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PORTRAIT DE MIRABEAU.

Ce Portrait était dans une brochure sur le gouvernement du Directoire; refait en 1816.

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MIRABEAU offrait un singulier mélange de qualités, qui semblaient s'exclure: de hauteur dans le caractère et de bassesse dans la conduite; il eût, suivant les occasions, bravé des rois sur leurs trônes et cajolé des laquais de ministres d'étourderie et de souplesse : il ne pouvait retenir un mouvement et faisait tout concourir à ses fins; d'élévation philosophique et de sotte vanité: personne ne concevait mieux la dignité d'un beau caractère et ne se pavanait davantage dans un carrosse à la mode ; d'abandon à ses plaisirs et de puissance sur ses passions: il eût tout sacrifié à une courtisane; et l'eût quittée, au moment même, pour une entreprise d'éclat; d'ambition et de justice : il eût tout brisé pour arriver à une place; et ensuite relevé un

pauvre commis, à qui il aurait fait perdre la sienne, chemin faisant; d'emportement et de modération : il ne gouvernait jamais mieux ses démarches et ses paroles, que dans l'énergie d'une défense personnelle. Il lui fallait, argent, plaisirs et gloire ; mais, avec ce triple lot, il eût été de tout son cœur un honnête homme. Tout tenait beaucoup en lui à ce que, jusques aux jours tardifs et rapides de sa gloire, la fortune ne lui avait laissé que des ressources moins qu'honnêtes, pour satisfaire à la fougue de ses passions. Il avait plutôt les habitudes que le fond des vices; et encore faut-il en excepter l'envie; tous les vrais talens, toutes les bonnes réputations lui étaient honorables et inviolables; il ne cédait rien à ses rivaux ; mais hors l'objet de la concurrence, personne qu'il aimât mieux embrasser, prôner et servir.

. Il s'était appliqué à toutes les parties de l'administration publique; et il était propre à chacune; on pouvait répéter sur lui le mot sur Catinat qu'on ferait de lui, comme il plairait, un chancelier, un ministre, un général. La passion d'une révolution en France, lui en avait fait démêler les symp

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tômes éloignés; et il s'y préparaît, dès le donjon de Vincennes; c'est ainsi qu'il expiait ses premiers déréglemens. Nul ne se plaisait plus dans les intrigues des cabinets; mais il y mettait en mouvement les plus belles idées de l'ordre social. Nul ne se plaisait plus dans les troubles, parce qu'il y voyait la source de sa grandeur; mais il ne tendait qu'à la subordination des lois, parce que là, seulement, il concevait une belle gloire. Dans la révolution, tout moyen lui était bon; mais sans aller au-delà de son but. En Provence, il fit une sédition de deux mois; c'était pour arriver aux états-généraux; il attisa une émeute par le pain; et la finit par l'augmentation de la taxe. Il appelait à Versailles le faubourg Saint-Antoine, le 5 octobre; et, au milieu des piques, il proposait la loi martiale. Profondément attaché à la monarchie, dans le plan de la liberté même, il's'était emparé, au commencement, de tous les démagogues; mais pour les bri

ser, au terme obtenu.

Ce qu'il rencontra de plus difficile, fut de surmonter sa mauvaise réputation, pour gagner de la confiance et de l'importance

dans les parties honorables de ce grand événement; où il n'était que juste à lui-même, lorsqu'il croyait que le premier rôle lui appartenait; et il en vint à bout. A l'époque de sa mort, il dirigeait l'assemblée constituante, ralliait les Tuileries à la révolution; il s'était coalisé avec La Fayette, et menaçait les Jacobins, pour se les asservir. Pour prix de ses services, il demandait à la reine le ministère des relations extérieures; afin, lui écrivait-il, de lui épargner l'humiliation de subir, seule, entre les tétes couronnées, une révolution (*).

Si je le considère comme écrivain et homme de lettres, je trouve que là est sa moindre distinction; il n'avait pas de génie ; il puisait partout; s'appropriait ce qui n'était pas de lui; et il n'a laissé ni un véritable ouvrage, ni une belle production. Si je l'ap

(*) Je me souviens qu'ayant rencontré un soir Mira beau au jardin des Tuileries, il me montra cette lettre; elle me parut pleine de grâce, d'esprit, même de couvenance, attendu qu'il était alors en position de traiter avec une reine aimable et intéressante, et de lui offrir de nobles réparations. Je n'ai rien vu d'une originalité plus piquante. Là était le vrai talent de Mirabeau.

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précie comme orateur, je dis, avec tous ses contemporains, qu'il a tout effacé à cette assemblée constituante, qui fit débuter la France dans cette carrière, comme la république romaine avait fini; et, en disputant cette palme à l'Angleterre, déjà vieille de plus d'un siècle, dans les discussions politiques. J'ajoute qu'il a tout effacé, parce qu'en lui l'orateur développa surtout un homme d'état; et plus que cela, un homme fait pour conduire une révolution. Lui conservé, lui de plus dans le cours de la nôtre, il est permis de croire que, sans la terreur abjecte des Marat et des Roberspierre; sans la servitude conquérante d'un Bonaparte; sans les deux invasions de l'Europe; sans les essais d'une stupide contre-révolution, nous aurions pu être les témoins, les coopérateurs et les sujets fidèles et heureux d'une monarchie constitutionnelle, sortie de la régénération entière d'un vaste empire, usé de patience sous le poids de ses abus anciens et nouveaux. Et de quel autre pourrais-je dire une pareille chose?

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