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La nation et le roi. Qu'un roi, placé à la fin du dix-huitième siècle, ne convoque pas les trois ordres du quatorzième; qu'il appelle les propriétaires d'une grande nation, renouvelée par sa civilisation. Un roi, qui subit une constitution, se croit dégradé. Un roi, qui propose une constitution, obtient la plus belle gloire qui soit parmi les hommes; et tout ce qu'il y a de plus vif et de plus constant dans leur reconnaissance. Une constitution doit être appropriée aux idées sages, que la discussion a préparées et fixées. Concevez la constitution de votre siècle ; prenez-y votre place; et ne craignez pas de la fonder sur les droits du peuple. Votre nation, vous voyant à la hauteur de ses vœux, n'aura plus qu'à perfectionner votre ouvrage, avant de le sanctionner. C'est ainsi que vous maîtriserez un grand événement, en l'accomplissant vous-même; c'est ainsi qu'il s'accomplira sans secousses: c'est ainsi que l'intervalle d'une rapide délibération changera un vieux chaos, dans un ordre solide et permanent.

Je crois qu'il n'est pas aujourd'hui un bon esprit, qui niât la force, la justesse, la sûreté

de cette marche. Eh bien! elle fut présentée dans le temps, et n'obtint que le sourire du mépris.

Est-ce le peu de recommandation de son auteur, la suspicion qu'on pouvait prendre de lui, qui en éloigna? Non, elle venait du plus homme de bien de ce siècle; d'un magistrat, d'un ministre, d'un homme populaire en France, avant le culte des réputations populaires; d'un homme, qui avait adopté le roi dans son cœur, comme un père se dévoue particulièrement à un enfant, qu'une étoile menaçante conduit à sa ruine (*). J'ai vu écrire ce mémoire, dont je donne l'idée principale. Je l'ai lu et relu; je somme ici tous ceux qui peuvent en avoir eu connaissance, d'en déposer, avec moi,

(*) C'était le principe et le caractère de la tendre affection que M. de Malesherbes portait à Louis XVI. Pendant qu'ils étaient ses ministres, entre M. Turgot et lui, le mot sur le roi était : notre bon jeune homme. Bien long-temps après, M. de Malesherbes me disait, que le seul de ses ministres que le roi eût aimé, c'était M. Turgot. Il avait, d'après plusieurs données, de tristes pressentimens sur la destinée du roi.

pour la gloire de son auteur. C'est M. de Malesherbes (*).

A ce nom, tout mon cœur se brise. Je vois tomber sous la main d'un bourreau cette tête où fut conçue la seule pensée, qui

(*) Il devait cette grande vérité à la nation, autant qu'au roi ; il prit pour un devoir de la retenir dans le secret de l'amitié, le rebut qu'elle essuya dans une cour; et c'est peut-être la seule erreur de ce grand homme. Je ne connais plus que M. de la Luzerne, évêque de Langres, neveu de M. de Malesherbes, qui puisse avoir connaissance de ce mémoire, remis an roi dans une audience particulière, avant la demande des états-généraux par le parlement.

Quant à moi, non-seulement je l'ai lu plusieurs fois; mais je l'ai vu composer; M. de Malesherbes l'a écrit à la terre de Verneuil, chez madame de Sénosan, l'une de sés sœurs, où j'allais souvent. Je me rappelle encore d'avoir accompagné M. de Malesherbes de Verneuil à Versailles, le jour où il alla remettre son mémoire au roi. Enfin, je me rappelle que, plusieurs mois après, M. Necker, rentré au ministère, comme principal ministre, me pria de lui obtenir une communication du mémoire; que l'un me l'a confié, pour cette destination; et que l'autre me l'a rendu, pour la remise. On doit croire, et je crois moi-même, que l'esprit et les couleurs en étaient moins tranchées, que dans mon analyse. Mais tel était le fond.

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sauvait la France, par sa révolution même! Et avant de mourir, combien d'angoisses dans son cœur! Ce roi, qu'il avait voulu combler d'un bonheur et d'une gloire, inconnus sur les trônes, il n'avait pu l'arracher à l'échafaud cette patrie, où, la première; sa voix courageuse avait sollicité de sages réformes, il l'avait vue ravagée par une innovation sans frein; et en proie à un régime de terreur, dont il ne lui fut pas accordé d'entrevoir la chute prochaine! Je le vois frappé à côté de ses vieux serviteurs; entre sa sœur et son gendre; dans les bras de sa fille et de sa petite-fille! Accumulation de férocités inouies, réservées pour lui seul, dans ces jours atroces! Mais, comme sa mort fut un crime à part, elle eut un effet à part c'est par elle qu'il fut constaté qu'on allait à l'extermination de la vertu ; et cette impression, reçue jusque dans les hommes les plus grossiers, fut une de celles qui accomplirent le plus puissamment la délivrance de thermidor.

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Vénérable Malesherbes, entends du fond du tombeau, reconnais la voix d'un ami, que tu daignas honorer d'une confiance in

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time; que ce soit lui qui apporte à tes månes l'expiation de la génération entière; qu'il t'apprenne que ton nom sera désormais, par

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nous, celui de la sagesse, du courage, de la vertu sans tache, du génie protecteur des empires. C'est devant l'image de tonsupplice, que j'ai parlé d'amnistie; et mon cœur se soulève contre ce vœu de ma raison. Mais je te vois, je t'entends: La paix dans ma patrie, la paix à tout prix; qu'elle soit la rançon de mon sang, de celui des miens, de celui de mes amis; de celui de tant d'honorables Français. Génie tutélaire des gens de bien, je recueille donc encore de toi une parole, digne d'être transmise, comme un devoir, à tous nos concitoyens. Amnistie donc, puisqu'il le faut, puisque tu le veux ; que les lois se refusent à des vengeances, qu'elles ne pourraient remplir; et que leur clémence crée le remords dans ces cœurs, qui n'avaient plus rien d'humain!

Confident de ta haute pensée sur le cours de nos événemens, je la gardais dans ma mémoire, comme un dépôt religieux ; j'attendais le retour de la raison publique, pour la révéler. Elle m'a inspiré dans l'é

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