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de sérieux, qui saisit le cœur sans les ornemens de la parole. La diction la plus nue ne pourrait avoir un air plus sincère et plus modeste, que son exquise élégance. Il est surtout modèle, en ce point.

XIV. Comme il est différens genres d'esprit et de talent, il est aussi divers genres d'éloquence.

xv. Nous avons des orateurs, dont l'âme naturellement prédominante, se trouve toujours au niveau des plus grands objets, ou élève les moindres à sa propre hauteur; elle les peint comme elle les saisit et les sent; et quelque chose d'impétueux et d'extraordinaire, empreint dans ses pensées et ses expressions, semble faire de son éloquence un langage supérieur à celui des mortels; c'est l'éloquence de Bossuet.

XVI. Il en est une autre, qui, tenant à un génie moins élevé et plus flexible; a une sensibilité moins vive et plus douce; a une imagination, qui répand avec plus d'abondance et de variété, des couleurs moins riches et moins fortes, pénètre dans toutes les parties des objets; y saisit des rapports

dont elle sait tirer des impressions qui lui appartiennent; satisfait l'esprit plus qu'elle ne l'étonne; émeut l'àme, sans la bouleverser; et dédommage des beautés originales par des jouissances plus délicates; c'est l'éloquence de Massillon.

XVII. On est toujours près de croire exclusives l'une de l'autre des qualités opposées. Il n'est point de grand talent qui ne réunisse la force et la grâce. Massillon a de la première; Bossuet a de la seconde; mais leur force et leur grâce ne se ressemblent pas, et ne changent pas le caractère de leur génie de même qu'une tendre émotion, légèrement répandue sur une physionomie pleine de force et de grandeur, n'en efface pas les traits fiers et majestueux; et qu'un mouvement d'indignation n'altère pas entièrement la sérénité habituelle d'une figure douce et aimable.

XVIII. Il est une éternelle alliance entre la force et la grâce, sous laquelle est né tout ce qu'il y a de beau dans le monde.

XIX. Comme on avait comparé Bourda

loue à Corneille, on a comparé Massillon à Racine. Un mérite commun entre deux grands écrivaius peut encore admettre de grandes différences. Le mérite commun de Racine et de Massillon est l'élégance de leur style. Mais leur élégance est-elle de la même nature et du même prix? Le style de Massillon est noble, touchant, brillant sans faste, élevé avec souplesse. Celui de Racine réunit, dans le degré le plus accompli, toutes les beautés; et cela dans un genre d'ouvrage bien plus difficile. S'il y a un Racine de la prose, c'est l'auteur d'Émile. Je donne ailleurs les preuves de cette as

sertion.

xx. Ce qui me paraît placer l'abbé Poule parmi les orateurs de notre langue, malgré le peu qu'il a fait et beaucoup de défauts, c'est un profond enthousiasme et une haute imagination.

Tant que son âme et son imagination ne sont pas émues, il reste dans des vues et une manière communes. Mais, dès qu'il s'échauffe et s'anime, c'est un véritable orateur, c'est très-souvent un prophète. Il lui

vient de sublimes idées; il se place dans des attitudes, où tout son sujet obéit à son génie. Alors son discours devient une scène, où l'on voit commencer, se développer et finir une grande action. C'est tantôt un événement au milieu duquel il se transporte tantôt une vision à laquelle il se livre : tantôt un ordre du ciel qu'il reçoit et qu'il exécute. Alors ce ne sont plus des idées qui s'enchaînent à des idées et des sentimens qui s'y mêlent. Tout est image ou mouvement; et vous le voyez souvent atteindre de nouveaux degrés sur ces hauteurs, où il n'y a que Bossuet qui se soutienne aussi long-temps.

XXI. On peut, après beaucoup d'exercice, avoir, jusqu'à un certain point, sa raison à son commandement. Il n'en est pas ainsi des autres facultés du talent; elles sont plus capricieuses.

XXII. L'abbé Poule disait : Je ne fais pas mes sermons, j'attends qu'ils se fassent. Ce mot est le secret de toutes les compositions, qui appartiennent surtout à la sensibilité et à l'imagination.

Ressources en éloquence.

1. Il suffit souvent de mêler plusieurs genres d'idées ensemble, pour les fortifier.

II. Il suffit souvent d'appliquer une science à une autre, pour la renouveler ou l'agrandir.

III. Si toutes les passions principales ont été peintes, tous leurs mouvemens ont-ils été saisis?

IV. Combien elles sont étendues, mobiles, fécondes!

V. A côté des grands traits, il nuances délicates.

y a des

VI. A côté des grandes pensées, il y a des aperçus fins.

nu,

VII. Lorsque l'homme universel est conil reste à représenter l'homme de chaque gouvernement, de chaque siècle; l'homme de toutes ces situations, qu'amène la mobilité des événemens et des accidens.

VIII. Mais ces recherches supplémentaires peuvent-elles jamais remplacer les grandes vues, les grands effets?

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