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qu'après la Constitution d'Angleterre, par le Génevois de Lolme.

Je finis par une dernière vue sur l'intéressant spectacle de la carrière de Barthélemy. Rien n'eût manqué à la paix, comme à l'honneur de sa vie, si la publication de son ouvrage en avait été le terme.

La révolution, il est vrai, ne toucha à sa liberté qu'un seul jour; et ce qui est encore une circonstance à remarquer ici, elle ne fut point sans quelques égards pour lui; mais il en vit sur le trône, dans sa patrie, dans toute l'Europe, les attentats, les ravages, les catastrophes; il assista à la proscription, à la mort tragique de tant d'illustres victimes; elle lui enleva tous ses amis: et quel plus grand supplice pour l'homme de bien! il est tel, que je ne puis concevoir qu'aucun voulût recommencer la vie, d'ailleurs la plus heureuse, à la condition de parcourir toute entière une telle époque.

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DIDEROT.

Écrit en 1809, retouché en 1816.

IL
L est des génies d'un ordre à part, dont la
gloire éminente ne pourrait être contestée,
si,

, par la fougue indomptée de leur impulsion, ils n'avaient souvent violé ces limites, ces principes, ces bienséances, qui sont des lois pour le génie lui-même. Il semble que la nature n'ait pu les enfanter que dans des jours de force et de caprice. Tous les talens en eux ne paraissent en former qu'un seul : poëtes, dans leur manière de grouper les idées, de les sentir, de les peindre, parce qu'ils sont philosophes dans leurs manières de les chercher, de les féconder, de les placer sur les grandes routes de l'esprit humain ; et orateurs, parce qu'ils sont philosophes et poëtes. Point de sciences où ils ne pénètrent; point de matières où ils n'ouvrent des voies nouvelles; point de sujets où ils ne portent

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une touche originale; et cependant, par une inconséquence ou une imperfection dans l'emploi de ces riches facultés, ils ne laisseront pas un monument égal à leur puissance, où ils aient atteint toute leur gloire.

Peut-être aussi, et par une autre faveur de la nature, seront-ils doués encore de cette verve de la parole, de cette éloquence, autrefois souveraine, à laquelle furent réservés tant de prodiges; et dans des temps et des pays où la parole se trouve sans tribune, en les écoutant, on croirait volontiers que, reculés dans les siècles anciens, ils eussent offert ou de ces fondateurs de la société, qui amenaient sous le joug des lois, les hommes encore brutaux et sauvages; ou de ces vengeurs de la liberté, qui replaçaient les peuples dans la souveraineté publique ; ou bien, de ces fiers usurpateurs des droits du ciel, qui renversaient et recréaient des religions; ou enfin, de ces pieux enthousiastes, qui, montrant au loin, un tombeau sacré, précipitaient l'Europe sur l'Asie.

Soit qu'ils parlent, soit qu'ils écrivent; toujours en eux quelque chose de puissant, de désordonné. Cet enthousiasme, que tout

excite, que tout entraîne, les

tous les sens.

pousse dans

Voici les jours de la pure inspiration: approchez et recevez les plus nobles, les plus saines leçons sur l'ordre politique et moral, sur les sciences, sur les arts; sur le goût même, dont ils aiment à braver les règles, dont ils savent enrichir les principes; ils sont nés pour éclairer le monde.

Voici les jours d'une sorte de sédition dans leurs pensées: il ne faut plus les écouter, que pour leur résister et les combattre; ils osent tout ébranler; ils peuvent tout compromettre; et, dans ces coups, presque fanatiques, qu'ils ne veulent porter qu'aux préjugés et aux erreurs, ils vont peut-être blesser elles-mêmes les vérités tutélaires; ils sont nés pour donner une secousse à leur siècle.

Détournez-vous ou gémissez: placés entre une austérité souvent hypocrite, et des mœurs hautement dissolues; curieux de tout peindre et enclins à des scandales, je ne sais quelle maligne influence leur dictera de ces pages, qui, en outrageant la décence et la pudeur, mettent en fuite les grâces. Mais absolvez-les

de

par le témoignage de leur vie; voyez, elle offre encore plus de bonnes actions que mauvais discours; et songez qu'il faudrait encore honorer Platon, quand même il se serait montré, un moment, dans le tonneau de Diogène.

Par ce mélange des services et des écarts, des beautés et des défauts, c'est pour eux que le dénigrement a des fureurs plus implacables, plus prolongées; c'est pour eux que la postérité, avec son ferme discernement, arrive plus tard; mais enfin elle arrive ; et alors ils reçoivent, parmi les premiers génies de leur temps, de tous les temps, une place, qui n'est ni supérieure, ni inférieure; une place, qui les sépare encore, et par l'espèce des emblèmes qui les signalent et par l'espèce du culte qu'on leur doit : pareils à ces divinités des anciens, que la religion des mortels allait implorer aux cieux, dans l'espérance du bien; conjurer aux enfers, dans la crainte du mal; et à qui des attributs, opposés, n'avaient pas permis d'assigner un empire, où, seules, elles régneraient.

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