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faits cherchent leur liaison et tendent à des résultats; tous les faits deviennent des idées, et sont moyens ou preuves de quelque vérité. Il n'a été surpassé par personne dans sa science; et plus qu'aucun autre, il a fait de sa science un instrument de rectitude, d'avancement, de perfectionnement dans tout le domaine de l'esprit humain.

La plupart des écrivains de ce genre n'ont eu besoin que de la précision du raisonnement et de la correction du style; et s'y sont bornés. Barthélemy a fait un ouvrage d'érudition, qui appartient au talent littéraire et à l'esprit philosophique. Il avait approfondi dans tous les détails; considéré sous toutes les formes et les aspects la topographie, les lois, les sciences, les arts, les mœurs des contrées, si variées, de la Grèce. Les immenses matériaux de cet ouvrage, amassés avec le soin le plus sévère, sans cesse vérifiés avec scrupule, seraient, dit-on, la production érudite la plus prodigieuse; et, sans doute, ils ne sont pas perdus. Barthélemy conçut la belle idée, l'idée neuve de faire de ce vaste ensemble de recherches, une histoire in tableau, une scène.

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Cette belle Grèce n'existe plus dans ses propres contrées ; on ne la retrouve plus que dans des livres. C'est avec des livres qu'il a fallu la recréer, pour en faire le sujet des contemplations d'un jeune Scythe, appelé par la renommée et l'amour de la sagesse. Mais tout est reposé, sur les lieux, dans un accord complet; tout revit avec l'illusion la plus parfaite et un effet délicieux ; vous épuisez le travail d'un savant, pendant trente années; et vous croyez ne lire qu'un roman : le cadre seul en appartient à la fiction; l'histoire a tout fourni; tout l'intérêt vient de l'histoire et s'y rapporte. Cette pensée originale a retracé, avec plus de grandeur, le brillant essai de Fontenelle, dans son ouvrage des Mondes, de populariser les sciences; et imité, avec un succès égal, si la gloire ne l'est pas, l'application des couleurs de la poésie et des pompes de l'éloquence à l'Histoire naturelle.

Du reste, cet ouvrage, comme toutes les innovations, a fait éclore beaucoup de copies, sur lesquelles je n'ai pas à parler. Et voilà, non pas le mal, mais l'erreur. Ces heureuses entreprises n'apprennent souvent qu'à multiplier des productions, jetées dans le

même moule; qu'à répéter les mêmes tableaux avec de moins belles couleurs ; qu'à refaire, avec du bel esprit, l'oeuvre d'un goût créateur.

Peu d'ouvrages; dans aucun siècle, ont obtenu et mérité un succès aussi certain, aussi universel, aussi permanent: le jeune Anacharsis restera un livre de toutes les bibliothéques; une lecture utile ou agréable à toutes les classes de lecteurs; le commencement des études savantes pour ceux qui s'y dévouent; et un riche fonds d'instruction pour ceux qui ne peuvent les embrasser, que dans un seul livre.

Avec des mérites si précieux, il peut se passer des hauts caractères du génie ; et peutêtre aussi eussent-ils dénaturé le plan de l'ouvrage. Un écrivain, d'un ordre plus éminent, aurait tout subordonné à ses principes, à ses affections; il aurait tout vu en lui seul; et n'eût reproduit que les impressions du sujet sur son âme. La Grèce avait besoin d'être envisagée d'une vue plus calme, par une imagination moins passionnée, pour reparaître à nos regards, telle qu'elle était. Si d

vaux du savant, de la gloire de

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l'homme de lettres, nous passons au tableau de sa vie, nous trouvons encore un spectacle, non moins intéressant.

Parmi les hommes de lettres, ce ne sont pas les savans que l'on voit, de préférence, tenir une place dans les sociétés du grand monde. Ils y apportent peu de ce qui plaît, de ce qu'on y recherche ; et leurs goûts solitaires; des études auxquelles les jours ne suffisent pas, ne les en éloignent pas moins. Cependant Barthélemy trouva ses amis les plus justement chéris, comme une maison à lui, comme une seconde famille, dans la famille et la maison d'un premier ministre, en réalité, sinon en titre; du dernier des grands seigneurs en France par l'éclat, l'importance et la somptuosité. Là, il ne pas rendu nécessaire par l'intrigue, le manége; par ce dévouement servile, qui subjugue les grands. Son caractère simple, vrai, noble, avait formé et entretenait l'alliance de ces choses, si peu en accord; là, il n'avait pas besoin de se revêtir de la dignité d'une belle réputation, pour se maintenir en face des rangs élevés; là, il paraissait toujours à sa place, parce qu'il en avait une

s'était

ailleurs; que l'on reconnaissait la sienne propre à sa modestie, à sa modération constantes; là, il recevait et rendait l'honneur dans la même mesure, parce que entre le grand seigneur et l'homme de lettres, ni l'un, ni l'autre, ne gâta jamais par l'orgueil les charmes d'une mutuelle estime, d'une mutuelle affection; et peut-être aussi, parce que entre le grand seigneur et l'homme de lettres, était placée une femme ornée de toutes les vertus de son sexe, et douée de toutes les grâces du cœur ; la femme la plus honorable et la plus honorée du dernier siècle (la duchesse de Choiseul).

Le mérite précoce de Barthélemy obtint de bonne heure tout son effet, et n'essuya jamais de contradiction; l'envie, la haine, le dénigrement n'ont pas existé pour lui. Était-ce l'importance de ses liaisons qui le protégeait? dans un autre, cet avantage n'eût fait qu'ajouter aux siens propres tous les ennemis d'un ministre. La sagesse de sa conduite? qui vécut aussi plus près des princes et des grands que Fontenelle? qui fut plus discret, plus modéré; plus habile même à écarter de lui tout ce qui trouble

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