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Nul peuple n'est aussi propre à dépasser les autres dans la recherche de la vérité; nul peuple ne tirerait plus de prodiges du régime de la liberté; nul peuple ne s'est porté plus violemment vers un changement de son état et de son sort. Nous avons fait, pendant un demi-siècle, toutes les espèces de guerres à toutes les espèces de préjugés. Et, à cette heure, que nous les avons détruits dans nous et autour de nous, nous en recherchons l'autorité, sans pouvoir en reprendre la persuasion. Plus légers encore qu'inconstans, nous voudrions faire avec la raison, non un divorce de haine; mais un divorce d'humeur.

Châtiés par la liberté même, nous sommes mûrs pour la posséder; désabusés par la philosophie de quelques-uns de ses écarts, il est en nous de ne plus employer que ses véritables acquisitions. Mais, ayant en horreur notre état actuel, nous n'accusons que cette liberté , que cette philosophie, dont nous avions reçu l'impulsion, dont nous avons faussé la direction; comme des enfans dépités, nous nous absolvons de tout, nous n'accusons que nos maîtres. Arrivés à un terme, où

tous les changemens qui se sont faits parmi nous, sont nos seules ressources; où nous pouvons nous lancer dans un avenir plus vaste et plus fécond, nous ne savons plus que tourner nos regards en arrière; c'est ce qui ne nous convient plus que nous regrettons; c'est ce qui nous est acquis que nous répudions. Humiliés de la violence avec laquelle nous avons brisé les vieilles institutions, nous perdrons la fierté, avec laquelle nous devons maintenir les nouvelles.

le

A l'origine, pas une classe qui n'ait voulu, qui n'ait concouru, de tous ses moyens, à renverser le vieil édifice; à commencer par gouvernement, et à finir et à finir par la plus petite corporation. Nul signe plus certain qu'il n'était plus bon; nulle preuve plus irrécusable, qu'il fallait le renouveler. Et il n'en fallait moins pour pas l'ébranler; et

avec ce genre d'ébranlement, il n'en pouvait rien rester. On s'était partout passionné de l'idée, qu'il n'y avait point, ou qu'il n'y avait plus de constitution en France; et qu'il en fallait une.

Mais on

dirait

que nous ne sommes en

trés dans les révolutions, que pour échapper

à des constitutions. On les met en discussion, lorsqu'il ne s'agit que de les faire aller; on les condamne, avant de les éprouver; on leur demande la réparation de tous les maux; et on reprend tous les maux, plutôt que de consentir à ce remède.

Nous ignorons que toute constitution est bonne, dès qu'elle va ; qu'elle va beaucoup plus parce qu'on y met, que parce qu'on y trouve; par le zèle sincère de tous ses agens, que par la sagesse de ses institutions; que la plus parfaite devant être celle qui choquerait le plus de préventions, de préjugés et de passions, serait précisément celle qui irait le moins, si tout le monde ne s'attachait à son char; que s'en défier, en trop raisonner, lui trop demander d'abord, est ce qui lui nuit le plus ; que c'est du jour seulement, que tous s'en contentent, que tous aident à son mouvement, qu'on peut commencer à la réformer; parce qu'alors, c'est relativement à son succès qu'on la réforme, et non pas pour sa chute.

Ce qui décrie à l'avance les constitutions, c'est d'en faire, à l'avance, le triomphe d'un parti sur un autre, et non un gage d'al

liance entre tous les partis; c'est de leur commander de marcher entre l'arrogance des vainqueurs et l'animosité des vaincus; c'est de les exposer aux voies de la tyrannie par la crainte des soulèvemens ; c'est d'en dénaturer les principes par les effets qu'elles opèrent ; c'est de provoquer des troubles par la manière dont on les établit; c'est de les forcer à jouer contre des troubles, avant de jouer dans leur ordre régulier; c'est de ne pas pourvoirà la création d'un esprit public, capable de les maintenir; c'est d'appeler, dans leurs pouvoirs, de faux amis ou des ennemis acharnés ; c'est d'empoisonner, d'avance, la représentation des discordes des élections; c'est de fonder la guerre même dans l'état de paix qui leur est propre; et hors duquel elles ne sont qu'un nom qu'on attaque, et un nom dont on abuse.

C'est la faute qu'on a faite, dès le commencement; c'est celle où on a persévéré, à chaque renouvellement de nos assemblées souveraines.

Une idée grande, simple, facile; conforme à l'état de désuétude où toutes les choses anciennes étaient tombées; à la force

de rénovation qui nous entraînait, eût tout retenu, tout fixé; eût opéré, sans convul sion, un changement, bien conçu et bien dirigé.

C'est dans les conseils du roi qu'elle devait être portée ; c'est là qu'on eût dû en organiser l'exécution.

Qu'est-ce que ces états-généraux qu'on vous propose, devait-on dire au roi ? C'est un vieux débris de l'ancienne barbarie; c'est un champ de bataille où viennent lutter ensemble trois fractions d'un même peuple; c'est un choc de tous les faux intérêts contre l'intérêt général; c'est ou l'inertie ou l'opiniâtreté de l'esprit de ce corps; c'est un moyen de subversion; ce n'en peut être un de rénovation. Prenez ce vieil édifice pour ce qu'il est, pour une ruine. On ne s'y rattache que comme à un souvenir; emparezvous des esprits par une institution qui les étonne et leur plaise; que la nation avoue; et où elle puisse mieux prédominer. Que reste-t-il en France? Une nation et un roi.

Qui doivent traiter ensemble? qui peuvent bien s'accorder, parce qu'ils ont un lien établi, un intérêt, une affection commune?

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