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en proportion qu'avec l'asservissement de l'Europe; ils ne peuvent et ne savent que se donner à celui, dont la puissance n'a plus une autre garantie. Il les mène de triomphes en triomphes; ils s'exaltent; ils sont ramenés de revers en revers; ils ne se découragent pas ; il a fait des fautes au-dessous du ✔ moindre de ses capitaines; ils lui pardonnent tout, jusqu'à ses désertions, dans leurs désastres. Il tombe dans l'exécration générale, ils n'y sont point étrangers, et se dévouent encore : leur fanatisme ne tient plus à la personne, mais au métier; il leur faut un tel chef; il est pour eux la patrie, l'honneur, l'existence.

Ce régime veut que tous les rois, faits ou conservés, ne soient que des vassaux; les peuples, non encore réunis, que des tributaires. Par là le peuple dominant se dissout sans cesse, comme corps politique, dans les extensions continuelles de l'empire; mais ses individus conservent la suprématie d'une caste privilégière : les généraux, les ministres, les valets du maître deviennent de grands seigneurs par le faste des titres, et dépassent les traitans d'autrefois dans la rapidité et l'énor

mité de leurs fortunes hommes de rien, pour la plupart, ils reproduisent, tout à coup, ces familles consulaires de la vieille Rome , aux déprédations desquelles le monde ne suffisait plus : c'est à ce prix qu'ils ont tout vendu à César.

C'est avec cet ensemble de moyens, qu'on remet un peuple civilisé, dans le cours des choses tartares; qu'on se sert de la civilisation même, pour recréer une barbarie plus raffinée; qu'on mêle les formes et les couleurs de l'empire romain, aux incursions des sauvages hyperborés; que la nation, conquérante au dehors, conquise au dedans, est saluée du titre de la grande nation, par son dominateur; que, nouvel Alexandre, on l'accepte, et qu'il se considère lui-même, comme un dieu : et en effet, ne fut-il pas le dieu du mal, puisqu'il a osé, puisqu'il a pu aller à une tyrannie Européenne, à travers des flots de sang et de larmes; et comme à sa destinée, à sa récompense!

Mais aussi, c'est avec de tels trophées, qu'il arrivera au châtiment de sa hideuse fortune; qu'en deux ans, il aura perdu et ses brigandages, et ses conquêtes, et ses

armées, sans pareilles; qu'il subira le ralliement des puissances brisées, revenues d'un servile égoïsme à l'énergie de la mutuelle protection; de la peur à l'audace; que brisé, à son tour, il sera rejeté jusqu'au sein de sa capitale; qui, cette fois, fera cause commune avec le monde foulé: elle apprendra enfin qu'il ne fallait pas être la grande nation, mais la bonne nation; que se laisser fasciner, se laisser asservir par un audacieux aventurier, qui ne dut, peut-être, le phénomène de son ascendant, qu'à son insclence envers tout le genre humain; et ne pouvoir plus secouer un tel joug, qu'à l'aide d'une invasion étrangère, est ce comble de l'opprobre comme du malheur, où l'on ne peut être amené, que par une continuelle méconnaissance de ces principes, qui reposent, sur leurs nouvelles bases, les empires bouleversés; de ces transactions des partis, qui, seules, finissent les révolutions.

NAPOLÉON BONAPARTE,

JE

E

SOUS L'ASPECT CIVIL.

Je n'ai pu saisir le sujet, dans le morceau qu'on vient de lire, que sous l'aspect militaire. Je veux prévenir le reproche de ne l'avoir pas aussi considéré, sous le point de vue civil.

J'ai appelé l'empereur Napoléon, un aventurier. Il y a beaucoup de ce caractère dans sa destinée. L'homme de l'île de SainteHélène, ressemble beaucoup, aujourd'hui, à l'ex-roi Théodore. Mais, pour le malheur du monde, par les actes, les événemens et les facultés, c'est parmi les personnages les plus extraordinaires; et, peut-être à un rang à part, dans cette classe, qu'il faut le placer.

Je l'ai appelé aussi l'homme monstre; et j'entends par-là un homme à qui il fut donné de passer toutes les bornes dans les voies et les moyens du mal ; c'est la qualifica

tion qui me paraît le mieux lui appartenir.

Jeté dans les temps et les contrées barbares, un tel homme, avec tout ce qu'il a opéré, ne serait pas le dernier, entre les Gengis, les Tamerlan, les Attila, les Tha

mas.

En le comparant à une plus noble espèce de conquérans, aux Alexandre, aux César, aux Charlemagne, à la fois destructeurs et fondateurs d'empires, j'observe que leurs œuvres avaient pris racine dans les temps; tandis qu'il a péri dans la sienne ; à cet égard, la fortune même a prononcé contre lui.

Si on cherche le principe de cette gigantesque existence, on la trouve entièrement en dehors de son propre mouvement. Son moyen fut la révolution française, qui lui tomba, comme le gros lot à la loterie; et c'était une terrible puissance que la révolution française. Il en a joué, avec une incroya ble audace et une folie insigne; voilà ce qui lui est propre.

Qu'était, en lui-même, cet être épouvan table, qui occupera les siècles futurs, non moins que le nôtre?

Comme homme de guerre,

guerre, il me semble

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