Page images
PDF
EPUB

conquérant rattachait les peuples aux rois. Méconnaissant ce que toutes les histoires lui enseignaient, que la fondation d'une dynastie ne pouvait être l'œuvre d'un prestige; mais le prodige d'une lente prudence, combinée avec des conjonctures, habilement employées, plus habilement préparées; ne méconnaissant pas moins le temps et la nation, où il se donnait une couronne, par sa seule impudence; il n'a pas démêlé que c'était trop qu'une usurpation, à la fois, et sur une nation qui recevait bien de ses égaremens dans une révolution, le besoin d'un gouvernement réfrénateur; mais ne pouvait avoir pris le goût du despotisme dans de si nobles efforts, de si grands sacrifices pour la liberté; et sur une race antique, à qui il rendait la liberté à offrir, pour prix de sa restauration.

Ce danger était si apparent pour Napoléon, que, dans les études politiques de son règne, on ne concevra pas, que ni la maison de Bourbon, ni les puissances de l'Europe, n'aient pas saisi ce moyen si simple, d'abattre un aussi terrible ennemi, par la France même. Il est vrai que cela eût demandé une

sensible bonne foi. Mais pourquoi ne pas se résigner aux preuves de la bonne foi, quand elle est la ressource du salut?

au moins

Puisqu'il lui fallait absolument, et tout de suite, non pas seulement le trône des Bourbons, mais celui de Charlemagne, dont il se portait pour le successeur immédiat; y avait-il quelque convenance à l'étayer de la réalité d'un régime représentatif, dont la France conservait encore un simulacre. Être né d'une révolution, et briser, d'un coup de pied, cette révolution, c'était vraiment renier sa mère, en prenant l'héritage.

Il est vrai qu'il est des époques de troubles et de vertige, où le jour ne ressemble plus à la veille; où les hommes laissent faire d'eux tout ce qu'on veut. Mais bâtir sur de tels temps, c'est bâtir sur le sable.

Il est vrai encore qu'il pouvait corrompre; et que corrompre, c'est asservir. Mais ne savait-il pas que, du sein même de la corruption, sortent les révoltes, les séditions, et les conspirations de cour et d'armée? C'est là le propre de ces despotismes de l'Asie; direction, non dissimulée, de tous ses plans.

Ne pouvait-il d'ailleurs apercevoir, qu'il n'y a plus de corruption, ni générale, ni permanente, dans les siècles de lumières? Là toujours, par quelques souvenirs, ou par les spéculations des vices mêmes, on se rattache à la liberté publique. Là, surtout, les intérêts savent raisonner; et toujours effrayés du despotisme, qui inquiète partout, en ne respectant rien, ils reviennent aux idées libérales, comme à une garantie; et ces idées-là, s'enflamment dans les imaginations, relèvent les âmes, et retrempent un peu les caractères. Aussi, sans la terrible distraction de ses guerres, entretenues par lui, à dessein, il ne tenait rien en France; et par ses guerres, il jouait sa domination, à chaque bataille.

Sans âme et sans bon sens, comment donc est-il parvenu à s'emparer d'une indomptable révolution, comme d'une chose qui n'aurait été faite que pour lui? et comment a-t-il rẻproduit, un moment, l'empire romain, dans l'Europe moderne ?

Qui a bien conçu ce que peut, parmi les hommes, et surtout dans un grand peuple, l'énergie de la volonté, jointe à un grand

[graphic]

pouvoir, tient déjà la plus puissante cause de l'ascendant, qu'obtint tout de suite Bona parte. Elle était immensément accrue en lui du sentiment de la plus orgueilleuse prédestination; source de l'inimaginable audace de toutes ses entreprises.

Il avait, de plus, tout ce qui seconde le mieux le développement de cette double force une rare portée d'application à tous les genres de soins et d'objets; une activité inépuisable; un mélange d'ardeur et de prévoyance, d'impétuosité et de ruse; surtout une perversité dans les plans et les moyens, long-temps voilée; mais, dès qu'il n'a plus eu à la retenir, si profonde, si continue, qu'on devait la croire en lui, plutôt innée qu'acquise. Dominer le monde par l'avilissement du genre humain; telle était son unique pensée; elle absorbait en lui toutes les affections; elle tenait toutes ses facultés dans une tension continuelle. Aussi il suffisait à tout; on ne po it ni lui rien soustraire, ni le en; et il savait quelquefois se remières vues et en revenir. grand et remachinait encore ail; c'était là où il plaçait

[ocr errors]

son génie et sa gloire propre. Il n'était jamais ni distrait, ni interrompu dans sa marche : la dureté de son cœur, comme je viens de l'observer, lui refusant la douce détente de ces satisfactions intimes, dont les autres ont besoin, pour se remonter. Ajoutez encore une santé à toute épreuve, qui lui accordait tout et ne lui demandait rien; c'était le Satan de Milton, toujours plein pour l'action, comme toujours vide du repos.

Il est des temps, des cours de choses, où tout ce pouvoir, sans même s'user aurait été se briser contre les résistances. Nous allions voir ce spectacle dans la dernière époque de sa vie politique, qu'on a fort bien nommée ses cent jours; tout était renouvelé rendue aux impulsions de la liberté, la France était près du choc des partis. Celui même qui se ralliait à lui, n'entendait plus reprendre son joug, mais le soumettre à sa loi. Une assemblée, qu'il avait été obligé de convoquer, allait appré cier cette intronisation de paysans et de soldats; ces Constitutions de l'Empire, qu'il prorogeait, comme l'échange de la Charte royale; et faire entendre la voix souveraine

« PreviousContinue »