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qu'on ait bien soin de dire qu'on n'attaque pas les intentions. Et aussi, n'est pas non plus défendu d'interpeller du geste et du regard, les députés que vous ne pouvez nommer nominativement, pourvu que vous ne manquiez pas de dire que vous n'entendez absolument parler que du dehors où notez qu'il n'y a personne, et en aucune façon du dedans où notez que sont tous vos adversaires. C'est ce qu'en langage parlementaire, on appelle la haute et délicate bienséance des précautions oratoires. Donnezvous donc la peine d'être poli de la sorte, et qu'il y a de vérité dans ces mœurs-là !

III.

DE L'ÉLOQUENCE DES CLUBS.

L'Éloquence en veste de Clubiste, a aussi son genre d'orateurs, son jargon et sa température. Généralement, on étouffe de chaleur dans les Clubs, et l'on n'y voit pas trop clair. Si l'on y a toutes les peines du monde à parler à son tour, on peut, en revanche, y prendre le plaisir de parler tous à la fois. L'ordre à mettre dans les idées, n'est pas ce qui embarrasse le plus les orateurs du Club, parce qu'il est rare qu'on y ait plus d'une idée. Quant aux opinions, il est parfaitement libre d'en avoir une à soi, à condition néanmoins que ce sera celle des meneurs. On n'est pas là pour discuter, mais pour crier, et chacun vient, à son tour, souffler, à force de poumons, dans l'embouchure de la même trompette. Le plus grand orateur d'un Club, est toujours celui qui fait, dans le sens du Club, la motion la plus énergique, j'allais dire la plus extravagante. Si vous risquez un amendement, on vous regarde de mauvais œil; si vous insistez, on vous dénonce comme un perturbateur; si vous demandez la parole, on s'indigne de tant d'audace, on frémit d'une sainte colère, on crie à la trahison, et les catéchumènes vous jettent à la porte de leur petite église, bien heureux que vous êtes de n'avoir pas été mis par eux hors la loi, et de vous retrouver sain et sauf dans la rue, face à face avec le nez d'un sergent de ville.

L'Eloquence des Clubs est fort échauffée, fort écervelée, fort écheve

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lée, fort criarde, fort vantarde, fort hargneuse, fort désordonnée, fort intolérante, fort déclamatoire et fort peu éloquente. Elle a sans doute des qualités, mais je crois qu'elle les cache, et des modèles, mais je les ignore.

IV.

DE L'ELOQUENCE EN PLEIN AIR.

Vive l'Éloquence en plein air, l'Eloquence d'O'Connell, et parlons de

celle-là!

L'Éloquence en plein air ne convient ni en tous lieux, ni en toutes saisons. En tous lieux, car si en Amérique, en Irlande, en Belgique, en Allemagne, cent mille hommes rassemblés écouteraient patiemment un orateur, au contraire en Italie, en Espagne, en France, au bout d'un quart d'heure, on pourrait bien crier aux armes! et tirer des coups de fusil. En toutes saisons, car on est mal à l'aise pour ouïr un orateur de dessous un parapluie ou un parasol, et la plupart des assis— tants ont le vent au nez, les pieds dans la boue ou le soleil sur la tête, mais il en faut bien passer par là.

Il paraît, au surplus, que la déesse de l'Éloquence n'est pas bégueule et qu'elle sait volontiers se prêter à la circonstance. Tantôt elle monte sur un tonneau; tantôt elle se fait voir à la multitude par la lucarne d'une taverne; tantôt elle se hisse sur les roues de derrière d'un fiacre; elle se barbouille de lie de vin; elle escalade les hustings avec accompagnement de clefs forées, de trognons de choux et de pommes cuites; elle retrousse ses bras jusqu'aux épaules, et ivre de cris, d'injures et de bière forte, elle ne sort de la mêlée, qu'avec son tablier déchiré, des côtes enfoncées et des plaies saignantes! Ce n'est pas là le beau côté de son affaire.

Mais si l'Eloquence en plein air a ses saturnales, elle a aussi ses grandes et belles fêtes. Alors elle s'avance majestueusement, précédée de drapeaux où son nom est écrit en lettres d'or et d'azur. On la promène dans un char tiré par quatre coursiers superbes, et elle fend les flots

d'un peuple admirateur qui sème les fleurs et l'encens sous ses pas, et qui fait retentir les cieux de mille acclamations.

Ce n'est pas avec une voix flûtée, une poitrine étroite, une taille de nain, des gestes philosophiques et des yeux humblement baissés, qu'on fait de l'Éloquence en plein air. Le peuple ne comprend l'Éloquence et le génie que sous les emblèmes de la force; il veut respecter ce qu'il aime; il ne cède qu'à ce qui le pousse; il ne s'incline que sous ce qui le courbe; il ne comprend que ce qu'il entend bien; il ne s'attache des yeux qu'à ce qu'il voit de loin; il ne s'attache du cœur qu'à ce qui le remue; il ne s'inspire que de ce qu'il inspire; il ne rend bien que ce qu'on lui communique, et c'est le comble de l'art que l'orateur fasse accroire au peuple qu'il n'est que le porte-voix de ses opinions, de ses préjugés, de ses passions et de ses intérêts.

