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Le Discours habille pompeusement la vérité et lui met, sur la tête, des fleurs et des diamants. Le Pamphlet la montre toute nue à nos regards.

L'un marmotte des prières et fait de belles oraisons au bord du puits où la vérité se noie. L'autre y descend et l'en tire.

Le Discours agit sur les députés, le Pamphlet agit sur l'opinion qui réagit sur les députés. Chacun a son action, également décisive, l'une directe, l'autre indirecte.

Le Pamphlétaire et l'Orateur sont deux amis bourrus qui se jalousent et se querellent, mais qui ne peuvent se passer l'un de l'autre. Celui-ci périrait du coup qui tuerait celui-là, ils mourraient ensemble; tant la Tribune et la Presse, organes vivants d'un gouvernement libre, sont indivisibles!

Les abeilles de la Tribune font leur miel avec les sucs que les abeilles de la Presse vont butiner sur les fleurs.

Tribune et Presse, éternelles rivales, inséparables sœurs, nées, après un enfantement laborieux, des entrailles de la Révolution; deux filles jumelles de la même mère, deux jets de la même lumière, deux élancements du même tronc, deux tuyaux du même orgue, deux cordes de la même lyre, deux flèches du même carquois, deux foudres du même tonnerre, deux branches de la souveraineté, deux accents de la grande voix, deux soupirs de la grande âme du peuple!

Résumons:

Pour durer plus d'un jour, pour se répéter d'écho en écho, il faut que

le Pamphlet plaise à tous, et cependant qu'il ne ressemble à personne ; qu'il relève la grandeur des choses par la simplicité de l'expression ; qu'il soit incisif sans être injurieux, familier sans être trivial, original sans être bizarre, naturel à la fois et plein d'art, facile et travaillé, écrit pour l'Académie et lu par le peuple.

Mais il ne faut pas qu'il babille sans cesse et qu'il redise toujours les mêmes notes chez ces frivoles Athéniens qui se fatigueraient d'entendre toutes les nuits roucouler Philomèle sous les saules de l'Ilissus, ou de voir le magnifique oiseau de Junon étaler devant eux son plumage d'émeraude, de saphir et d'or.

Il ne faut pas non plus qu'après les batailles de la Presse et de la Tribune, le Pamphlétaire s'enfle de trop de vent et qu'il s'attribue person— nellement tout l'honneur de la victoire. Car il n'est que le réflecteur de l'opinion, que l'organe de ses sentiments, que le crayon de sa main, que le porte-voix de sa volonté, rien de plus, et c'est pour lui assez d'honneur. Mais tout homme qui écrit, tout homme qui parle, s'élève par un amour sans bornes de soi-même, au-dessus des autres hommes, et l'orgueil de la pensée passe de beaucoup l'orgueil même de la puissance. Nous croyons que notre parole est un glaive et que notre plume n'est rien moins qu'un sceptre. Nous nous imaginons que les affaires de la société ne pourraient aller, si nous ne prenions la peine de nous en mêler, et, plus ambitieux qu'un roi constitutionnel, nous avons la prétention de régner à la fois et de gouverner. Vingt-cinq éditions d'une petite lettre' que, par la loi ordinaire des réactions humaines, on oublie d'autant plus vite qu'elle a fait plus de bruit, nous tournent la tête, et je ne sache personne au monde de plus vain qu'un pamphlétaire, si ce n'est un orateur.

Mais l'Orateur sème en bonne terre, en terre bien fumée, en terre de budget.

Le Pamphlétaire se déchire et s'ensanglante les doigts aux ronces du chemin, et c'est là souvent toute sa moisson.

Le Discours mène aux honneurs, à la fortune, à l'académie, aux ambassades, aux grosses jugeries, au ministère.

Le Pamphlet mène au mépris des beaux diseurs, à la haine furieuse et

'Lettres sur la Liste civile, de Timon par exemple.

empestée des courtisans, à une renommée turbulente et disputée, à la cour d'assises et à la prison, au guet-apens si ce n'est à l'hôpital, et aux retours de la popularité plus brusques, plus subits, plus variables que les girouettes de nos toits, plus agités que les vagues profondes de l'Océan lorsqu'il est soulevé par la tempête.

