmotterait l'oraison dominicale; qu'on puisse se tenir sur le même pied, sans broncher, pendant des heures entières ; qu'on puisse remuer mécaniquement, un jour durant, les deux attaches de sa mâchoire, sans se désarticuler; qu'on puisse, sans fermer les yeux, sans tomber de sommeil, voir passer devant soi tant de travestissements, de visages plàtrés, de dos cintrés et de courbettes. Mais il y a des grâces d'état ! Heureusement, la Providence veille sur la France et sur ses gouvernements royaux, républicaux, directoriaux, impériaux, nationaux, antinationaux, et il faut espérer qu'après avoir triomphé de tant de conjurations, ils sauront bien, à la fin, triompher de tant d'Adresses!

Quand les héros de juillet eurent brûlé leur dernière cartouche, on s'interrogea avec anxiété et l'on se demanda: Eh bien, qu'allons-nous mettre à la place de ceci? Qui osera se dévouer et qui nous fera des discours? Le duc de Bordeaux lit à peine couramment. Le duc de Reickstadt nous haranguerait en patois de Bohême. Il nous faut quelqu'un qui sache nous entendre et qui puisse nous répondre. Français, ingrats Français! vous aviez trouvé celui qui sait vous entendre et vous répondre, celui qui parle en toute occasion, celui qui parle à tous, celui qui parle sur tout, celui qui parle autant, et plus, et mieux que pas un de vos avocats. Mais vous finirez, je vous en avertis, par tarir une abondance aussi extraordinaire de mots et par ne plus tirer de ce gosier sec

une seule parole, et vous ne vous doutez seulement pas de ce qui pourrait vous arriver à la première révolution, dont Dieu nous garde!

Qu'on offre alors le trône à qui on voudra, sous la condition de faire et d'ouïr tant de discours; qu'on le tambourine ce trône, qu'on le propose, chose tentante! avec vingt, avec trente millions de liste civile, au chiffonnier du coin ou au roi de Prusse, à un marchand de salades ou à l'empereur de toutes les Russies, vous n'en trouverez pas un, j'en fais serment, qui voulût accepter, pas un, pas un, et vous verrez plutôt si le trône ne resterait pas vacant et s'il ne faudrait pas le mettre à l'enchère et l'adjuger au rabais!

CHAPITRE IX.

DE L'ELOQUENCE MILITAIRE.

L'Eloquence militaire, chez les anciens, n'est guère qu'une fiction de leurs historiens et de leurs poëtes.

Haranguer des soldats, non pas dans le cirque et du haut d'une tribune, mais devant l'ennemi, comme on rapporte que leurs généraux l'ont fait, cela devait être beau, je suis loin de le nier, mais cela était tout simplement impossible.

Ces mots : « Viens les prendre, » de Léonidas à Xercès; celui d'Épaminondas mourant: « Je laisse deux filles immortelles, Leuctres et « Mantinée; » celui de César : « Je suis venu, j'ai vu, j'ai vaincu : » ces mots-là peuvent avoir été dits, précisément parce que ce ne sont que des mots. Mais d'un mot de quelques syllabes à une harangue de quelques pages, il y a loin. Il y a toute la distance du vrai au faux.

Si, en effet, à la Chambre des Députés, dans une salle où la répercussion des sons a été favorisée par les dispositions de l'acoustique, il y a cent membres au moins sur quatre cents, qui n'entendent jamais bien distinctement les allocutions les plus sonores des orateurs les plus exercés, comment les généraux de l'antiquité auraient-ils pu se faire ouïr sur les terrains accidentés d'un champ de guerre, devant le front étendu de

« PreviousContinue »