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quelque temps; une funeste autorité à ses

erreurs.

VII. A force de puissance pour saisir la vérité, il peut se livrer trop à l'attrait de la deviner, au lieu de se soumettre au soin de la chercher et à la patience de l'attendre: tel fut Descartes.

VIII. Avec une âme qui se passionne, avant d'avoir tout observé, il peut admettre ou rejeter certaines idées; n'employer sa force et sa chaleur, qu'au gré de certaines affections, dont il eût dû se défier : tel fut Rous

seau.

IX. Avec un esprit éminemment riche, facile et mobile, qui eulève, d'un premier regard, les premières vues d'une matière, il peut s'y tenir et ne pas creuser bien avant: tel fut Voltaire.

Sur l'Eloquence judiciaire.

I. Direz-vous à un homme doué de l'éloquence: Renonce à cette puissance qui est en toi; je te défends de m'échauffer ou de m'attendrir?

II. Il n'est aucune manière de se communiquer, où l'homme fait pour émouvoir, ne porte involontairement son ascendant naturel.

Ce qu'il ne dirait pas sous une forme, il le dirait sous une autre. Ce qu'il voudrait taire, on l'entendrait dans les accens d'une âme contrainte ou déchirée ; on le lirait dans ses regards, et jusque dans son silence.

En lui, tout sait parler et toucher.

П. Supposez un peuple où les mœurs renforceraient toujours les lois ou les suppléeraient; où celles-ci seraient peu nombreuses, bien liées entre elles, égales pour tous; simples, comme toutes les choses bien conçues ou déjà perfectionnées; dignes enfin d'être jetées, comme les premières notions, dans la mémoire des hommes: chez un peuple pareil, la science de nos jurisconsultes, l'éloquence de nos orateurs seraient des avantages inutiles ou funestes.

IV. Dans notre forme d'administrer la justice, il faut choisir entre l'éloquence et la chicane.

V. L'éloquence a je ne sais quoi de fier, qui ne peut entièrement se démentir.

VI. La chicane a des ruses, dont on ne peut se défendre, parce qu'on ne sait les

soupçonner.

VII. Quel opprimé, dans son délaissement, ne doit s'effrayer', lorsqu'il aperçoit contre lui ou les dignités, ou la faveur, ou la richesse, ou la beauté, ou la réputation ! Comme tout s'émeut à leur nom! comme tout se glace à la vue de sa misère !

VIII. Qu'il invoqué l'éloquence; elle est sa protectrice naturelle; elle puise dans le sentiment de ses forces le courage et la générosité; seule, elle défiera de tels ennemis; seule, elle en triomphera.

IX. Cette autorité, que veulent usurper les rangs et la réputation, elle la repousse par les droits sacrés de la raison, de la vérité, de la justice.

x. Aux abus de la puissance, elle oppose l'ascendant de l'opinion publique.

XI. Contre les séductions du vice, elle s'arme des derniers cris de la conscience.

XII. Elle fait pâlir, devant l'effrayante image de son déshonneur, ce juge', qui ouvrait son cœur à l'iniquité; elle l'arrache au crime par le pressentiment du remords.

x. Elle ne se laisse pas même intimider par la majesté du rang suprême: souvent les ministres des autels, les ministres des lois, ont fait entendre de grandes vérités, dans ce silence de l'adoration ou de la terreur elle a éclairé l'orgueil et fléchi la colère, jusque sur les trônes.

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XIV. Jugeons dans la place publique, si nous voulons ne faire tort à personne, disait un roi de Macédoine. Une marche mystérieuse ferait calomnier la justice; et son zèle pourrait décroître dans la solitude. Que l'éloquence entre donc dans les œuvres de la justice, pour proclamer ses instructions et solenniser ses décrets.

xv. Son digne emploi, parmi nous, n'est pas, comme chez les anciens, de soulever les passions contre la raison; d'égarer ou de désarmer la justice; de bouleverser l'empire des lois. Elle s'honore aujourd'hui de les servir.

XVI. Supposons un assez grand nombre de ces causes, si fastidieuses dans nos recueils, écrites par des penseurs éloquens ; elles seraient une histoire des lois, des mœurs, des passions; car la société toute entière se produit au palais, comme au théâtre.

XVII. On y verrait le crime trouvant ses dangers dans ses précautions, et courant à sa ruine par son audace.

XVIII. On y verrait la vertu, souvent persécutée et toujours digne d'être enviée par le vice triomphant.

XIX. On y verrait les vues de la nature, trompant sans cesse les mauvaises institutions.

xx. On y apprendrait les lois, comme on reçoit les véritables leçons des arts, en jugeant leurs ouvrages.

XXI. Les objets du barreau ont rarement une grandeur propre ; c'est par leurs rapports qu'ils s'étendent et s'ennoblissent.

XXII. Étudiez votre cause au dedans et

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