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REPRISE DES PENSÉES DÉTACHÉES.

XXXVIII. La postérité paraît quelquefois cruelle, en ne recevant pas dans son souvenir toutes ces belles actions, qui n'eurent ni un grand éclat, ni une haute influence. Elle semble avertir par-là les contemporains de les honorer par une admiration plus empressée, par une plus vive reconnaissance et de réparer d'avance cette sorte d'ingratıtude, où sera condamnée la justice dessiècles, qui ne peut ni tout entendre, ni tout juger.

XXXIX. Pendant l'éducation du grand Dauphin, fils de Louis XIV, et dans un des entretiens du prince avec son gouverneur, le Dauphin s'imagine avoir été frappé. Comment, Monsieur, vous me frappez? Qu'on m'apporte mes pistolets. Qu'on apporte à monseigneur ses pistolets, reprend Montausier. Le prince tombe à ses genoux. - Jeune homme, vous voyez où peuvent mener l'étourderie et la colère (*).

(*) Je n'ai pu employer ce trait, dans mon Éloge de Montausier; je ne l'ai su que depuis, d'une personne de cette illustre descendance.

XL. Qui peut lire, sans la plus profonde vénération, ces lignes d'une lettre de Catinat à son frère, au moment où il va servir sous le maréchal de Villeroi, qui venait de lui enlever le commandement de l'armée d'Italie J'étouffe le sentiment de la disgráce où je suis tombé, pour avoir l'esprit plus libre dans l'exécution des ordres de M. de Villeroi : je me mettrai jusqu'au cou pour l'aider. Les méchans seraient outrés, s'ils voyaient jusqu'où va mon intérieur à ce sujet.

XLI. La vertu a-t-elle des sentimens plus purs, plus généreux? Il s'immole à un devoir, dont l'orgueil se fait une dégradation. Ce n'est pas assez de vaincre l'orgueil; il saura vaincre jusqu'à sa douleur. Son cœur sera calme et son front serein, afin que tout concoure en lui, pour favoriser la gloire d'un rival, qui l'a supplanté par la faveur de la cour; d'un rival, qui ajoutait, avec lui, au ton de l'autorité, celui de l'ironie! Mais, que dis-je? il ne voit là ni la gloire de son rival, ni même la sienne; il ne voit

que son devoir. La vie de ce vrai sage est pleine de traits pareils.

XLII. Les amis de la vertu enregistrent dans leur mémoire les belles paroles des grands hommes, et se les redisent, dans l'occasion; de même que les poëtes se répètent les beaux vers, lorsque la bonne veine leur en fait produire à eux-mêmes.

XLIII. Je vois un homme qui supporte, sans qu'il lui échappe une plainte, tous ces tourmens, par lesquels nous pouvons, quelquefois, racheter notre vie. Est-ce le courage des champs de bataille? Oui, si cet homme est susceptible de l'enthousiasme militaire. Est-ce là ce courage moral, par lequel nous résistons à tout, pour maintenir notre honneur? Oui et non. Ces trois courages-là n'ont rien de commun, quoique les deux derniers soient très-bien servis par le premier.

XLIV. Les conseils, qu'on donne à un roi, sont souvent plus intéressés que les sollicitations, dont ils exemptent.

XLV. Pendant l'éducation royale, dont il

fut chargé, Montausier disait que son métier était de faire sentinelle, le jour et la nuit, contre les flatteurs et les corrupteurs.

XLVI. Il avait rassemblé autour de son élève de jeunes seigneurs. Cet âge même perd à la cour sa candeur et sa franchise; chacun voulait déjà donner au prince le vice, par lequel il pourrait le

gouverner.

XLVII. Si la société s'est fait un devoir de sauver aux princes, autant que cela se peut, les misères de la condition humaine, c'est qu'elle a voulu réserver toute leur sensibilité pour les malheurs publics; c'est qu'elle a voulu que les malheurs publics devinssent leurs souffrances personnelles.

XLVIII. Lorsque les peuples s'exagèrent leurs espérances sur les rois, les courtisans n'exagèrent que la louange.

XLIX. A la cour, il faudrait penser en sage, parler en républicain; et que la louange même portât une vérité et une lecon. C'est parce qu'il n'en est pas ainsi, que les courtisans continueront à perdre les

rois.

L. Lorsqu'on trouve, dans leur vie privée, les grands hommes tels qu'on les souhaitait, on accorde de l'amour à leur gloire.

LI. Sans doute, la vraie beauté des mœurs fut dans cette vie pauvre et simple des héros antiques. Mais il est des temps, il est des pays, où la distinction des rangs, l'inégalité des fortunes et le goût des arts ont fait de quelques-unes des décorations de luxe, une sorte de décence publique, à laquelle la sagesse même doit se soumettre. Turenne ne pouvait pas vivre comme Fabri

cius.

LII. Nous avons vu des grands, philosophes dans leurs sentimens et leurs mœurs, qui n'avaient adopté du train de leur siècle, que ce que l'homme de bien pouvait en accorder au seigneur d'une monarchie.

LIII. Le public honorera toujours, dans la maison des hauts rangs et des grandes places, une représentation imposante, un luxe économe, une splendeur libérale.

LIV. La galanterie de la cour de Louis XIV embellissait, sans les abaisser, la vertu, la gloire, la vieillesse elle-même.

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