Allez cependant, allez toujours, Pamphlétaire, si telle est votre destinée ! Il y a quelque chose au-dessus de toutes les récompenses et de tous les sacrifices, c'est la vérité!

CHAPITRE IV.

DE L'ÉLOQUENCE DE LA CHAIRE.

Il n'y a presque rien de commun entre l'Éloquence sacrée et l'Éloquence profane. On peut même dire que tout diffère, la personne, le lieu, le sujet, l'auditoire.

L'Orateur tient sa mission de son talent, le Prédicateur de son carac

tère.

L'un, aux yeux des partis, est souvent moins qu'un homme; l'autre, aux yeux de tous les fidèles, est plus qu'un homme.

L'un parle quand il peut, il est député ; l'autre quand il veut, il est prêtre. On ne s'enquiert pas si le Prédicateur est jeune ou vieux, s'il a les cheveux longs ou bouclés, s'il est droit ou contrefait, s'il a le geste noble ou vulgaire, ni même si sa voix sonore et accentuée remplit agréablement l'oreille. Ces observations mondaines, l'auditeur de la Chaire ne les fait pas. Il est à d'autres pensées!

Le Prédicateur parle au nom de Dieu, l'Orateur en son propre nom. Aussi, tandis que le Prédicateur s'efface et s'abrite respectueusement sous la redoutable majesté du sanctuaire, l'Orateur s'étale à la Tribune, se déploie et se dresse dans toute la hauteur du moi humain.

Le Prédicateur plie le genou, et s'affaisse sous la main de Dieu; l'O

rateur relève la tête, s'assure dans sa propre force et brave ses adversaires du geste et du regard.

Le Prédicateur se compare au plus humble de ses auditeurs, à moins que cela, à la poussière du chemin, au brin d'herbe, au vermisseau. Il se frappe la poitrine avec componction. Il s'accuse de ses fautes, il les confesse tout haut, il s'en repent.

L'Orateur se glorifie de la constance de ses opinions et de l'austérité de sa vie ; il ne se juge que pour s'absoudre; il ne se gonfle que pour s'exalter; il n'allume l'encens du triomphe que pour le respirer seul et sans rivaux, et il ne descend des régions de son apothéose, que pour courir au-devant des poignées de main et des embrassements de ses amis.

Le Prédicateur parle dans le silence, l'Orateur dans le bruit. L'un, avec un organe faible ou voilé, se fait entendre dans l'immense vaisseau de l'église, depuis le calvaire jusqu'aux extrémités du porche; l'autre, dans une salle étouffée et pleine jusqu'aux bords, frappe en vain de son gosier un air absorbant et vicié qui ne rend plus de son. Alors il crie ou s'enroue. On ne l'entend plus ou on l'entend trop.

Bossuet, Fléchier, Bourdaloue, Massillon, remuaient presque sans voix, un auditoire de courtisans et de peuple, rassemblé dans la vaste nef de nos cathédrales, le cou penché, l'oreille tendue, respirant à peine, et priant intérieurement du cœur et des lèvres.

Démosthène, Cicéron, Mirabeau, O'Connell, Berryer, ne domineraient pas nos assemblées tumultueuses, si, à la sensibilité, à la science, à la véhémence oratoire et aux dons du génie, ils ne joignaient de vastes poumons et les éclats d'une voix puissante.

Le Prédicateur ne rencontre que des cœurs bienveillants, l'Orateur que des oppositions sourdes et entêtées.

Le Prédicateur a pour lui tout son auditoire, l'Orateur en froisse toujours la moitié, le tiers ou le quart au moins.

Le Prédicateur pousse doucement tous vers chacun, chacun vers tous, et il ne réussit qu'en conciliant, en rapprochant les cœurs; l'Orateur mène au combat, à un combat à mort, une partie de l'assemblée contre l'autre partie, et il ne réussit qu'en divisant, qu'en écrasant ses adversaires.

Le Prédicateur, que le silence accompagne, suit paisiblement le fil de ses idées, comme un fleuve majestueux se déploie dans sa course lim

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