Il est donc presque indispensable que l'orateur populaire ait une haute stature, une voix tonnante, un port mâle, des yeux pleins de flamme. Il faut qu'il se mêle si bien à ceux qui l'écoutent qu'il ne paraisse pas pouvoir en être séparé; qu'il domine de la tête les flots de la multitude, qu'il les soulève d'un geste et qu'il les apaise d'un regard; qu'il soit le maître, le maître absolu de toutes ces âmes dont il ne paraît être que le serviteur; qu'il interpelle son auditoire, qu'il le presse, qu'il l'enlace dans les chaînes d'or de son éloquence, et qu'il ne lui laisse le temps ni de réfléchir, ni de se reposer, ni de se distraire; qu'il aille remuer au fond de ses entrailles, tous les grands sentiments de liberté, d'égalité, d'humanité, de pitié, de vertu, qui sommeillent dans le cœur de tous les hommes; qu'il évoque devant ces bouches béantes, devant ces yeux ardents et fixes, devant toutes ces têtes admiratives, les grandes images de la gloire, de la religion et de la patrie; qu'il vous égare au bord des riantes prairies; qu'il vous envoie des sons lointains de la flûte champêtre, ou qu'il saupoudre ses plaisanteries d'un gros sel; qu'il vous apostrophe vivement et qu'il attende votre réponse! enfin que, tour à tour, poétique et coloré, jovial et sarcastique, il vous fasse entendre les bruits immenses de la cité ou les mugissements de la tempête.

Un homme s'est rencontré qui a eu cette magie, qui a eu cette puissance, et cet homme est O'Connell '.

'Voir le portrait d'O'Connell.

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CHAPITRE VIII.

DE L'ELOQUENCE OFFICIELLE.

La cour de France (je ne parle pas de celle d'aujourd'hui) a toujours été la plus polie et la plus galante de l'Europe. Le monarque régnait sur les hommes, et les femmes sur le monarque, Odette, par exemple, sur Charles VI, Agnès Sorel sur Charles VII, la Féronnière sur François Ier, Gabrielle sur Henri IV, la Montespan sur Louis XIV, la Parabère sur le Régent, la Pompadour sur Louis XV. La cour imitait le roi, la ville imitait la cour, et les provinces imitaient la ville. Les chevaliers complimentaient les dames. Les poëtes complimentaient les grands seigneurs. Les graves prédicateurs de la chaire complimentaient les cadavres des princes, sous leurs suaires de velours et d'argent. Voltaire dut la moitié de sa gloire, à la délicatesse chevaleresque et fine de ses flatteries. En ce temps-là, la vie élégante s'usait à trouver des formules de plaire, à saluer avec grâce, à s'écrire et à parler poliment.

Tout ce peuple de fades adulateurs vint se heurter le front et se briser aux angles un peu rudes de la Révolution; mais une nation ne perd jamais son génie, et du compliment naquit l'Adresse, l'adresse aussi

souple, aussi variée, aussi efféminée, aussi universelle, aussi menteuse, aussi ridicule que le compliment lui-même.

L'Adresse est un arbrisseau tout particulier au climat de France; il y prospère, il s'y développe, il y pousse des branches dans toutes les directions et des feuilles de toutes couleurs.

Il serait impossible de nombrer les rames de papier qui, depuis cinquante ans, ont gémi sous le poids des Adresses. Quel est le Francais sachant lire et écrire, dont la signature ne se trouve pas au bas de quelque Adresse? Naissances de princes, avénement au trône de quelque dynastie que ce soit, morts de rois douces ou violentes, assassinat ou tentative d'assassinat, mariages et baptêmes de filles ou de fils de rois, victoires ou défaites, tout est bon pour les faiseurs d'Adresses; ils ne sont pas difficiles sur le sujet.

On signe par entraînement, on signe par peur, on signe par calcul, mais on signe toujours.

Il y a dans les greffes de tous les tribunaux et dans les archives de toutes les mairies et préfectures, des moules à Adresses pour toutes sortes de gouvernements légitimes et illégitimes. Les modèles sont expédiés de Paris, afin d'enseigner aux fonctionnaires comment on doit formuler son dévouement, et, à jour fixe, les autorités se rendent dans la cathédrale pour y chanter un Te Deum en l'honneur de la République, de l'Empire ou de la Royauté, sauvés par la grâce du Tout-Puissant; car il est de règle que le Tout-Puissant, du haut des sphères étoilées, veut bien se mêler des révolutions et des contre-révolutions de la terre, et répandre ses bénédictions sur tous les gouvernements quelconques, pourvu qu'ils soient triomphants.

Si la garde royale de Charles X avait culbuté dans la boue et dans le sang les héros des barricades, il n'y a pas le moindre doute qu'une pluie d'Adresses ne fût tombée sur les marches du trône. On y aurait complimenté l'auguste monarque de ce qu'il avait mis Paris en état de siége et de ce qu'il aurait fait fusiller Laffitte, Lafayette, B. Constant, Casimir Périer et une bonne partie des 221, en qualité de traîtres à la Patrie. Le clergé de Notre-Dame, la mitre en tête et revêtu de ses plus beaux surplis, aurait sonné sa victoire à grande volée de cloches. Les minis

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