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Ce Portrait a été écrit deux ans avant la mort de Frédèric, refait en 1816.

AILLEURS les rois n'appellent souvent autour d'eux, que par tout ce qui n'est pas eux. A Berlin, c'est le roi surtout, qu'on vient chercher.

En voyant ces états formés des démembremens des autres états: ces armées, dont les mouvemens ont la précision du calcul; souples à toutes les combinaisons de l'esprit qui les meut; savantes à retrouver un ordre accompli, dans un désordre imprévu; et qui, se rassemblant de tous les points de cette longue ligne sans profondeur, ne paraissent que les divisions d'un même camp, qui se rapprochent et se resserrent : ces géné raux, dignes d'une grande renommée, si la leur n'était éclipsée par celle de leur mai

tre; et disciplinés dans le commandement, comme le soldat dans l'obéissance : en l'observant surtout lui-même, au milieu de cet imposant cortége: ce vêtement de sa vieille infanterie qu'il a pris, en tirant l'épée, et dans lequel il mourra; ces cheveux blancs, qui n'attestent qu'nne longue expérience, ajoutée à une si grande force d'âme; cette physionomie, d'où tout s'échappe et où tout se contient; cette tête, qui a porté tant de profonds desseins, bravé tant de hasards, créé tant de ressources; et maintenant illustrée par le souvenir, déjà ancien, des plus célèbres batailles; surtout de ces victoires miraculeuses qui, deux fois, relevèrent sa fortune abattue, lorsqu'il luttait encore, avec les débris d'une dernière armée, contre les armées renouvelées, de l'Autriche, de la France, de la Russie: en rassemblant tous ces signes d'une grandeur, depuis long-temps inconnue, on croit retrouver un de ces anciens conquérans, devant qui la face du monde changeait; et l'on craint que tout ce qui pourrait encore tenter son ambition, ne soit dévolu à sa puissance et à son génie.

Cependant il repose, depuis vingt ans, ce

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des vers a été l'unique frivolité de sa vie ; et encore y remarque-t-on l'ascendant de son caractère sur son esprit : c'est en vain que le prince veut être poëte; mais ce n'est pas en vain que le poëte reçoit, quelquefois, son vers du prince. Seul, entre les héros, l'unique attachement qui entre dans son histoire, fut pour le plus beau génie du siècle; et c'est là que, comme dans une passion, il a éprouvé l'attrait des âmes et le choc des esprits; les querelles et les raccommodemens; les réparations, après les outrages; le besoin de se tenir, et celui de se séparer; il devra du moins et à ce noble amusement et à ce digne attachement d'être devenu ainsi

que César, le meilleur historien de ses propres exploits. Seul, entre les dominateurs, il a senti, confessé une autre puissance; et le jugement intime d'un grand roi nous a révélé, qu'un Voltaire est encore au-dessus d'un Frédéric.

Toutes les qualités éminentes, tous les dons brillans se rassemblent en lui. Mais la vraie gloire ne lui est pas réservée; car la sienne l'exclut du nombre, encore si borné, des bienfaiteurs du genre humain. Heureux,

si, placé sur un trône, où l'ambition commune n'eût plus eu rien à désirer, et dans une de ces grandes nations, qui, depuis Charlemagne, attendent un roi législateur; cette âme, appelée à quelque chose de grand et d'extraordinaire, eût embrassé le seul dessein, qui puisse encore élever un nom moderne au-dessus des plus grands noms de l'his toire; celui de consacrer la puissance absolue par la régénération d'un vaste empire; pour la briser ensuite elle-même, sur un si bel ouvrage! Jeté bien loin de cette carrière, que, seul, il eût mérité de remplir, il est resté au-dessous de lui-même, daus les principes de son administration civile; comme s'il eût dû être puni de n'y avoir pás porté la pre-` mière ardeur de son âme et toutes les forces de son esprit.

Mais, du moins, si ses peuples sentent partout qu'ils ne sont rien sous le pouvoir qui les régit, partout aussi ils éprouvent que ce pouvoir sait se régir lui-même, par ses propres lois, la fermeté, la justice, la vigilance, et cette économie tutélaire, la vraie munificence des gouverne mens; n'ayant pas à haïr leur servitude, ils

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